|
|
|
|
Charles Murphy
en plein effort derrière la locomotive
Paul Guignard
sur la piste
Léon Vanderstuyft
Une illustration colorée qui dépeint Alfred (Le Diable rouge) Letourneur lorsqu'il réalise 108,92 mph sur un vélo Schwinn en roulant derrière une voiture de course sur l'autoroute près de Bakersfiel.
Pour dépasser les 200 km/h, José Meiffret utilisait un pignon de 15 dents associé à un plateau de 130 dents !
José Meiffret en 1961
Un plateau de la taille de la roue avant
Dans sa poche Meiffret avait cette note :
« En cas d'accident mortel, Je prie des spectateurs de ne pas se sentir désolés pour moi. Je suis un pauvre homme, un orphelin depuis l'âge de onze ans , et j'ai souffert beaucoup. La mort ne me fait pas peur. Cette tentative record est ma manière de s'exprimer. Si le docteur ne peut plus rien pour moi, s’ils vous plait enterrez moi au bord de la route où je suis tombé. »
José Meiffret, le seul sportif au monde qui ait épinglé le mot "vouloir" sur son maillot.
José Meiffret posant avec son dernier livre
Bruce Bursford chez Lola
|
|
|
|
|
|
Depuis que le vélo existe certains ont eu l’idée d’atteindre sur deux roues et sans l’aide d’un moteur, la plus grande vitesse possible. Les essais audacieux se sont très vite développés, sortant très vite du cadre du simple exploit sportif. Pour ces trompe-la-mort seule la vitesse atteinte compte. Ainsi ils sortirent très vite du cadre sportif et du record du monde de l’heure, et poussèrent très loin les possibilités mécaniques du vélo pour tenter de devenir l’homme le plus rapide du monde. Ici le risque affronté prend le pas sur la valeur athlétique de l’individu.
Pour aller toujours plus vite tous les moyens d’aspiration sont bons et dès la fin du 19ème siècle, l’américain Charles Murphy parcours le mile (1609 mètres en 57 secondes) à 100 kilomètres heure sur une voie ferrée. Pour réaliser sa tentative il avait fait installé une sorte de plancher entre les rails et s’abritait derrière une locomotive pour bénéficier de l’aspiration.
Charles Murphy sur son plancher entre les rails en 1899.
Dès lors ce sont des stayers qui vont s’attaquer à ce drôle de record. Ces hommes sont habitués à tirer des gros braquets dans les courses derrière moto et ils savent tirer le maximum de l’aspiration de leur entraîneur.
En 1909, le français Paul Guignard réussi sur le vélodrome de Munich a parcourir 101,623 kilomètres en une heure. Mais les pistes avec leurs virages serrés finirent par faire peur même aux plus audacieux et c’est désormais sur des circuits automobiles que se déroulèrent les nouvelles tentatives.
Monthléry fut le théâtre de nombreux de ces exploits.
Le belge Vanderstuyft et le français Brunier se livrèrent une lutte acharnée et finalement le belge eu le dernier mot et porta le record à 121 kilomètres. Au fil des années le record progressa encore et en 1937 Georges Paillard dépassa pour la première fois les 130 kilomètres heure en réussissant 137,404 kilomètres.
A Montlhéry toujours, juste avant la guerre le coureur de six jours Alfred Letourneur rajouta encore dix kilomètres au record. En 1941, le 17 mai, il frappa les esprits en atteignant la vitesse fantastique de 175,257 kilomètres heure. Pour réussir cet exploit il utilisa l’abri d’une voiture au lieu des motos habituellement utilisées et un braquet de 114X12, une roue de 28 pouces à l’arrière et de 24 pouces à l’avant.
Paul GUIGNARD (admirez la conception de la moto)
Alfred Letourneur
,qui fut champion des USA de demi fond en 1932 - 1933
1934 et 1935 lors de son record le 17 mai 1941
C’est alors qu’est entré en scène José Meiffret. qui allait vouer sa vie à ce record. On peut même dire que ce fut sa seule raison d’être. Et pourtant par son gabarit 1,62 mètres et 59 kilos José Meiffret, né le 27 avril 1913 à Boulouris ressemble plus à un grimpeur colombien qu’à un rouleur de fond. Orphelin à onze ans il raconte que renversé par un automobiliste alors qu’il faisait du vélo, il s’est vu offrir par celui-ci un magnifique vélo neuf en compensation et que c’est cela qui a déclenché sa vocation. Coureur modeste sans grand résultat dans les épreuves sur route il trouva sa voie grâce à Henry Desgranges, l’inventeur du Tour de France. Celui-ci malgré sa grande popularité prit le temps de recevoir ce petit jeune homme dans sa villa de la côte d’azur. Lors de cette première rencontre il lui aurait donné le conseil suivant
"Essayez donc les courses derrière moto, mon garçon. Vous pourriez vous étonner vous-même."
Desgranges se prit d’une réelle amitié pour Meiffret et en 1936 il lui proposa d’écrire les « échos de la piste » dans le journal l’Auto. Meiffret hérite alors du surnom du «coureur journaliste». L’année suivante, en réussissant pour une première tentative, l’aller retour Nice-Cannes soit 64 kilomètres en 1h02, José Meiffret sentit qu’il avait enfin trouvé son crédeau. Ce résultat est évidemment très modeste au regard des performances derrière moto réalisées par Charles Pélissier ou par Georges Paillard qui venait de réussir Chartres-Paris en 1h08 soit 79,452 de moyenne mais Meiffret est définitivement accro à la vitesse. En 1949 après cinq longues années en captivité, à force d’entraînement et de volonté il réussi a atteindre 87,918 kilomètres dans l’heure. Mais Georges Paillard qui était un authentique champion (2 titres de champion du monde et 6 fois champion de France de demi fond), réussit à 45 ans 96,480 km/heure.
José soutenu par Sugar Ray Robinson (USA), champion du monde de boxe des années 1950
Loin de se décourager, dès lors, Meiffret va consacrer sa vie à ce record. Le 28 juin 1950, à la nuit tombante, sur la route cimentée de Grenzlandring en Allemagne dans la zone d’occupation britannique il réussit 104,780 km en une heure. Peu après en octobre il atteint, derrière une BMW 750 cm3, sur un kilomètre la vitesse de 139,534 kilomètre/heure. Mais il comprend qu’il lui sera impossible d’aller beaucoup plus vite s’il n’adopte pas comme Letourneur le sillage d’une automobile.
Le temps de réunir les fonds nécessaires, de trouver le véhicule et le lieu propice à sa tentative, et revoilà José qui entre Saint Gaudens et Muret réussi enfin à battre d’un souffle Letourneur en atteignant la vitesse de 175,609 kilomètre/heure . Grâce à l’abri d’une Talbot 4,5 litres le kilomètre est avalé en 20,5 secondes…
L’année suivante, désormais recordman de l’heure et du kilomètre sur route il décide de s’attaquer cette fois ci au vieux record de l’heure derrière moto de Vanderstuyft. Il s’élance donc le 13 octobre 1951 pour ce qui faillit bien être sa dernière envolée, en effet après 7 tours de circuit, sans que l’on sache vraiment pourquoi ce fut la chute .à près de 130 kilomètres heure. Après un vol plané et une terrible glissade, les médecins l’ont relevé avec 5 fractures du crâne. Les journaux ont annoncé sa mort imminente, mais le bonhomme malgré sa petite taille était un dur à cuire.
Il survécut mais les années qui suivirent furent difficile. Touché dans sa chair mais aussi dans son esprit, José Meiffret pense au suicide et il effectue plusieurs retraites à la Trappe de Sept Fons dans l’allier.
« Meiffret emporte la Vie des martyrs de Georges Duhamel et sa bouteille d'huile de foie de morue qui jamais ne l'a quitté. «José, cultivez votre état de grâce, jetez-vous comme un enfant dans les bras de Dieu et vous serez sauvé», lui dit le supérieur. José, qui adorait les causeries, le soir même de son arrivée, donne aux moines une conférence «sur le record et ses résonances». Meiffret prie et médite «dans [sa] robe de chambre bleu de France». Il lit Marc-Aurèle, Nietzsche et Stendhal. » (Libération JL Le Touzet 09/07/2003)
«J'étais tuméfié et ressemblais à un ours. Je livre un autre match : celui de ma résurrection complète, car je ne dis pas non à la vie et à l'action.»
L’envie revint plus forte que jamais et en octobre 1955 près de Saint Dizier, sur la nationale 4 il est chronométré à 186,660 kilomètre/heure sur un kilomètre. Les dangers pris par Meiffret et d’autres, conduirent les autorités françaises à interdire ce genre de tentative. Mais rien ni personne ne pouvait empêcher José de renouveler ses rendez vous avec la mort, c’était sa vie, sa religion.
Si certains l’ont cru définitivement assagi par les nouvelles lois et l’age il n’en était rien. Avec la passion qu’on lui connaît, il continua à apporter des améliorations sur sa bicyclette et il écrivit son premier livre (le bréviaire du champion cycliste, 232 pages 1957). Très populaire il correspond avec des centaines de personnes, c’est ainsi qu’il apprend la construction d’une nouvelle autoroute à Lahr en Allemagne où il pourrait avoir la permission d’effectuer une autre tentative sur le kilomètre.
En automne 1961, alors qu’il est déjà âgé de 48 ans, il atteint derrière une Mercedes 300SL spécialement carénée pour lui 115.934 mph (186.538 km/h). Pour cette performance il utilisa un vélo de 20,4 kilos, avec un plateau de 130 dents touchant presque le sol, avec fourche avant inversée et petite roue. Les jantes étaient en bois pour empêcher la surchauffe, la potence avait reçu un renfort et il utilisait des boyaux.
Cela ne lui suffit pas et dès l’année suivante il remet ça.
Sur l'autoroute près de la ville allemande de Fribourg le 19 juillet, 1962 José, à 49 ans, va mettre la barre encore plus haut en réussissant 204,778 km/h.
Voici relaté par un journaliste anglais Clifford L. Graves ce fabuleux exploit.
Ainsi nous retrouvons Meiffret durant l’été 1962 sur l'autoroute près de Fribourg,, pédalant comme un forcené.
À 20 mph (32 km/h), Meiffret luttait pour garder l’équilibre . Ses jambes tournaient à peine. À 40 mph (64 km/h), il commençait à trouver son rythme. À 50 mph (80 km/h), il était juste derrière la Mercedes avec son curieux coffre. Avec un signe de la main, Meiffret a écarté sa moto et s'est abrité d'une manière précise derrière le paravent de la Mercedes. Sa synchronisation était parfaite...
L’écran déflecteur était équipé d’un rouleau, mais s'il le touche à 100 mph (160 km/h), il serait coupé en deux. D'autre part, s'il se laisse décramponner derrière de seulement 18 pouces (45 cm), la turbulence le mettrait en pièce. Si la voiture tangue, vacille ou saute sur une bosse, il serait immédiatement en danger de mort. Un ingénieur l'avait averti qu'à cette vitesse, la force centrifuge pourrait faire éclater ses roues fragiles.
Ignorant cette perspective, Meiffret était concentré sur sa tâche.
Il se déplaçait maintenant à 80 mph (129 km/h). Les nouvelles de cette tentative héroïque avaient fait du bruit, et la route était bordée de spectateurs. Tout le monde s'attendait à ce que quelque chose de fabuleux se produise. Monsieur Thiergarten présent dans la voiture donnait à Meiffret des informations sur sa vitesse par des signaux codifiés à l’avance. Meiffret pouvait parler au conducteur grâce à un microphone. "Allez, allez," a-t-il crié, sachant qu'il avait seulement neuf milles pour accélérer puis ralentir. |
Le compteur était maintenant à 90 miles. Que se passerait il s’il roulait sur un caillou, une plaque d’huile ou s’il rencontrait une rafale de vent…
La Mercedes traversa les airs. Les gens n’en croyaient pas leurs yeux. Ce qu’ils voyaient c’était la voiture en plein vol avec une silhouette arquée immédiatement derrière, des jambes tourbillonnantes,un maillot flottant, des roues tremblantes. "Allez, allez," a haleté Meiffret dans le micro. Dans la voiture, le compteur a grimpé jusqu’à 100 mph, puis 110 et 120. Angoissé, Zimmer (le conducteur) regarda dans son rétroviseur. Comment Meiffret pouvait-il se maintenir derrière ? C’était fantastique.
Au drapeau, la vitesse avait grimpé jusqu'à 127mph : plus vite qu'un train express, plus rapide qu’un skieur de descente, qu'une chute libre dans l'espace. Les jambes de Meiffret tournaient à 3.1 tours par seconde, et à chaque seconde il parcourrait 190 pieds ! Il n'était plus un homme sur un vélo. Il était le Français volant, le superman de la bicyclette, le magicien des manivelles, l'aigle de la route, le poète du mouvement. Il savait qu'il devait rester dans cette atmosphére raréfiée pendant dix-huit secondes. Quand il a passé le deuxième drapeau, les chronomètreurs ont enregistré 17,580 secondes, équivalent à 127.342 milles à l'heure. Meiffret avait survécu à son rendez-vous avec la mort.
José Meiffret a atteint son objectif. Ce record est considéré en France comme l’évènement sportif le plus important de l’année.Il est au sommet de sa gloire, il entretien une correspondance avec Jean Giono et sort en 1965 un dernier livre « mes rendez-vous avec la mort », préfacé par Léon Zitrone qui lui rapporta en 1965 le grand prix de l’écriture sportive et le Prix Sobrier-Arould de la prestigieuse Académie Française. Bien que son exploit au Grenzlandring lui ait apporté la gloire, elle ne lui a apporté aucun argent. En fait, aucun des records de Meiffret ne lui a apporté d’argent. Toute sa vie, il a dû combattre la pauvreté. Il a survécu grâce à des petits boulots et à sa plume.
Sentant approcher son dernier souffle, Meiffret, le cycliste fusée écrivit sa dernière volonté : «être enterré à même la terre» dans son survêtement et son maillot à tête de mort frappé des lettres «France» et «Vouloir». Le lieu ? Le long de la Nationale 4, la portion la plus rapide du département sur laquelle il s'entraînait. Il sollicita également Jean Durry, créateur du musée national du Sport, afin qu'il prenne possession de ses cahiers et de ses invraisemblables bicyclettes. Dans tous ces écrits qui remplissaient 9 valises se trouvaient pèle mèle ses carnets de route, les mots d’encouragement de Louison Bobet, les dessins de Jean Cocteau, la correspondance avec Giono. Pourtant José Meiffret est mort dans la misère…
Alors chapeau Monsieur Meiffret, pour vos exploits, pour votre abnégation, votre volonté tenace. Vous êtes entré dans le vélo comme on entre en religion et vous avez tout sacrifié à cette passion. Chapeau Monsieur.
Pour rédiger cet article j’ai bien évidemment consulté les livres de Jean Durry et j’ai effectué de nombreuses recherches sur interne. Il est surprenant et triste de constater que en dehors d’un site consacré au record de vitesse dont vous trouverez ci-dessous le raccourci les quelques autres informations que j’ai pu glaner l’ont été sur des sites en langue anglaise. "...Nul n’est prophète en son pays"
Certes le record de vitesse a depuis été battu mais comme l’on dit, autre temps, autres mœurs. Les vélos utilisés entre autre par John Howard (20 Juillet 1985 – 152 mph soit près de 245 km/h) ressemblent peu à une machine normale et l’on est très loin de l’artisanat de José Meiffret.
Avant de conclure je voudrais simplement rajouter quelques mots sur Bruce Bursford qui sur un vélo appelé « the ultimate » réalisé par Lola le célèbre constructeur de F1 a réussi a atteindre la vitesse fabuleuse de 334,6 km/h. Cet engin magnifique, réalisé spécialement pour les tentatives de Bruce Bursford en céramique , titanium et kevlar ne pesait que 4,9 kilos
Le sublime « the ultimate »
Avec lui Bruce avait également réussi a parcourir 39 miles soit 62,4 kilomètres dans l’heure, nettement mieux encore que Chris Boardman. Il avait également à son actif 9 records dont celui de la traversée de l’Eurotunnel ou celui de descente en tandem. Records sans grande valeur pour certains mais authentiques reflets d’une passion dévorante pour la vitesse. Passion qui allait lui coûter la vie, le 9 février 2000, renversé par un van alors qu’il s’entraînait à plus de 60 kilomètres heure sur une voie express près de la ville d’Abergavenny, au nord de Cardiff.
Bruce Bursford et son vélo, encore une incarnation du couple homme machine
Chapeau Monsieur Bursford
Références
Jean Durry : « l’encycle opédie »
MES RENDEZ VOUS AVEC MORT une oeuvre de MEIFFRET JOSE réédité le 19/11/1992 aux éditions FLAMMARION,
LE BREVIAIRE DU CHAMPION CYCLISTE MEIFFRET josé - 1 vol, 1957, 19x12, 232 pages, Ed. SUBERVIE Pensée inédite de Jean GIONO et avec un message d'Henri Desgranges
Textes, traduction et documentation : Alain Rivolla
|