Frédéric MAGNE
« J'ai beaucoup vécu, j'ai beaucoup appris, je me suis beaucoup fait plaisir ».
Dans notre pays, la piste est aujourd'hui le parent pauvre du cyclisme : peu de licenciés, quasiment pas de diffusion télé en dehors des championnats du monde. Pourtant, malgré toutes ces vicissitudes, la France continue depuis 20 ans à faire partie des trois ou quatre nations qui trustent les titres lors des mondiaux. Gérard Quintyn et Daniel Morelon qui ont dirigé pendant de nombreuses années les deux centres français de formation des pistards, l'un à Hyères, l'autre à Paris sont pour beaucoup dans la grande qualité de l'école française de la piste.
L'homme dont nous allons évoquer la carrière et aussi la brillante reconversion est un pur produit de cette école.
Originaire de Tours, Frédéric Magné est né le 5 février 1969. Avec 1m 75 pour 80 kg, celui que l'on surnommera plus tard le bouledogue de Bercy, n'était pas taillé pour la route, par contre sa puissance et son explosivité le font très vite remarquer. Il a à peine 16 ans lorsqu'il entre comme pensionnaire à l'INSEP. La première année est difficile et chaotique. Dès le mois de décembre, Frédéric veut se faire la belle, incommodé par les rigueurs d'un pensionnat niché au cœur du bois de Vincennes et l'anonymat étouffant qui venait de s’abattre sur lui, bouillant jeune homme monté de sa province. Il fallut que Daniel Morelon, en fin tacticien qu'il a toujours été, à la piste comme à la ville, use de toute sa force de conviction pour le retenir, le motiver et ainsi lui ouvrir la voie vers le succès et la reconnaissance.
Peut être jugé trop tendre, ou pas assez doué pour la vitesse, le gamin Magné est orienté par ses entraîneurs vers une discipline hélas aujourd'hui disparue, le tandem. Il va faire équipe avec Fabrice Colas, de cinq ans son aîné. En quelques mois de travail acharné, les deux hommes prennent les automatismes nécessaires à cette discipline et immédiatement les résultats suivent. Frédéric n'a que 18 ans lorsque avec son compère il décroche le titre mondial en 1987. Ils sont imbattables et ils réussissent à conserver leur titre en 1988 et 1989.
Pourtant Fred ne prend pas la grosse tête. Le tandem n’est pas la discipline reine de la piste et il ne veut pas être un champion de second rang. Alors il continue sans relâche à travailler car il souhaite aussi s'illustrer seul sur le sprint et le kilomètre. Sa capacité a accepter de lourdes charges de travail c'est finalement ce qui fait sa force. Son sens tactique et son intelligence en font un adversaire redoutable et redouté, lui qui d'abord entraîné par Morelon puis par Quintyn tirera le meilleur de l'enseignement de ses deux maîtres. Fred se définit d'abord comme un bosseur par opposition aux «doués» du genre Florian Rousseau.
« J'aime l'entraînement. Je ne m'en suis jamais lassé. Quant à la compétition, c'est un renouvellement permanent. Une course ne ressemble jamais à une autre et c'est ce qui est passionnant. Quand on est sur le vélo, même si c'est court, un ou deux kilomètres pas plus, on est seul au monde et à ce moment-là on a vraiment la certitude de tenir son destin en main. »
Ce qui est remarquable dans le parcours de Frédéric Magné c'est son courage et son opiniâtreté qui lui ont permit de toujours rebondir et de rester au plus haut niveau pendant près de 15 ans.
Après une année de réapprentissage Frédéric réussit petit à petit à se faire un nom seul. Finis les "Colas-Magné" désormais il faut s'habituer à parler de Magné seul. En 1991 il remporte l'open des Nations et le titre de champion de France du kilomètre. 1992 est l'année de la consécration, Fred montre à tous qu'il n'est pas qu'un second couteau juste capable de courir en tandem. Après être rentré bredouille des Jeux Olympiques de Barcelone, Fred choisit de passer professionnel et dans la foulée il est champion de France de vitesse, vice champion du monde de la discipline et médaille de bronze du keirin. C'est désormais dans cette discipline que le bouledogue va faire parler de lui. Voici ce qu'il déclarait à propos de son choix du keirin.
"Le keirin est une discipline que j'ai toujours adorée. Le keirin est né juste après la seconde guerre mondiale en 1948 au Japon, où elle fait l'objet de paris. C'est une course très tactique. Il faut reconnaître que j'ai été un peu limité en vitesse. Je n'ai jamais réussi à être champion du monde. J'ai du faire mes preuves sur d'autres disciplines. Celle du keirin était toute trouvée. Elle correspondait peut-être le plus à mes capacités psychiques et physiques. Cela m'a permis de m'épanouir pleinement. Beaucoup plus qu'en vitesse. "
Déclassé en 93, à Hamar en Norvège du titre de la discipline pour irrégularité il vivra cela comme une grande injustice, qu'il vengera lui même en 95 en dominant nettement le colosse Michael Hubner, triple champion du monde et l'italien Paris.
Pour les profanes le keirin apparaît souvent comme une loterie où il faut avant tout éviter la chute pour espérer s'imposer. Ce n'est pas du tout comme cela que Fred analyse ces courses si particulières.
"C'est la tactique de la minute, de la seconde. Il faut être opportuniste au bon moment, être clairvoyant, être toujours serein, être toujours à l'affût. Il faut construire la tactique en fonction des autres, en fonction de la situation, en fonction de la piste. Il n'y a pas de tactique en particulier. Il y en a cent, mille, un million. C'est la tactique du moment venu. C'est difficile à expliquer. Quand je suis sur la ligne de départ, je connais à peu près les grandes lignes directrices. Mais cela peut changer en cours de route. Il faut savoir improviser."
Frédéric sera encore deux fois champion du monde de la discipline en 97 et 2000 mais en homme avisé, qui n'a pas de temps à perdre, dès 97 il commence à préparer sa reconversion jonglant entre les entraînements et 5 heures de cours chaque jour pour obtenir le diplôme de professeur de sport. Cela fait des journées très chargées, départ le matin à 7 heures et retour vers 20 heures mais le jeu en vaut la chandelle.
« C'est vrai que j'en bave dans certaines matières. Je suis avec des gars qui ont fait un cursus universitaire alors moi je n'ai pas le choix : je dois travailler plus qu'eux, notamment des matières comme la physiologie ou la biomécanique. Par contre, je me débrouille pas mal en sciences sociales » déclare – t-il à l’époque.
Enterré par ses collègues et ses adversaires, il ne doit sa sélection pour les mondiaux de Perth qu'à sa conviction d'être au top qui finit par convaincre le DTN Patrick Cluzaud de le sélectionner malgré l'absence de résultat durant l'année. La suite on la connaît : un titre et un immense sourire en forme de pied de nez à ses détracteurs.
Sa réussite Frédéric la doit aussi à la passion qui l'anime. Malgré un planning hyper chargé (en 1997, il dit n'avoir prit que trois jours de vacances) il aime la vie qu'il mène, n'hésitant pas à s'estimer privilégié de pouvoir afficher des revenus dignes d'un cadre d'entreprise. Il affirme aussi ne pas envier ses collègues de la route bien que ceux ci pourront eux s'arrêter de travailler après leur carrière.
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Guo Shuang, quintuple championne du monde à seulement 20 ans, en compagnie de Frédéric Magné, responsable de la formation. |
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Dans ses fonctions au CMC
Directeur du Centre mondial du cyclisme |
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Ambassadeur du cyclisme sur piste |
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Victoire de l’épreuve de vitesse lors de la manche de coupe de monde, Victoria, Canada, mai 1998 (Fred remporta également l’épreuve de Keirin) |
Championnat de France de keirin à Hhyères en 2000 Fred l’emporte devant Florian Rousseau et Laurent Gané. Un podium digne d’un championnat du monde. |
Frédéric Magné qui était naguère le chouchou du public parisien lors de feu l'Open des Nations a réussi de nombreux changements de cap durant sa carrière et sa reconversion me semble tout autant exemplaire. D'abord entraîneur des pistards juniors il fut ensuite le Directeur Technique pour la piste du Centre Mondial de Cyclisme à Aigle en Suisse, durant 5 ans.
Inauguré en 2002, le Centre Mondial de Cyclisme est doté d'une infrastructure très complète:
- Des locaux administratifs modernes et conviviaux,
- Des salles de conférence pouvant accueillir jusqu 'à 100 personnes,
- Une piste couverte en bois de 200m..avec 800 places assises,
- Un espace multisports polyvalent ((athlétisme, sports collectifs (1700 m2),
- Une salle de gymnastique artistique (700m2),
- Une salle de musculation sur 200m2
Outre la préparation des sportifs, le CMC forme également des entraîneurs afin que les différentes fédérations se structurent et s'autonomisent.
"Le but est l'aide aux pays de voie de développement" explique Frédéric Magné, "les athlètes mais aussi éventuellement leur entraîneur intègrent le Centre".
Frédéric Magné se base en effet beaucoup sur les athlètes et entraîneurs passés par le Centre pour repérer les jeunes coureurs d'avenir au sein de leur fédération d'origine. C'est donc un réseau qui se tisse dans tous les pays "émergents", appuyé par des "relais continentaux".
En général c'est donc le Centre qui va vers les coureurs repèrés via son réseau.
Pour Fred, le bilan de ces premières années est très bon. Après plusieurs titres et records du monde junior, les résultats arrivent au niveau senior.
"L'objectif est maintenant de décrocher un titre Olympique" précise-t-il. « Mais le plus important est que ces athlètes continuent ensuite au sein de leur fédération avec un appui possible sous forme de plans d'entraînement à distance".
Au bout de 5 ans alors qu'effectivement les résultats sont bons Fred Magné a décidé de passer la main. Il a changé une nouvelle fois d'horizon, le mot est faible puisqu'il a été nommé au début de l'année 2007 entraîneur du Keirin au Japon... Cette nomination est, à mon avis, une véritable consécration, la reconnaissance d'un grand professionnel. C'est en effet dans ce pays, dans l'immédiat après guerre, qu'est né ce sport qui est aujourd'hui le plus populaire du pays.
Voilà comment cet homme, discret, travailleur, aimant rire, retrace 15 ans de carrière. C'est ma foi une fort belle conclusion, alors chapeau Monsieur Magné, chapeau pour votre carrière aux multiples facettes couronnée par votre 7 titres mondiaux. Chapeau pour votre enthousiasme, pour votre sens tactique et pour votre capacité à toujours rebondir d'une discipline à l'autre. Chapeau enfin pour votre reconversion exemplaire.
Palmarès
- Champion du monde de keirin: 1995, 1997, 2000 (3e: 1992,1996 et 1999)
- Champion du monde de tandem: 1987, 1988, 1989, 1994 (avec Colas)
- Open des Nations: 1991, 1993, 1994, 1995, 1996, 1997, 1998, 2000
- Champion de France de vitesse: 1992, 1994 (2e: 1996; 3e: 1997, 1999, 2000)
- Champion de France du kilomètre: 1991
- Champion de France de keirin: 1993, 1994, 1996, 2000
- Vice-champion du monde de vitesse: 1992
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