Le Petit Braquet
 
- Chronique n° 24 - Pierre Michaux & Pierre Lallement
 
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Coup de chapeau à

 

Pierre MICHAUX et Pierre LALLEMENT

 

 

 

Malgré des précurseurs comme Kirkpatrick Macmillan et Alexandre Lefèvre dont nous avons évoqué le mois dernier le parcours anonyme, il est, je crois, légitime d’attribuer à Pierre Michaux à son fils Ernest et à Pierre Lallement la paternité du second pas décisif dans la genèse de la bicyclette : l’installation sur l’axe de la roue avant de manivelles et de pédales. Cette trouvaille grâce au sens commercial des Michaux puis des frères Ollivier va connaître un succès au-delà de toute espérance. Dans la datation de cette invention capitale, Baudry de Saunier écrivain peu soucieux de la vérité historique a encore fait des siennes. Il avait déjà, comme nous l’avons vu dans le coup de chapeau consacré à Meyer et Guilmet imaginé par patriotisme un inventeur français antérieur à l’allemand Von Drais. En ce qui concerne l’invention des Michaux, Baudry de Saunier, pour des raisons qui nous échappent, a écrit que cette découverte a été faîte en 1855 alors qu’elle est datée précisément de mars 1861. Il a d’ailleurs finalement reconnu implicitement son erreur dans le dernier tome de « L’histoire de la locomotion terrestre » édité en 1942. Malgré cela, on retrouve, recopiée sans aucun sens critique sur de nombreux sites internet, les erreurs de Baudry de Saunier.   

Pierre Michaux, né le 26 juin 1813 à Bar le Duc, est en mars 1861 un modeste forgeron, carrossier et charron. Il est installé à Paris, Cité Godot de Mauroy passage donnant sur l’avenue Montaigne. Il a quatre fils dont Ernest l’aîné est, dit on, un fils respectueux qui l’aide beaucoup à l’atelier. Rien ne le prédestine à devenir un inventeur célèbre. L'idée de fixer des pédales à la roue avant d’une draisienne peut sembler évidente aujourd'hui, mais il faut bien avoir à l’esprit qu’avant 1860 la draisienne est le premier, et le seul engin roulant à n’avoir que deux roues. Par la même, la plupart des gens croyaient qu'un conducteur ne pouvait pas tenir longtemps en équilibre sans devoir mettre les pieds par terre.

Si l’on en croît James Moore, le vainqueur de la première grande course cycliste, le fameux Paris Rouen de 1869, son ami Ernest, « utilisait souvent une draisienne sur les Champs Elysées ». Et James Moore d’ajouter : « et (il) m’avait expliqué combien il était dommage qu’arrivé en bas d’une côte il manquât ce quelque chose qui permettrait de la gravir ». Un soir de mars 1861, Ernest, alors âgé de 19 ans, essaye la draisienne qu’un client chapelier le sieur Brunel installé rue de Verneuil, avait amené à réparer. De retour à l’atelier, il déclare selon les dires d’Henry son plus jeune frère présent ce soir là  « ce qui est fatigant, c’est de garder les jambes en l’air, une fois l’impulsion donnée. Et bien, répondit approximativement Pierre Michaux , il n’y a qu’a placer deux barres sur la fourche avant, où tu pourras poser tes jambes. Ou même mieux, nous allons fixer à l’axe de la roue avant des espèces de repose-pieds, et tu pourras en même temps faire tourner la roue, comme si tu faisais tourner la manivelle d’une meule à aiguiser ». Qu’y a-t-il de vrai dans les souvenirs d’Henry Michaux qui datent de 1893 nul ne le sait. Ce qui est sur par contre, c’est que son père, un jour de mars 1861, eut cette fameuse idée.

Ainsi Pierre Michaux reprenant le système de la manivelle à pied des rémouleurs passa un axe coudé dans le moyeu avant de la draisienne pour faire tourner celle-ci comme on ferait tourner une meule. Le système rotatif ancêtre direct de notre système de pédalage moderne venait de naître. Avec son fils Ernest ils allègent ensuite leur machine en remplaçant le bâti en bois par un bâti en fonte, ajoutent des freins à patins et une selle suspendue. Ils équipent la pédale d'un petit poids pour qu'elle reste toujours horizontale et les roues d'un patin à frein appliqué directement sur le cerclage en fer. Ce frein est actionné en tournant les poignées du "dirigeoir" (guidon). Sur certains modèles, la selle suspendue est réglable en hauteur.

Désormais un homme pouvait garder l’équilibre et se déplacer par sa propre force. Certes les premiers essais d’Ernest et d’Henryfurent une sorte de saut dans le vide vers un équilibre en mouvement inconnu jusqu’à ce jour. Il y eut bien des embardées, quelques chutes mais le miracle eut bientôt lieu, le miracle de la propulsion musculaire sur deux roues.

Pierre Michaux sent que son invention offre de réelles potentialités et il en généralise la fabrication en créant son entreprise en 1865, la "Maison Michaux"  En 1861, 2 vélocipèdes ont été fabriqués, 142 en 1862, 400 en 1865.

En 1865 il s’associe avec les frères d'Olivier  et crée sous son propre nom, « Michaux et compagnie », la première entreprise à construire des bicyclettes avec des pédales. Passionnés par l’invention du vélocipède les frères René et Aimé Olivier sont considérés comme ayant accomplit le premier voyage cyclotouristique connu, de Paris à Avignon, accompagnés une grande partie du chemin de leur ami Georges de la Bouglise (ingénieur des mines célèbre pour sa collection de minerais). Le voyage est fait durant le mois d’août sur une distance de 805 kilomètres. Ils investissent la somme de 50 000 francs dans l’entreprise de Pierre Michaux.

Les pédales sur une bicyclette Michaux 1869

Les premiers modèles sont réalisé avec une armature serpentine formée de fonte malléable. Mais très vite confrontée à des problèmes de casse la société a opté pour une armature diagonale faite de fer travaillé, qui est rapidement devenu la référence pour une production industrielle. Aimé Olivier ne semble pas avoir été seulement un entrepreneur habile, investissant dans une idée qu’il juge avoir de l’avenir. Il sait aussi mettre la main à la patte et il serait à l’origine de cette armature diagonale d'une seule pièce faite de fer travaillé. La production sérieuse a débuté en 1867. Le succès est au rendez vous et en 1868 l’entreprise compte près de 300 ouvriers qui fabriquent des vélos dans une usine flambant neuve de 10 000 m2 construite au milieu des champs à hauteur de ce qui deviendra plus tard l’avenue de la Grande Armée. En 1867, le vélocipède Michaux est présent sur les stands de l’Exposition Universelle et Michaux exporte même quelques modèles en Angleterre. Les Parisiens sont désormais habitués à voir dans les rues ces engins qui malgré un prix très élevé si on le rapporte au salaire moyen d’un ouvrier,  commencent à se vendre comme des petits pains.

   

En 1869, les Michaux pour des raisons que nous ignorons, vendent leur brevet aux frères Olivier qui fondent la Compagnie Parisienne qui produit maintenant environ 200 vélos par mois. La concurrence aussi se développe et de nombreuses entreprises se créent durant cette période. On compte une centaine de fabricant quand la guerre de 1870 se déclare. Celle-ci va casser l’industrie française du cycle qui perdra son leadership au profit de l’Angleterre.

Au moment où la première mode de bicyclette démarrait en France puis en Angleterre et aux Etats-Unis, chacun reprend donc son indépendance. L’entreprise de Pierre Michaux et de son fils Ernest ne va hélas pas survivre longtemps à cette séparation. Elle disparaîtra quelques années plus tard victime de la concurrence et probablement d’une gestion pas assez rigoureuse. On retrouve malgré tout trace de leur activité en 1870 lorsqu’ils créèrent un étrange vélocipède doté d’un moteur à vapeur qui ne connut pas le succès espéré. Leur heure de gloire était passée depuis longtemps.

 

 

 

 

 

 

 

Pierre Michaux n’a pas hélas un sens développé des affaires. Il n’a fait breveter sa première pédale, qu'il appelle "pédivelle", que le 24 avril 1868 (Brevet français n°80 637: "Perfectionnement dans la construction des vélocipèdes") alors qu’un autre homme plus rusé et plus au fait des règles du commerce l’a déjà fait depuis longtemps. Cet autre homme, qui revendique l’invention de la bicyclette à pédale s’appelle Pierre Lallement. Ce natif de Pont à Mousson a déposé le brevet d’un bisicle à pédales au bureau des inventions de Washington le 20 novembre 1866 : US Patent No. 59,915 20 novembre 1866. Lui aussi peut prétendre à porter le titre d’inventeur de la pédale et entre les deux il semble difficile de trancher, d’autant que certains historiens doutent aujourd’hui de la date avancée par la famille Michaux pour la création de la pédale pensant plutôt que cette découverte fut faite en 1864 ou 1865… A vous de juger…

 

Pierre LALLEMENT

 

L’histoire de Pierre Lallement comporte encore plus de zones d’ombre que celle des Michaux. Difficile d’y voir clair tant les incertitudes dans les dates sont importantes. Essayons donc d’établir une chronologie réaliste du parcours de cet homme qui en navigant entre la France et les Etats-Unis a encore un peu brouillé les pistes.

Né le 25 octobre 1843, Pierre Lallement débute sa carrière comme ouvrier fabricant des landaus à Nancy . Il a alors 19 ans. Selon la légende, il fut lui aussi inspiré par la vue d’une draisienne. Fasciné par cet engin extraordinaire, Pierre Lallement aurait dès 1863 conçu son propre modèle en y ajoutant des pédales sur la roue avant. Son modèle comme en témoigne les croquis qui accompagnent son dépôt de brevet est d’une conception très proche des modèles de hobbyhorse construit par Denis Johnson à Londres en 1819 et semble très proche de celui des frères Michaux.


Pierre Lallement à Paris en 1870 sur sa machine

 

Le hobbyhorse de Johnson


Le premier Michaux

Diverses sources attestent de la présence de Pierre Lallement comme ouvrier dans l’entreprise Michaux en 1863. L’apparition des deux inventions nées dans le même milieu, à peu près au même moment est peut être le fruit de réflexions séparées mais convergentes. A-t-il copié l’invention de Pierre Michaux où bien c’est l’inverse qui se produisit, nul ne le sait, en tout cas, persuadé que cette invention peu lui rapporter gros, Pierre Lallement quitte Paris en juillet 1865 pour les Etats-Unis. Il pense probablement faire fortune là-bas mais les choses ne seront pas aussi faciles qu’il l’imaginait. Arrivé à Ansonia dans le Connecticut il dépose son invention en avril 1866 et le brevet lui est attribué en novembre de la même année. Pourtant il ne trouve à l’époque aucun entrepreneur prêt à s’engager avec lui dans la fabrication de son vélocipède et finalement il revient en France en 1868. Je ne sais pas si Pierre Lallement est un inventeur en tout cas c’est un homme plein de ressources. De retour à Paris il crée immédiatement sa propre affaire et il sera d’ailleurs le premier à concevoir des bicyclettes sur mesure. La bicyclette est en plein essor. Porte Maillot à proximité des usines Michaux on compte désormais plusieurs loueurs de bicyclette qui enseignent même aux débutants les secrets de l’équilibre pour « dix francs à forfait ». Entre temps la Michaux et Compagnie a commencer à vendre des exemplaires aux Etats-Unis de ce qu’on appelle là bas "the bone-shaker," littéralement « le secoueur d’os » tant le confort de ses machines aux roues de fer était spartiate. Les chaussées américaines étaient à l’époque beaucoup moins lisses et agréables pour ces engins que ne l’était le macadam parisien qui jouissait alors d’une belle réputation. Lallement, apprenant la petite percée des Michaux aux Etats-Unis repart là bas et réussi cette fois à vendre son brevet à un entrepreneur américain du nom de Calvin pour la coquette somme de 2 000 dollars.

Lallement habitait à Brooklyn et travaillait comme employé de l’industriel Albert Augustus  Pope. Lors de l'exposition 1876 à Philadelphie, Albert Pope a découvert les bicyclettes. Enthousiaste il a commencé à importer les penny farthings européens et obtenu les brevets américains sur ces modèles européens. Vers 1890 il réussit à mettre en place un trust qui gère toutes les brevets concernant les bicyclettes aux USA. Quasiment chaque fabricant de bicyclette aux USA payait à Pope autour de $10 par bicyclette produite ce qui lui permet de s’assurer très vite une immense fortune. Il fabrique des bicyclettes sous la marque Colombia, qui produit annuellement près de 250 000 exemplaires. On retrouve la trace de Lallement qui témoigne pour Pope dans un procès concernant ses fameux et juteux brevets. Hélas pour lui aussi l’heure de gloire était passée depuis longtemps et il mourut dans l’anonymat le 29 août 1891 à Boston à l'âge 47 ans.

Pierre Michaux et Pierre Lallement finalement indissociables dans l’invention du premier système de pédalage qui allait mettre la bicyclette sur les rails du progrès et de la prospérité n’ont pas tiré grand bénéfice de leur invention. D’autres ayant probablement moins de génie créatif mais un sens des affaires plus développé ont su prendre le relais et tirer les marrons du feu. Pourtant cette invention parce qu’elle était incomplète allait engendrer un « monstre ». En effet la progression de la draisienne à vitesse normale imposait une fréquence de pédalage trop élevée, incompatible avec les possibilités physiques humaines. De plus la position du cycliste, avec une selle beaucoup trop en retrait par rapport à l’axe de pédalage, est très inconfortable. Ces deux contraintes que nos inventeurs ne mesurèrent point et qu’en tout cas ils ne surent pas résoudre, furent la raison de l'apparition du paradoxal grand bi (pour grand bicycle), comportant une très grande roue avant et une petite roue arrière. Le développement de cette grande roue motrice, confère une vitesse convenable au pédalier. Le conducteur est également bien assis, à peine en arrière de l'axe de son  pédalier. Tous ces avantages compensent largement la difficulté de monter sur des engins aussi élevés, la roue avant pouvant dépasser les deux mètres sur certains modèles.

Il est difficile d’avoir aujourd’hui une certitude absolue en ce qui concerne l’invention de la pédale, Pierre Michaux et Pierre Lallement y ont l’un et l’autre grandement contribué c’est pourquoi il est logique de les associer dans cet hommage. Chapeau Monsieur Michaux, chapeau Monsieur Lallement pour votre importante contribution sur le chemin de la bicyclette moderne.

Pierre Lallement à Boston en 1886 sur un "grand bi"

La copie de la machine de Pierre Lallement
appartenant au club de cyclotourisme de Pont-à-Mousson

 

BAR LE DUC : On y repère, rue Rousseau, le monument dédié à Pierre et Ernest Michaux,

inventeurs et propagateurs des pédales sur la roue avant du vélocipède.

Véritable naissance de la vélocipédie, en 1861.

 
 

Auteur de l'article : Alain Rivolla