
Bravo Messieurs les grands voyageurs !!!
Dans les années 1880, les moyens de locomotion pour
parcourir le monde étaient peu nombreux et en dehors
du chemin de fer en plein essor, il était nécessaire
pour se déplacer d'utiliser le cheval sur des routes
ou plutôt des chemins qui feraient aujourd'hui le régal
des vététistes. Hormis quelques riches, cultivés
bien souvent passionnés de culture grecque et latine,
les voyageurs étaient finalement peu nombreux. C'est
dans cette période que le vélocipède
est apparu pour certains comme un moyen de parcourir le monde,
de le découvrir en toute indépendance. Pas de
performance sportive, de volonté de faire des kilomètres
non simplement l'envie d'utiliser un nouveau mode de locomotion
pour aller à la découverte de l'autre et de
son mode de vie. Celui qui fut le précurseur de ce
mouvement s'appelle Thomas Stevens.

Né en 1854 en Angleterre, Thomas Stevens, féru
de littérature de voyage, quitte le domicile familiale
et s'embarque pour les USA en 1872 alors qu'il est à
peine âgé de 18 ans. Il vit tout d'abord de divers
petits boulots et devint même un temps mineur au Colorado.
Nous savons peu de choses de sa vie durant une dizaine d'années.
La seule chose que l'on peut imaginer, c'est qu'il a été
fasciné par les premiers bis qu'il a vu voir et qu'il
a très vite compris combien cet engin pouvait lui apporter
et satisfaire son envie de voyager et d'être libre.
Dès lors il va probablement construire dans sa tête
son projet de voyage et économiser sous après
sous afin de réaliser son rève. En 1884, il
achète un exemplaire du célèbre Penny
Farthing de la Pope Manufacturing Company of Chicago. Il se
procure le modèle standard, signe que son budget doit
être serré. C'est le début de l'aventure.

Penny Farthing version standard acheté par Thomas
Stevens
Avec ce modèle dont vous pouvez apprécier la
maniabilité, la sécurité et le confort,
il entame la première partie de son périple.
Emportant pour tout bagage : des chaussettes, une chemise
de rechange, un imperméable qui fait aussi office de
toile de tente et un sac de couchage, il traverse les USA
de San Fransisco à Boston en 101 jours durant le printemps
et l'été 1884. L'état des routes l'oblige
à effectuer environ 1/3 du parcours à pied.
7 personnes ont, durant les trois années précédentes,
tenté cette traversée mais toutes ont échoué
devant les difficultés rencontrées dans la traversée
des Rocky Mountains. . Il est donc le premier à réussir
la traversée du continent nord américain à
bicyclette) ce qui lui permet de vendre le compte rendu de
son périple à " Outing Magazine ".
La direction d'Outing Magazine, visiblement satisfaite des
récits de voyage de Stevens le nomme ensuite correspondant
spécial et lui apporte le soutien financier nécessaire
à la poursuite de son voyage de part le monde. Stevens
s'embarque alors sur un vapeur en direction de Liverpool le
9 avril 1885. Durant 20 mois, il va parcourir le monde d'Ouest
en Est avec son grand bi. La liste des pays qu'il traverse
est impressionnante : Angleterre, France, Allemagne, Autriche,
Hongrie, Bulgarie, Tchécoslovaquie, Turquie, Arménie,
Iran, Afghanistan, Pakistan, Inde, Hong-Kong et Japon. Il
boucle son périple d'un peu plus de 19 000 kilomètres
à San Francisco le 24 décembre 1886. Lorsque
la route est bonne il atteint 160 kilomètres par jour
en passant 8 à 9 heures sur son penny farthing.
Durant
toute cette aventure, Thomas Stevens écrit une
série de lettres relatant ses expériences qu'il
transmet régulièrement à " Harper's
magazine ". La compilation de ces récits deviendra
en 1888 un livre intitulé " Around the World
on a Bicycle ".
"It has rained heavily during the night, but the roads
around here are
composed mainly of gravel, and are rather improved than otherwise
by the
rain; and from Sezanne, through Champenoise and on to Vitry
le Francois,
a distance of about sixty-five kilometres, is one of the most
enjoyable
stretches of road imaginable. The contour of the country somewhat
resembles
the swelling prairies of Western Iowa, and the roads are as
perfect for
most of the distance as an asphalt boulevard. The hills are
gradual
acclivities, and, owing to the good roads, are mostly ridable"
"Knowing full well that from top to bottom there exists
not a loose stone or a dangerous spot, you
give the ever-ready steel-horse the rein; faster and faster
whirl the
glistening wheels until objects "by the road-side become
indistinct
phantoms as they glide instantaneously by, and to strike a
hole or
obstruction is to be transformed into a human sky-rocket,
and, later on,
into a new arrival in another world."
Ci dessus deux extraits du livre de Thomas Stevens l'un évoquant
la qualité des routes de la Champagne et l'autre la
vitesse atteinte dans les descentes où la moindre pierre
aurait pu le transformer en bombe humaine. Je vous fais grâce
de l'extrait où il parle de sa supériorité
sur les villageois français qui, selon lui, font trop
de bruit en mangeant leur soupe

Je ne résiste pas par contre à l'envie de vous
traduire, tant bien que mal, une partie de la préface
de son livre, tant elle est aujourd'hui encore d'actualité.
Thomas Stevens, après un diner donné en son
honneur par le Massachusetts Bicycle Club, fit une brève
présentation de ses aventures. Il était comme
Jules Verne, racontant ses aventures merveilleuses, ou comme
un contemporain de Sinbad le Marin. Nous trouvions que cette
invention mécanique moderne, au lieu d'enlever son
charme à l'univers, avait plutôt offert la possibilité
d'explorer plus sûrement ses merveilles. Au lieu de
parcourir le monde muni d'un fusil avec l'objectif de tuer
quelque chose, - ou avec un paquet de tracts afin de convertir
l'autre, - ce jeune homme audacieux venait simplement de traverser
la terre pour aller à la rencontre des population,
et depuis il a toujours quelque chose d'intéressant
à nous apporter, comme ces peuples l'ont fait avec
lui qui a voyagé parmi tant de nations
Trois portraits de Thomas Stevens et son grand bi.

Nous savons peu de chose sur ce que fut la vie de Thomas Stevens
par la suite.
Je n'ai pas pu établir de lien formel mais en 1889-1890,
un reporter américain portant le nom de Thomas Stevens effectua un voyage en Russie de Saint Pétersbourg à
la Crimée sur un cheval pour évoquer les exploits
de cavaliers russes capables d'effectuer de très longues
distances en un temps record. De retour de ce voyage en Russie,
ce reporter publia un livre à succès intitulé
" En Russie sur un mustang " dont on retrouve une
trace en français dans le livre " La Russie à
cheval : Récits croisés d'un cosaque et d'un
reporter (1889 - 1890) de Dmitri Nikolaievitch Pechkov et Thomas Stevens. On retrouve là le même
esprit d'aventure et de découverte et il s'agit très
probablement du même homme. Ensuite Thomas Stevens disparaît totalement de toute actualité et la
seule chose que l'on connaît c'est qu'il mourut en 1935
en Angleterre.
Le voyage de Thomas Stevens eut un retentissement
important en Amérique et suscita bien vite d'autres
vocations. Parmi ceux qui s'engouffrèrent dans la brèche
ouverte par Stevens et tentèrent l'aventure avec un
grand A on peut noter Thomas Gaskell Allen, Jr and William
Lewis Sachtleben, qui en 1890 entamèrent un vaste périple
qu'ils relatèrent ensuite dans un livre intitulé
Across Asia on a Bicycle. Mais les choses avaient déjà
beaucoup changé. En effet le grand bi n'avait déjà
plus la cote et pour effectuer leur périple ils utilisèrent
" the safety bicycle " c'est-à-dire une bicyclette
qui par ses deux roues à peu près identique
offrait une beaucoup plus grande sécurité.
Malheureusement l'arrivée de l'automobile avec son
coté pratique et sans effort, a rapidement mis fin
aux temps du voyage à travers le monde à bicyclette
et ce n'est qu'au début des années 80 que l'on
assista à une résurgence de ses voyageurs hors
du commun.
En tout cas un grand coup de chapeau à celui qui fut
le premier à comprendre toutes les opportunités
de découvrir le monde qu'offre la bicyclette. Alors
chapeau Monsieur Stevens
Pour ceux qui comprennent l'anglais le livre de Thomas
Stevens qui n'avait pas connu de réédition
depuis 1890, est en grande partie téléchargeable
sur Internet (voir ici)
 
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