Marcel BERTHET
Le champion dont nous allons évoquer maintenant la carrière sportive fait partie de cette race de coureur qui préfère se battre contre le temps plutôt que d’affronter des adversaires dans une compétition. Se faire violence, se dépasser, défier le temps pour aller toujours plus vite pourrait être la devise de cet homme passionné de vélo et de vitesse que fut Marcel Berthet.
Marcel Berthet est né le 4 mars 1887, en région Parisienne dan s la commune de Neuilly. De sa jeunesse et de sa passion pour le cyclisme nous ne savons rien ou presque. Son nom apparaît rapidement dans les palmarès et très rapidement Marcel Berthet devint un coureur cycliste de renom.
Nous avons effectué de nombreuses recherches, sans grand succès, sur la carrière de Marcel Berthet avant qu’il ne s’empare pour la première fois du record du monde de l’heure mais nous n’avons trouvé que fort peu de chose. En effet le nom de Marcel Berthet n’apparaît qu’à partir de 1905 année où il emporte chez les amateurs la course Paris – Provins – Paris. Il n’a que 18 ans et déjà un bel avenir semble s’offrir à lui. Celui que le public Parisien surnomma bien plus tard « l’élégant Marcel » ne met pas longtemps à trouver sa voie. Pas assez rapide au sprint, piètre grimpeur, il se prend de passion pour les courses de fond la discipline qui correspondait le mieux à ses qualités athlétiques et à son mental de dur au mal.
En 1905, Lucien Petit Breton a porté le record de l’heure à 41,110 kilomètres dans l’heure et cet évènement a semble t-il marqué Marcel Berthet qui s’est peu à peu mis en tête d’aller chercher ce record. En homme qui ne laisse rien au hasard, Marcel Berthet prend le temps de préparer sa tentative dans les meilleures conditions et ce n’est finalement que le 20 Juin 1907 qu’il s’élançe sur la piste du vélodrome de Buffalo pour réussir 41.520 kilomètres dans l’heure. A 22 ans, Marcel Berthet venait de faire la preuve de ses qualités et de sa maturité dans un exercice d’une grande exigence tant sur le plan physique que mental.
Source Gallica.bnf.fr / bibliothèque nationale de France
En 1908, la notoriété acquise grâce au record lui permet de devenir professionnel et même de prendre le départ du Tour de France, qu’il abandonne après seulement trois étapes. Marcel Berthet n’est pas fait pour ce genre d’épreuve et il revient très vite sur la piste où malgré une pointe de vitesse insuffisante il obtient régulièrement des accessits dans les épreuves de six jours.
Marcel Berthet est désormais célèbre et il part courir à l’étranger et notamment en Allemagne où il participe aux six jours de Berlin 1909. Signe de sa célébrité, il est associé dans cette épreuve au néerlandais John Sto,l une des stars de la piste d’avant guerre (vainqueur de 6 six jours, 3 fois champion des Pays Bas de vitesse…). La piste de Friednau semble avoir inspiré Marcel Berthet car il décida d’y faire une nouvelle tentative de record du monde de l’heure le 12 septembre 1909. Un vent trop fort le contraint à mettre pied à terre avant le terme non sans avoir tout de même améliorer son propre record du monde des dix kilomètres.
Jusqu’en 1912, Marcel Berthet resta le détenteur du record de l’heure avant que le grand champion Suisse Oscar Egg ne s’en empare une première fois déclenchant un combat épique entre les deux hommes qui passionna les amateurs de sport. Plutôt que de raconter ce duel et d’amplifier la rivalité sportive entre les deux hommes pour renforcer encore la légende, il est important de noter que l’émulation née de ce duel fit fortement progressé le record mais également la réflexion sur la technologie afin d’améliorer les machines.
- 20 juin 1907, Marcel Berthet, Paris, 41,520 km
- 22 août 1912, Oscar Egg, Paris, 42,122 km
- 7 août 1913, Marcel Berthet, Paris, 42,741 km
- 21 août 1913, Oscar Egg, Paris, 43,525 km
- 20 septembre 1913, Marcel Berthet, Paris, 43,775 km
- 18 septembre 1914, Oscar Egg, Paris, 44,247 km
En sept ans, le record du monde de l’heure venait de progresser de 3,727 kilomètres et si la guerre porta un coup d’arrêt au duel entre les deux hommes, il fallut attendre près de trente ans pour qu’Oscar Egg soit dépossédé de son bien, signe évident du très haut niveau atteint par les deux hommes. Marcel Berthet était avant tout un passionné de vitesse et de record et, bien avant de comprendre que le Suisse lui était supérieur dans l’exercice contre le chronomètre il décida de s’orienter vers d’autres tentatives derrière engin motorisé pour atteindre des performances plus grandes encore.
A partir de 1913, il entame une fructueuse collaboration avec un jeune ingénieur aéronautique, Étienne Bunau-Varilla. Celui-ci avec l’aide de Marcel Berthet va réaliser un vélo doté d’un carénage destiné à améliorer la pénétration dans l’air du cycliste.. La machine est équipée d'une coque aérodynamique qui protège le cycliste et réduit la résistance à l'air
Bibliothèque nationale de France, Agence photographique Rol,"Copyright : domaine public."
Piloté par Marcel Berthet, le vélo-torpille améliore tous les records cyclistes de l'époque. A l'automne 1913, avec ce "Vélo-Torpille", Marcel Berthet bat une série de record : 250 m en 17,4 secondes ; 5 km en 5 minutes 46,4 secondes.
Les records eurent lieu au Vélodrome d'Hiver avec un braquet de 56x14, une roue arrière en 700 et 24 pouces à l'avant. Le vélo était surmonté d'une ossature légère en bois de forme fuselée, recouverte de toile et de celluloïd à l'avant pour permettre au coureur de voir à travers. La forme englobait complètement le cycliste, ne laissant paraître que ses mollets et ses pieds. La machine complète pesait 17 kg, elle fut surnommée "l'Oeuf de Berthet".
Aux Parc des Princes, en départ lancé, Berthet parcourt le kilomètre en 1 minute 04 malgré un fort vent latéral. Le même jour dans la soirée, il effectue le kilomètre en 1 minute 02 au "Vel'd'Hiv".
La veille de Noël, il est opposé dans un duel farfelu car inéquitable comme il en existait souvent à l'époque, à un tandem composé de Charron et Rousseau et il améliore encore sa performance sur les cinq kilomètres en 5 minutes et 39,3 secondes.
Très vite le concept fait des émules chez des fabricants, toujours à la recherche d'une innovation leur permettant de développer leur renommée et par la même leur activité. Des constructeurs comme les allemands Göericke (vélo et moto) et Brennabor (auto, moto et vélo), préparèrent des vélo carénés sur le modèle du "Vélo-Torpille". Le modèle de chez Göericke fut surnommé "la Carpe" tandis que la machine du constructeur Brennabor était baptisé le Poisson.
La première course internationale de ce genre eut lieu à Berlin en 1914. Elle fut remportée par le champion d'Europe du 50 km, Arthur Stellbrink, après la chute du champion du monde de demi-fond, le néerlandais Piet Dickentman. Le record de Berthet fut battu et le temps aux 5 kilomètres s'établit à 5 minutes et 23 secondes. Désormais d'autres pistards de talent s'intéressent à ces drôles d'engins et si les records progressent rapidement la question de l'équité et de la prééminence de la technique sur le physique interpellent les instances internationales du cyclisme. Il devient très vite évident que l'on se trouve désormais en face de deux système que tout oppose. D'un côté un record qui récompense prioritairement les qualités athlétiques d'un homme, de l'autre les innovations technologiques d'une entreprise ou même d'un homme seul comme ce sera le cas avec le génial Graeme Obree durant les années 90. (voir le coup de chapeau qui lui est consacré).
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Dès 1914, l'UCI choisit fort justement d'intervenir pour interdire les carénages et reléguer ce type de machine dans la catégorie "vélos avec dispositif pour réduire la résistance de l'air", ce qui mit fin à cette forme de compétition et au développement des carénages.
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Article 31 UCI de 1914 : "Les machines de tous types sont légales, équipées ou non de composants tels que changement de vitesse, roues libres, etc., à condition qu'elles fonctionnent seulement par la force de l'homme, qu'elles ne requièrent pas d'appendice ou dispositif pour réduire la résistance de l'air et qu'elles n'excèdent pas les dimensions de 2 mètres en longueur et 75 centimètres en largeur. Ceci s'applique aux machines à un seul cycliste qui occupent une seule file".
La première guerre mondiale va probablement priver Marcel Berthet de quelques belles victoires, mais il est de ceux qui échappèrent à la grande boucherie et qui remontèrent sur leur petite reine dès la fin des hostilités. Au lendemain de la guerre, il semble s'être cantonné dans les courses de six-jours où il a souvent fait équipe avec Maurice Brocco, un autre vieux briscard (vainqueur d'une étape du Tour ainsi que de Paris Bruxelles avant guerre).Selon certaines sources qu'il ne nous a pas été possible de vérifier, il aurait, dès 1919, présenté une nouvelle version du vélo torpille qui cette fois laissait apparaître le buste du coureur. Aucune tentative de record ne semble avoir été tentée avec cette machine dont les qualités aérodynamiques n'étaient peut être pas suffisantes. Marcel Berthet n'abandonne pas pour autant les compétitions classiques et il va poursuivre sa carrière jusqu'en 1923, date à laquelle il se maria et rangea sa bicyclette.
Par la suite, il ne semble jamais avoir quitté véritablement le monde du cyclisme. On le retrouve souvent juge ou arbitre dans les courses de six jours et au Vel d'hiv on l'appelle désormais " l'élégant Marcel ".
A partir de 1933, Marcel Berthet commercialise les Selles idéales. La selle "Idéale" avait été créée en 1890 à Paris, par Jean-François Tron. Par son mariage avec la fille du sieur Tron, Marcel Berthet se retrouva impliqué dans la gestion de l'entreprise surtout à partir de 1931 date du décès de son beau père.
A l'époque la marque est positionnée dans le haut de gamme avec des modèles célèbres comme les modèles No. 57 Record and No. 54 Duralumin qui sont déjà remarquables de légèreté. Ces selles flirtent avec les 250 grammes. La firme produit plus de 500 000 selles par an quand Marcel Berthet reprend les rênes de la société. Bon vivant, bien connu des milieux sportifs de la capitale, Marcel Berthet est également un homme d'affaire avisé. Il profite de sa notoriété pour développer l'activité commerciale de la société. L'entreprise familiale qui depuis 1927 était devenu une Société Anonyme est rebaptisée " Tron & Berthet S.A.". L'entreprise toujours positionnée sur du haut de gamme se développe à l'export et ce sont des millions d'exemplaires de selles idéales qui sont vendues chaque année.
Pourtant le démon de la vitesse et des records hante toujours Marcel Berthet. Grâce à ses connaissances dans les réseaux industriels et aux moyens financiers dont il dispose désormais, il s'entoure d'hommes compétents pour bâtir un nouvel engin capable de permettre à l'homme d'aller encore plus vite. Il élabore avec l'ingénieur Riffart un vélo en aluminium, caréné de bois d'épicéa et de magnolia et revêtu d'une toile, le Vélodyne. Marcel Riffard était alors un aérodynamicien réputé, entres autres, pour son travail pour les avions mosquitos de la société Caudron. Le nouveau prototype couvre cette fois intégralement la machine, jusqu'au bas des roues, par une forme en aile d'avion, surmontée d'une excroissance pour la tête du cycliste. La fourche était retournée et la roue avant était plus petite que l'arrière, comme le "Vélo-Torpille" de 1913. L'ensemble pesait 15 kg au total. Une porte latérale permettait de s'installer à l'intérieur et une ouverture frontale de voir à l'extérieur.
La machine est construite par la Société des avions Caudron et comme l'on est jamais aussi bien servi que par soi même, Marcel Berthet, malgré ses 47 ans, se remet en selle. Le 9 septembre 1933 au Parc des Princes, sur son Vélodyne, il établit encore un nouveau " record du monde " de l'heure, en 48 km 600. Cette performance remarquable fut l'occasion d'un échange mémorable avec Charles Mochet (voir le coup de chapeau qui lui est consacré) l'inventeur du vélo couché qui avec son coureur Francis Faure voulait également obtenir cette meilleure performance mondiale gage d'une importante publicité.
Le record est rapidement porté à 49 km 992, toujours sur le même engin deux mois plus tard, sur l'autodrome de Linas-Montlhéry. Il crée pour l'occasion sa propre pédale, la Berthet-Lyotard, en collaboration avec le fabricant Pierre Lyotard. Le record n'est bien entendu pas reconnu par l'Union Cycliste Internationale, mais il relance l'idée d'un autre record celui de la vitesse maximale réalisée par un cycliste quelque soit le moyen technique utilisé pour aller plus vite. En cela, José Meiffret et plus tard Fred Rompelberg à qui nous avons consacré un coup de chapeau, sont les dignes héritiers de Marcel Berthet. C'est aussi dans le Vélodyne qu'il faut trouver l'origine de ce qui deviendra plus tard le VPH (véhicule à propulsion humaine) dont sont finalement beaucoup inspiré les vélos couché de compétition d'aujourd'hui.
Malgré l'énorme publicité que lui apportèrent ces deux nouveaux records, la suite de la carrière de Marcel Berthet fut hélas moins glorieuse. La seconde guerre mondiale cassa littéralement le développement industriel de la société Tron et Berthet. Dans l'immédiat après guerre commença une guerre des prix de plus en plus rude. Positionnée dans le haut de gamme, l'entreprise ne put surmonter la concurrence des produits vendus à bas prix, elle fut contrainte à la fermeture en 1980. Marcel Berthet, décédé en 1953 n'eut pas à connaître la triste fin de sa société.
Je n'ai pas été en mesure de vérifier l'information mais selon certaines sources traitant des problèmes de dopage, Marcel Berthet aurait en 1950, manqué mourir d'une intoxication à l'arsenic. L'arsenic a été utilisé par certains coureurs comme coup de fouet. André Leduq avouera par exemple en 1930 qu'il en a parfois fait usage…
Coureur, entrepreneur, commissaire de course et surtout homme passionné à l’origine de la conception de nouvelles machines, Marcel Berthet a, pendant plus d’un quart de siècle, contribué à l’histoire du cyclisme mondial. Son nom est quelque peu oublié aujourd’hui pourtant au-delà d’avoir inscrit à trois reprises, et à jamais, son nom dans la chronologie du record du monde de l’heure, il a contribué à l’évolution technique de la bicyclette et il est, avec quelques autres, à l’origine du véhicule à propulsion humaine. C’est déjà beaucoup pour un seul homme…
1905 :
1er à Paris - Provins - Paris
1907 :
20 juin Record du monde de l'heure à Paris au vélodrome Buffalo :
* 41 km 620
1909 :
2ème des Six jours de Berlin / Record du monde des 10 kilomètres
1910 :
3ème des Six-jours de Berlin /1er Grosser Pfingstpreis, Cologne
1913 :
7 août Record du monde de l'heure à Paris au vélodrome Buffalo
* 42 km 741
20 septembre
* 43 km 775
Recordman de vitesse sur le kilomètre : 57,3 km/h
3ème de Vichy Lyon
1920 :
2ème des Six jours de Bruxelles
1921 :
1er des Six jours de Bruxelles /4ème des Six jours de Paris
1923 :
4ème des Six jours de Paris
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Jean Durry : "La véridique histoire des géants de la route ", éditions Edita, 1973 |
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