Le Petit Braquet
 
Chronique n° 5
 
 

Graeme Obree

Coup de chapeau à

 

Monsieur Graeme OBREE

 

En ce 17 juillet 1993, le petit monde du cyclisme et des médias spécialisés a le regard tourné vers le tour de France où Miguel Indurain (malgré une belle résistance de Tony Rominger) semble bien parti pour remporter sa troisième grande boucle et réaliser pour la deuxième année le doublé Giro Tour. Maurizio Fondriest en remportant Milan San Remo et la flèche Wallonne a été le grand bonhomme du printemps tandis que la France n'a d'yeux que pour Gilbert Duclos Lassalle vainqueur de son deuxième Paris Roubaix.

Tout va bien, un jeune prodige américain du nom de Lance Armstrong a remporté l'étape Chalons sur Marne - Verdun apportant un peu d'exotisme à l'épreuve au grand bonheur de la Société du Tour de France et de l'UCI. Au sortir des Alpes, l'étape du jour reliant Marseille à Montpellier remportée par Olaf Ludwig devant le remuant Abdoujaparov et Museeuw n'a apporté aucun bouleversement au classement général. Tout va bien… Pourtant ce soir là, un écossais inconnu portant le nom de Graeme Obree (Tiens à part Robert Millar, ils font du vélo ces gens là ?) en Norvège, à Hamar (tiens il y a un vélodrome dans cette ville perdue ?) venait de battre le record du monde de l'heure mettant ainsi tout ce microcosme en émoi. Comment un inconnu, non professionnel de surcroît, pouvait il être capable de battre de près de 500 mètres le record de Francesco Moser ?.

Graeme Obree

Graeme Obree

Ce formidable coup de tonnerre dans un milieu finalement très fermé, suscita l'admiration de la plupart des cyclistes y compris de coureurs professionnels mais les réactions des instances dirigeantes, dérangées dans leur routine furent beaucoup plus mesurées.

Quand je repense à cet événement, je crois que Graeme Obree a probablement été le dernier coureur à nous avoir fait rêver. Apprendre , un jour, en plein tour de France, qu'un coursier sur un vélo bidouillé et avec une nouvelle position était capable d'un tel exploit, ce fut, je crois une grande bouffée d'oxygène et de rêve dans un cyclisme qui était déjà totalement aseptisé. Nous avons été nombreux je crois à l'époque a essayer, quelques instants au moins, par curiosité, cette fameuse position, dite de l'œuf qui pour une puissance égale procurait selon les spécialistes un gain de deux kilomètres/heure à 50 km/h . Quel inconfort, une heure d'un effort total dans cette position malgré ce gain me parut alors un authentique exploit.


17 juillet 1993, Hamar : 51 kilomètres et 596 mètres en une heure.

Reprenons le fil de cette histoire pleine de rebondissements.

Six jours plus tard , Graeme fut dépossédé de son record par un certain Chris Boardman qui avec une position plus conventionnelle réussi à couvrir 52,270km dans l'heure. Tout rentrait dans l'ordre et l'intermède du trublion écossais semblait appartenir au passé. Pourtant aux championnats du monde 1993, toujours dans la ville de Hamar, Obree persistait et s'accomodant fort bien de sa position de l'œuf, il remportait le titre de champion du monde de poursuite individuelle devant Philippe Ermenault et Chris Boardman. Mieux encore il promettait de s'attaquer de nouveau au record de l'heure ce qu'il fit à Bordeaux le 27 avril 1994 en réussissant à parcourir 52,713 kilomètres dans l'heure.

La position d'Obree impressiona, et finalement gagna. Mais les règlements eurent raison d'Obree. Les officiels de l'UCI inventaient en mai 94 une règle qui l'empêchait d'utiliser la position de "l'oeuf". Aux Championnats du Monde sur piste suivants, Obree se présentait avec le même vélo, à la différence près que celui-ci respectait maintenant la nouvelle règle. Il passait facilement les qualifications, mais quelques heures après, l'UCI invoquait une nouvelle règle inconnue et pour cause puisque inexistante, et éliminait Obree.

Mais Obree est un homme têtu et plein de ressources. En 1995, il revient sur le devant de la scène avec des prolongateurs bien plus longs que d'habitude pour s'allonger sur le vélo tout en restant règlementaire. Il créait ainsi la position de "Superman". Encore une fois, le génie parlait. Il remportait ainsi pour la seconde fois le titre mondial de la poursuite individuelle en battant Andrea Collinelli, futur grand spécialiste de la discipline. Un peu plus tard, Chris Boardman repoussait lui toujours les limites du chrono sur le record de l'heure en le portant en position Superman à 56.375 kilomètres, peu avant que Jeannie Longo ne fasse de même avec le record féminin! Mais l'UCI revenait à la charge en Octobre 96 et interdisait de fait cette nouvelle position, en limitant la longueur des prolongateurs. Finalement l'UCI eu raison du génie !!!

Graeme ObreeNous avons la chance, Daniel, le webmaster du site, et moi-même, de connaître depuis fort longtemps Bernard Delample qui avec Armelle sa femme a réalisé la traduction du livre de Graeme Obree "he Flying Scotsman" - "le TGV écossais", je vous propose donc d'évoquer la carrière de Graeme Obree en posant quelques questions à Bernard.

AR - Toi qui a croisé Graeme Obree dans des CLM en Ecosse, qu'est ce qui t'as le plus impressionné chez lui ?
BD - Je l'ai croisé la première fois fin 90 lors d'un Christmas 10', ces chronos qui ont lieu traditionnellement de partout en Grande Bretagne lors de la période de Noël. Par 3 petits degrés maxi et dans le brouillard, il avait remporté ce chrono de 16km à plus de 45 de moyenne, laissant le second à plus de 2 minutes. La semaine suivante, sur une distance équivalente mais plus roulante, je termine 4ème à presque 3 minutes, la cerise sur le gâteau étant qu'il était parti 1 minute derrière moi me rattrapant au bout de 4km à peine. Toute la différence entre un coureur amateur besogneux et un futur champion du monde... Lors de ce second chrono, il ne s'était pas échauffé, ça m'avait impressionné.....

AR- Avant qu'il découvre et adopte sa position révolutionnaire utilisait il un vélo classique de contre la montre ou bien était il déjà en quête d'une position plus efficace ?
BD - Il utilisait déjà un vélo non conventionnel, le guidon retourné, un casque à boudins et des poils aux cannes....

AR - Comment c'est passé son premier puis son second record de l'heure?
BD - Graeme le raconte très bien dans son livre avec une anecdote incroyable concernant le 1er record du monde : à 24h d'intervalle, il s'attaque 2 fois au record de Moser, échouant de peu le premier jour, le battant le second, ce qui est physiologiquement très impressionnant....Et à l'eau minérale, c'est le cas de le dire en adoptant la technique de la vessie.....Boire beaucoup tout au long de la nuit pour ne pas pouvoir dormir suffisamment longtemps d'affilée pour que les muscles restent souples ! Un truc de fou !

AR - Le vélo du premier record, le mythe parle d'un bricolage avec des pièces de machine à laver qu'en est il exactement ?
BD - La machine à laver.....Partiellement vrai ! Pour des raisons techniques, il avait besoin d'un axe de pédalier très court et inexistant dans le commerce....Réfléchissant au problème au fond de l'atelier d'un pote, il se trouve qu'il y avait une machine à laver hors d'usage qui traînait, il a regardé ce qu'il pouvait y trouver et a pris une pièce de la dite machine qu'il a utilisé pour son axe....C'est tout ! Après, bien sûr, les médias ont monté le truc en épingle...Une pièce qu'il a fallu qu'il travaille, qu'il affine...;

AR - Qu'est ce qui a véritablement motivé l'UCI à réagir contre la position Obree ? Il y avait certes une dérive mais au final ne menaçait il pas avant tout le système, l'ordre établi…
BD - Pour la position de l'UCI, ton analyse est la bonne…Verbruggen l'ancien Président de l'UCI et MacQuaid le président actuel lui ont fait beaucoup de mal.

Graeme ObreeAR - Quel est son palmarès en dehors des deux records du monde et des deux titres de champion du monde de poursuite ?
BD - De multiples titres de champion d'Ecosse (peu significatifs certes mais les moyennes l'étaient : 1h 39' pour faire 81 km (50 miles) par exemple.) et de Grande Bretagne (niveau plus relevé) On peut même analyser que son émergence associée à celle de Boardman a précipité la construction du vélodrome de Manchester il y a 10 ans. L'épilogue "mondial"ayant sans doute été début 2004 où il s'était remis en piste pour une tentative contre le Record de l'heure avortée après moins de 12 minutes.

AR - Quelle était sa conception du cyclisme ?
BD - Découvrir le monde et les gens

AR - Inventeur de génie ou coureur de talent ?
BD - Talentueux inventeur ou coureur de génie, pourrais-tu dire aussi.

AR - Finalement il aurait probablement pu faire une autre carrière mais l'UCI, en brisant à deux reprises ses inventions, ainsi que son passage au sein de l'éphémère équipe professionnelle du groupement ne lui ont pas facilité la tache et il semble avoir eu beaucoup de mal à s'adapter au milieu professionnel..
BD - Oui tout à fait. Au départ, il est venu au vélo par la balade et le cyclotourisme. Il est arrivé à la compétition par hasard et il a toujours été tiraillé par une peur de mal faire qui va en faire un champion mais aussi le rendre fragile. Pas diplomate pour un sou il a également parfois été mal conseillé. En fait il était beaucoup plus à l'aise dans l'effort solitaire que dans une équipe.

AR - Quels furent ses rapports avec Boardman qui a souvent été son adversaire dans les courses britanniques ?
BD - Avec Boardman, "je t'aime moi non plus". Boardman a réussi à faire du fric avec ses jambes ce ne fut pas le cas de Graeme pour les raisons que l'on vient d'évoquer.

AR - Qu'est il devenu aujourd'hui ?
BD - Après une période difficile, des problèmes de santé et une tentative de suicide en 2002, il va beaucoup mieux. En 2005 s'est tournée une fiction sur sa vie :" Flying Scotsman" avec Jamie Lee Miller. Le tournage s'est terminé en septembre 2005 (Ecosse et Allemagne). Graeme a fait les "jambes" à l'écran et il a assuré l'assistance technique. Il continue à faire du vélo et il a encore fait 7ème des championnats de poursuite de GB en octobre 2005 dans le temps respectable de 4'41'' je crois. Pas mal pour un quarantenaire. (il est né le 11 sept 1965). J'espère que son film sortira et que le grand public pourra enfin comprendre les dessous et les mystères de ce grand personnage de la fin du XXème siècle du monde du cyclisme.

Merci Bernard pour ces informations qui nous permettent de mieux connaître ce grand champion cycliste, inventeur et visionnaire et chapeau Monsieur Obree.

velo Graeme Obree

 

 

Le livre de Graeme Obree est disponible en anglais et en français

 

 


 
 
     

     Auteur de l'article : Alain Rivolla