Gaston RIVIERRE
En ces dernières années du 19ème siècle, le petit monde de la bicyclette est toujours en ébullition. La bicyclette demeure un objet de progrès et suscite de grands espoirs : « Je vous le dis, en vérité, notre fin de siècle appartient, à la bicyclette » déclare Jacques Mauprat dans son édito du 13 septembre 1891 pour le journal « Le Progrès ». Les innovations techniques, sont nombreuses sans pour autant être toujours concluantes et beaucoup, techniciens ou coureurs commencent à lorgner vers les modes de transport mécanique (automobile, motocyclette) qui ouvrent de nouvelles perspectives. Le cyclisme de compétition tâtonne lui aussi.
C’est un sport en plein développement qui se cherche, qui tantôt relègue la performance sportive au second plan, tantôt s’égare dans des épreuves démesurées, inhumaines ou parfois simplement ridicules…En ce sens, la carrière de Gaston Rivierre est exemplaire de l’évolution et parfois des errements d’une époque passionnante et confuse.
Le Véloce-sport : organe de la vélocipédie française, 1894, www.gallica.bnf.fr
Gaston Rivierre est né le 3 juin 1862 à Asnières-sur-Seine. De son enfance, nous ne savons rien si ce n’est qu’il obtint le baccalauréat à Poitiers en 1879. Il entre à Saint Cyr en 1881 mais il est bientôt réformé pour un début de goitre. A défaut de la carrière militaire dont il rève, Gaston Rivierre entre à Polytechnique. On peut supposer qu’il est issu d’une famille bourgeoise dotée d’une réelle aisance financière car rare étaient celles qui pouvaient inscrire leur fils à Polytechnique, l'institution scientifique française la plus prestigieuse dont le modèle militaire-aristocratique ne laissait aucune place aux fils d’ouvriers. Arrivé sur le tard dans le milieu cycliste, Gaston Rivierre a d’abord fait des études avant de se consacrer à sa passion la bicyclette. A sa sortie de l’Ecole Polytechnique, Gaston Rivierre occupe très vite le poste de directeur du journal « Le forgeron » qu’il a lui-même fondé. Ce travail lui laisse suffisamment de temps libre pour qu’il puisse donner libre cours à son envie de pédaler. C’est à l’âge où beaucoup d’autres commencent sérieusement à songer à leur retraite sportive que Gaston Rivierre décide de se lancer dans la compétition. Il apparaît pour la première fois dans les résultats d’une course en 1893 à l’âge « canonique » de 31 ans, trois ans seulement après avoir commencé à faire de la bicyclette. Peut être a t’il garder de l’enseignement militaire de Polytechnique, la rigueur et le goût de l’effort car très vite il acquiert la réputation d’être un métronome capable d’avaler des kilomètres pendant des heures et des heures sans sourciller. Toute sa carrière, il excellera dans les courses de grand fond nécessitant une résistance physique exceptionnelle et une volonté de fer. Le bol d’Or et le record des 24 heures décroché à deux reprises seront outre Bordeaux-Paris les fleurons de son palmarès.
Considéré comme un intellectuel du peloton, Gaston Rivierre sera toujours très intéressé par les progrès techniques qu’il n’hésitera jamais à mettre en pratique. Ainsi c’est sur un vélo acatène de la marque MÉTROPOLE qu’en 1896, 1897 et 1898, il remporta Bordeaux – Paris. Il utilisa notamment le modèle baptisé Oméga. Les bicyclettes "acatène " sont des modèles sans chaîne dont l’entraînement de la roue arrière se fait par cardan. Ainsi la chaîne est remplacée par deux jeux d'engrenages d'angle reliés l'un à l'autre par un tube. Acatène est d’abord un brevet déposé par la marque Métropole avant de devenir, par analogie l’ensemble des bicyclettes à cardan. Dans ce système, les engrenages sont renfermés dans des boites-carter parfaitement closes empêchant ainsi l’introduction de corps étrangers pouvant nuire à leur fonctionnement et préservant également un graissage de longue durée (plusieurs mois) sans qu’il soit nécessaire de les démonter. Beaucoup plus lourd qu’une transmission par chaîne, donc plus difficile à lancer, l’acatène présente selon ses constructeurs de réels avantages. Dans un système à chaîne, on se trouve en présence de deux types de frottement : celui des tourillons de chaîne sur les dents du pédalier et du pignon et un frottement de roulement des tourillons dans les maillons (souplesse de la chaîne). Dans l’acatène il n’y a qu’un frottement de glissement des dents d’engrenages les unes sur les autres. A cela s’ajoute le fait que, par tour de pédale, le chemin parcouru par les engrenages est moindre à celui de la chaîne. Selon certains calculs effectués à l’époque la transmission par chaîne comporte une déperdition supérieure à celle d’une transmission par engrenage.
Efficaces dans la boue, le sable et la poussière, les acatènes eurent leur heure de gloire avant d’être abandonnées. Les détracteurs de ce système dont Vélocio fit partie avec l’intelligence critique qu’on lui connaît, affirmaient à juste titre qu’outre la difficulté de démarrage et la lourdeur de l’acatène, la perte de rendement par rapport à une bicyclette à chaîne était rédhibitoire. Une étude américaine que cite Raymond Henry dans son monumental livre sur Vélocio confirma cela en faisant apparaître une perte de rendement de 5 à 8 % des acatènes par rapport aux machines à chaînes.
C’est dans Bordeaux Paris qu’il remporta trois fois consécutivement ainsi que dans les courses sur piste de longue distance que Gaston Rivierre va construire sa réputation de métronome infatigable. A l’époque, comme nous l’avons écrit en introduction le cyclisme de compétition est loin d’être figé autour de quelques grandes courses mythiques bien au contraire il se cherche ou plutôt il cherche les épreuves capables d’attirer les foules et de construire leur propre légende. Les instances internationales n’en sont encore qu’à leurs balbutiements (l’UCI sera créée en 1900) et l’on assiste à une surenchère dans la démesure. Les épreuves de 24 heures, voir même de 72 heures, les défis sur 1000 kilomètres se multiplient. Sur route Paris-Brest-Paris n’est désormais plus la seule course au long cours, Bordeaux-Paris, Lyon-Paris Lyon, Paris-Nantes-Rouen-Caen-Paris tentent de lui faire concurrence. Sur de tels distances, les principaux adversaires de Gaston Rivierre ont pour nom Lucien Lesna, Tom Linton (Angleterre), Constant Huret, Mathieu Cordang (Pays Bas), Jean Marie Corre, Charles Meyer (Danemark), Charly Miller (USA) et Maurice Garin.
Pour quelques temps encore les épreuves de ce genre vont se développer mais le public va finalement très vite se lasser de regarder pendant des heures des coureurs tourner en rond sans aucun suspense.
En l’absence de règles strictes, les épreuves derrière entraineurs courent elles aussi à leur perte. En effet, on assiste dans ce domaine à une véritable course à l’armement. Avec le professionnalisme et l’argent engagée par les grandes marques de l’époque, les meilleurs coureurs possèdent les meilleurs et les plus nombreux entraîneurs. L’éthique sportive telle que nous l’apprécions aujourd’hui n’existe pas. Sur une épreuve comme Bordeaux-Paris comment un coureur sans entraîneur pouvait il lutter face à des cadors qui possédaient une équipe performante pour le protéger du vent et l’emmener à grande vitesse vers la ligne d’arrivée.
Il y eut tout d’abord une multitude d’entraîneurs sur vélo, sur tandem voir sur triplette. Ainsi en 1893 lors du célèbre match sur 48 heures entre Charles Terront et Jean Marie Corre, le premier a parmi ses nombreux entraîneurs Paul Médinger (6 fois champion de France de sprint) et Jules Dubois (champion de France de demi fond) tandis que le second s’est entouré de Maurice Farman (vainqueur de Paris Clermont) et Louis Cottereau (vainqueur de Bordeaux-Paris). Sur piste comme sur route ceux qui ont pratiqué le cyclisme savent bien le gain en terme de protection face au vent que peut apporter l’abri d’un ou de plusieurs coureurs. On ne sait pas encore définir le rapport entre le poids et la puissance développée par le coureur alors certains pensent même que le développement des entraîneurs favorisera les petits gabarits. « Le demi-fond est déjà et deviendra de plus en plus le triomphe des poids légers, qui s’en vont, aspirés en quelque sorte par le multicycle qui les entraîne, emportés comme un fétû de paille dans la colonne d’air qui, divisée par la machine d’entraînement se referme derrière eux. Les véritables athlètes, solidement musclés, sont et seront de plus en plus handicapés dans ces sortes d’épreuves où leur poids se fait sentir et où leur silhouette offre une surface, sur laquelle le vent, en dépit des « pace-makers » parvient à avoir prise. » ( Le Véloce-sport 11/03/97). Puis comme l’entrainement humain ne suffisait pas on passa à l’entrainement motorisé. Dès 1894, on fît même des tentatives d’entraînement avec des bicyclettes ou des tandems électriques preuve qu’en ce domaine on avait déjà tout inventé. Le tandem électrique de la marque Pingault fut notamment utilisé par Linton et aussi par Lombard qui battit ainsi le record du monde du 500 mètres et du kilomètre.
C’est dans ce contexte où le mode d’entraînement et la qualité de son organisation prennent le pas sur la performance sportive que Gaston Rivierre remporta son second Bordeaux-Paris en 1897. Pour la première fois, certains coureurs dont Gaston Rivierre, toujours à l’affut d’une innovation technique susceptible de lui apporter performance et confort, utilisèrent des automobiles comme mode d’entraînement. L’article ci-dessous, montre les interrogations soulevées par cette intrusion de l’automobile dans les courses cyclistes. Déjà certains commençaient à percevoir que le cyclisme s’engageait dans une voie sans issue et qu’il risquait d’y perdre son âme.
Le Véloce-sport : organe de la vélocipédie française, 20/05/1897, www.gallica.bnf.fr
Face à cette polémique, le comte De Dion, pourtant fervent partisan de l’automobile, se prononça sans ambages et avec humour pour la fin de tout entraînement.
On ne peut blâmer Gaston Rivierre d’avoir su utiliser au mieux les possibilités qui lui étaient offertes pour se protéger et avancer plus vite que ses adversaires. En l’absence de règles précises, ce n’est pas toujours le plus fort qui triomphe mais plutôt le plus malin, celui qui sait le mieux s’entourer. Gaston Rivierre, de par sa formation, ses compétences en mécanique mais aussi par son attrait pour les deux roues motorisées va désormais se partager entre ses deux passions. La aussi la confusion des genres est totale mais cela est tout à fait logique car il s’agit d’abord de bicyclettes à moteur. Dans les premières courses de motocyclettes, on retrouve bon nombre de coureurs cyclistes peu dépaysés par le pilotage de ces nouveaux engins si proches de leur machine de course. Alessandro Anzani et Marius Thé feront d’ailleurs, quelques années plus tard, une belle carrière en tant que pilote. Le 18 juillet 1897, lors de l'inauguration du Stade-Vélodrome du Parc des Princes à Paris des courses de motocyclettes sont organisées. Gaston Rivierre sur bicycle à moteur De Dion-Bouton, remporte la première série et signe le meilleur temps de la journée à 40,8 km/h. Le 22 juillet 1897, on trouve également Gaston Rivierre sur la liste des engagés de la course de Paris Dieppe au guidon d’une bicyclette à pétrole de sa création.
Le technologiste, 1897, www.gallica.bnf.fr
Après un troisième succès consécutif dans Bordeaux-Paris en 1898, Gaston Rivierre part avec Stéphane aux USA effectuer quelques courses (six jours et duel) mais l’aventure se solde par un échec pour les deux français qui furent confrontés à de solides adversaires et à un public visiblement beaucoup moins ouvert aux étrangers que celui qui fréquentait les vélodromes parisiens.
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Gaston Rivierre est devenu une personnalité incontournable du cyclisme parisien, présidant même le syndicat des coureurs. Il commence probablement à songer à la fin de sa carrière et tout en continuant à courir dans les deux disciplines, il rêve d’un dernier grand succès : Paris-Brest-Paris. Cette course se déroule tous les dix ans et la prochaine édition doit avoir lieu le 16 août 1901. Le 29 mai Gaston Rivierre, sur machine Werner, remporte le Paris-Bordeaux moto. Il a parcouru les 558 km en 12 h. et 26 minutes. On peut être surpris qu’un homme aussi méticuleux dans sa préparation et dans l’organisation de son service d’entraînement, se soit amusé à participer à une épreuve aussi pénible aussi peu de temps avant ce dernier grand défi. Peut être a-t-il considéré que le fait d’être régulièrement obligé de pédaler pour accompagner le mouvement de la motocyclette constituait une bonne préparation pour une aussi longue distance. A 39 ans, Gaston Rivierre est un des favoris de l’épreuve mais malgré toute son envie de vaincre et toute sa hargne, il ne pourra rien face à Maurice Garin qui sur la distance de 1200 kilomètres le devança d’une heure et 55 minutes. Hyppolyte Aucouturier compléta le podium. Tout comme le Suisse, Michel Frederik, quatrième de l’épreuve, Gaston Rivierre utilisa pour cette épreuve une bicyclette à acatène, fidèle à ce mode de transmission auquel il croyait toujours. Ce fut la dernière course de notre homme qui pourtant resta toujours proche du milieu cycliste. La soixantaine passée, il est encore actif et il est agent général pour la marque « le chemineau » créée par Joanny Panel, un ami de Vélocio. Il possède un magasin à Levallois-Perret et comme autrefois avec le système Acatène il fait la promotion du dérailleur mis en place par Panel auquel il croît beaucoup.. En 1924, Gaston Rivierre préside le club des ancêtres, club cycliste où l’on retrouve notamment Jules Dubois, Georges Lorgeou et le Docteur Ruffier. Il continue à pratiquer régulièrement la bicyclette et on le retrouve avec son conscrit, Jules Dubois, au départ du critérium des anciennes gloires de Chanteloup les Vignes.
La Pédale. Revue hebdomadaire de la bicyclette et de ses accessoires, 27/05/1924 http://gallica.bnf.fr/
Gaston Rivierre est décédé le 1er décembre 1942 à Levallois-Perret.
Dans une période charnière où le cyclisme cherche sa voie, le parcours de Gaston Rivierre est profondément emblématique de l’absence de règle et de la volonté d’aller toujours plus vite toujours plus longtemps qui régnaient dans cette discipline. Profitant au mieux des innovations techniques qui s’offraient à lui, Gaston Rivierre, spécialisé dans les épreuves au long cours, a su se construire un magnifique palmarès où l’intelligence compte tout autant que les capacités physiques. Homme de son temps, il ne considérait peut être pas, comme nous le faisons aujourd’hui, le sport uniquement sous l’angle de la performance physique et il a, tout au long de sa carrière, été en recherche de ce qui pourrait lui permettre de rouler plus vite et plus loin. Homme de progrès, il a cru à l’acatène comme mode de transmission et lui a apporté de grandes victoires avant de promouvoir la bicyclette à pétrole puis le dérailleur Venu au vélo sur le tard, il lui a pourtant consacré une grande partie de sa vie car, comme beaucoup, il avait succombé aux charmes ensorceleurs de la petite reine…
1892
- 11ème de Paris-Nantes-Rouen-Caen-Paris
1893
- 7ème de Bordeaux-Paris,
- 1er de la catégorie « routiers » Record Calais Marseille
1894
- Lyon-Paris-Lyon 1 000 km de Paris
- 3ème du Bol d'or
- 3ème de Paris-Saint Malo
- 1er de Caen Cherbourg en tandem avec Omer Beaugendre
- 7ème de Paris-Bar le Duc avec Omer Beaugendre sur un tandem (classement commun avec les routiers)
1895
- 3ème du Bol d'Or En juillet sur le vélodrome « le parc » de Bordeaux, il améliore le record des 24 heures en atteignant 842,613 kilomètres.
- 4ème des 6 heures de Paris Buffalo
1896
- Bordeaux-Paris ex aequo avec Tom Linton Bol d'Or En juin, il reprend le record des 24 heures et le porte à 859,120 kilomètres sur le vélodrome Buffalo sur Acatène Métropole
- 1897 Bordeaux-Paris 4ème de Paris-Roubaix
- 1898 Bordeaux-Paris 2ème des 72 heures de Paris
- 1899 4ème de Bordeaux-Paris Vainqueur de la troisième catégorie de Paris Saint Malo, course automobile organisée par l’Association Vélocipédique d’Amateurs. La troisième catégorie pourrait bien être la catégorie bicyclette à moteur compte tenu du temps qu’il a réalisé : 11h 44 m pour 370 kilomètres.
1901
- 2ème de Paris-Brest-Paris
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