Paul BOURILLON
De nombreux cyclistes ont connu un destin hors du commun et tout au long de ces chroniques nous avons croisé des inventeurs, des explorateurs, des pionniers de l’aviation et de l’automobile, mais jamais d’artiste à croire que l’intelligence du cycliste se porte vers la mécanique où les grands espaces. Pourtant, près d’un siècle avant Yannick Noah, un grand champion cycliste, Paul Bourillon a réussi une reconversion surprenante dans les arts lyriques. Paul Ernest Bourillon est né le 14 janvier 1877 à Marmande, chef lieu d’arrondissement du Lot et Garonne. Son père qui possédait un atelier de serrurerie, comprit très vite que la bicyclette allait connaître un grand succès et dès 1888, il se diversifia en créant un atelier de vente et de réparation de bicyclette. C’est dans ce milieu tout acquis à la cause de la petite reine que se déroula l’adolescence de Paul qui dès l’âge de quinze ans participa à ses premières compétitions.
Coureur précoce, Paul Bourillon progressa doucement mais surement et bien qu’ignoré des parisiens, il fut bientôt très connu dans sa région. A partir de 1894, il s’impose quasi systématiquement dans toutes les épreuves juniors auxquelles il participe et il commence à bien figurer dans les « internationales ». L’internationale peut être considérée comme l’épreuve reine de toute réunion sur piste. Certes, il reste le plus souvent dans son sud ouest et il n’a pas en face de lui une très forte opposition mais il progresse et s’approche chaque jour un peu plus du haut niveau. Battu par Médinger lors de l’Internationale de Vichy, il s’impose à Aix en Provence, Toulouse et à Pau devant Henri Loste et Fossier qui, sans être des cracks, sont considérés alors comme d’excellents coureurs.
En 1895, il progresse encore et il n’a plus véritablement d’adversaire à sa taille en province. Au début du mois d’août, il se décide, selon l’expression consacrée, à monter à Paris pour affronter les ténors français et étrangers comme Jaap Eden, qui faisaient déjà les beaux jours du vélodrome Buffalo et de la Municipale. Le 15 août, lors des championnats de France qui se déroulaient cette année là à Levallois, Paul Bourillon est opposé au gratin du sprint français : Morin, Antony, Gougoltz, Jacquelin. La finale, qui à l’époque opposait 4 coureurs, il s’inclina face à Gougoltz mais cette deuxième place le révéla au public parisien. Athlétique et puissant : 1m 78 pour 80 kilos, malgré son style heurté et des embardées qui e firent souvent disqualifié, Paul Bourrillon tutoie les sommets mais il échoue aux places d’honneur dans toutes les grandes épreuves du calendrier français. Toujours placé mais jamais vainqueur disait-on de lui à l’époque. Il semble en fait que Bourillon manqua d’abord terriblement de confiance en lui et chaque fois qu’il se trouve opposé à un adversaire qui ne lâche pas prise au premier coup de boutoir, il perd ses moyens, se désunit et s’incline sans gloire. Difficile de dire quand le déclic se produisit mais il semble que ce soit lors des championnats du monde du mille qui se déroulèrent à Copenhague, le 15 août 1896 et qu’il remporta devant Jacquelin. Le surplus de confiance emmagasiné lors de cette victoire va jouer un rôle déterminant dans la suite de la carrière de Bourillon qui pendant deux ans va remporter la plupart des grandes épreuves du calendrier internationale : Grand Prix de l’UVF, Grand Prix de Paris, d’Anvers, de Bruxelles, de Berlin, de Hanovre ainsi que le championnat de France.
Durant la période 1896/1898 qui constitue le sommet de sa carrière, Bourillon monnaye ses talents un peu partout en Europe. On le retrouve à Florence, à Odessa, à Glasgow, et plus régulièrement encore sur les vélodromes Belges et Allemands enchainant un calendrier parfois démentiel. Ainsi en 1897, début août il est à Glasgow, les 8 et 9 il est à Berlin, le 10 à Anvers, le 11 à Blankenberghe, le 15 à Hambourg, du 18 au 22 à Leipzig, le 29 à Coblentz avant de participer au meeting de Cologne les 4 et 5 septembre. A une époque, où les transports s’effectuent par train et par bateau pour rejoindre l’Angleterre, on peut se demander comment Paul Bourillon a pu tenir une cadence aussi infernale sans dommage. Paul Bourillon su rester fidèle à sa ville et s’y faire aimer par des gestes que ses concitoyens surent apprécier à sa juste valeur. Il était en même temps un bon commercial pour son père. En effet en 1897, il convainc son père qui dans son magasin de cycles profitait chaque jour de la notoriété de son fils, de faire construire un vélodrome doté d’une petite piste de 310 mètres en bois. A Pâques 1897 pour fêter l’ouverture du vélodrome de Marmande, Paul Bourillon organisa un meeting pour lequel il constitua une équipe parisienne qui avait fort belle allure : Morin, Gougoltz, Lamberjack et Thibaudin accompagnèrent l’enfant du pays dans une exhibition qui localement fit grand bruit. Ambitieux, toujours désireux de donner le meilleur de lui-même, Paul Bourillon a souvent su faire preuve d’excellentes qualités tactiques mais et c’est cela le revers de la médaille, son caractère têtu et fier la conduit à avoir une attitude souvent incompréhensible et hautaine vis-à-vis des commissaires de courses et du public. Ainsi lors du grand Prix de Paris 1897, l’attitude entêtée et pour le moins incompréhensible qu’eut Paul Bourillon le priva très probablement de la victoire et du soutien du public. Très facile vainqueur de sa demi finale face à Momo et Nieuport, Paul Bourillon retrouve en finale Morin et Nossam qui avait réussi l’exploit de se débarrasser de Jacquelin et Protin lors de sa demi finale. Prenant la tête à l’entrée du dernier virage, Bourillon s’est rabattu au milieu du virage, gênant Nossam alors que Morin sur l’extérieur et probablement déjà battu n’était nullement ralenti par l’écart du coureur de Marmande qui l’emportait aisément. Le coupage étant patent, les commissaires, fort logiquement, déclassèrent le vainqueur et proposèrent comme le règlement les y autorisait, que l’épreuve soit purement et simplement recourue. Nossam et Morin acceptèrent mais Bourillon s’y refusa obstinément. Devant ce refus, les commissaires le déclassèrent définitivement. Visiblement le plus fort des trois, Bourillon par son obstination incompréhensible, a perdu la course alors qu’il n’avait déjà plus rien à perdre. De plus, il se mit à dos une bonne partie du public frustré par une course gagnée sur le tapis par Morin et qu’il aurait mille fois préféré voir recourir. Fierté mal placée, incapacité à admettre son erreur, les exemples comme celui-ci, sont suffisamment nombreux pour qu’il n’y ait aucun doute sur le caractère difficile de Paul Bourillon qui régulièrement terni l’image du grand champion qu’il était. Dès 1898, alors qu’il figurait toujours parmi les meilleurs sprinteurs du monde, Victor Breyer et Robert Coquelle les auteurs du livre « Les rois du cycle » écrivaient : A défaut de la science du chant, Bourillon possède une belle voix chaude, très agréable à entendre. Les connaisseurs assurent qu’il aurait fait un excellent chanteur ; à ce sujet nous nous souvenons encore du « tuyau » que lança un jour un reporter en mal de copie : Bourillonallait quitter le sport cycliste pour entrer au Conservatoire ! La vérité, c’est qu’un professeur de chant lui avait un jour offert de le prendre sous la direction, lui ayant découvert des aptitudes et se faisant fort de le faire arriver jusqu’au Conservatoire. Les choses en restèrent là et Bourillon se borne à faire les charmes des réunions cyclistes, banquets, soirées ou autres auxquelles il se trouve convié. La reconversion de Paul Bourillon, si elle avait été maintes fois évoquée, semble être intervenue progressivement au cours de l’année 1900. Toujours coureur en début de saison, si l’on en croit le classement des sprinteurs, publié par le très sérieux bulletin officiel de l’Union Vélocipédique de France, le 10 mars 1900, Bourillon n’apparaît plus que rarement dans les classements et en tout cas jamais au niveau qui avait été le sien, durant les trois années précédentes. On retrouve néanmoins sa trace lors de deux grandes épreuves courues durant la saison : le traditionnel Grand Prix de Paris, éliminé en série et le Grand Prix de l’Exposition (Universelle) battu en demi-finale.
Comme tous les grands pistards de l’époque, Paul Bourillon était un homme connu, habitué à certaines mondanités. Il aime, comme sur la piste avoir un public qui le regarde et qui l’admire. Etre connu, reconnu, avoir sur soi la lumière vive de la popularité voilà probablement ce dont ce petit provincial issu d’un milieu modeste où les arts et la culture ne sont pas une fin en soi, a toujours rêvé. Attiré par le chant pour lequel il possédait un réel talent, le Marmandais est aussi à l’aise sur les planches des théâtres que sur celles des vélodromes. Il fait à 23 ans ce qui est très jeune, le choix de l’art lyrique plutôt que l’art vélocipédique. Les coureurs sur piste ne sont finalement que des troubadours, des gens de peu, que l’on admire, comme des bêtes de cirque pour leur force physique, alors qu’un artiste lyrique est, en ce début de 20ème siècle, encore considéré comme un aristocrate dans le monde des arts. De saltimbanque, courant le cachet d’un vélodrome à l’autre, à ténor jouant les premiers rôles dans des spectacles de renom, l’occasion est trop belle pour être ratée. Passer de l’un à l’autre, constitue une véritable ascension sociale que Paul Bourillon, a sans nul doute, fort bien mesurée
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Le Journal amusant : journal illustré, journal d'images, journal comique, critique, satirique, etc. 1911/04/15 |
Palmarès 1894
- - 1er de l’Internationale de Toulouse
- - 1er de l’Internationale de Pau
Palmarès 1895
- - 2ème du championnat de France de vitesse
- - 2ème du Grand Prix de Paris de vitesse
- - 2ème du Grand Prix d’Alexandrie de vitesse
- - 3ème du Grand Prix de Florence de vitesse
- - 3ème du Grand Prix de l’UVF de vitesse Record du ¼ de miles en tandem ave Tony Reboul à Vincennes le 10 oct en 24 s 4/5 (homologué par l’UVF)
- Record du 100 mètres, le 14 août en 10 s 2/5 et record du 250 mètres en 21 s au vélodrome de la Seine.
Palmarès 1896
- - Champion du Monde du mille à Copenhague
- - Champion de Grande Bretagne des 15 miles
- - 1er du Grand Prix de Genève
- - 3ème du championnat de France de vitesse
Palmarès 1897
- - Champion de France de vitesse
- - 1er du Grand Prix d’Anvers
- - 1er du Grand Prix de Berlin
- - 1er du Grand Prix de Bruxelles
- - 1er du Grand Prix de Hanovre
- - 2ème du Grand Prix de Leipzig
- - 2ème du Derby du Rhin
- - 3ème du Grand Prix de l’UVF de vitesse
- - 3ème du Grand Prix de Paris de vitesse
- - 4ème des Championnats du Monde
Palmarès 1898
- - 1er du Grand Prix de Berlin
- - 1er du Grand Prix de Paris
- - 1er du Grand Prix de Roubaix
- - 1er du Derby Autrichien 2ème du Grand Prix d’Allemagne
Palmarès 1899
- - Champion de France de vitesse
- - 1er du Grand Prix d’Anvers
- - 3ème du Grand Prix de Turin
- - 3ème du Grand Prix d’Italie de vitesse
Palmarès 1900
- - Eliminé en série par Jenkins lors du Grand Prix de Paris au mois de juin
- - Eliminé en demi-finale du Grand Prix de l’Exposition, Vincennes, sept 1900
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