Jean Marie Corre
Né le 21-05-1864 à Tremel en Bretagne, dans le département des Côtes du Nord, Jean-Marie Corre porte le même prénom que son père qui était forgeron de son état. Marie-Jeanne Héninquin, sa mère s’occupait du foyer. Rien ne prédestinait le petit Jean Marie à devenir un coureur cycliste de talent. Jusqu’à l’âge de 23 ans, il voyagea beaucoup dans toute la Bretagne pour son travail dans le domaine de la métallurgie. Par goût pour la mécanique et pour la bicyclette il aurait fabriqué de ses mains des bicycles en bois avec lesquels il se promenait de temps en temps. Ce n’est qu’en 1889, qu’il prend vraiment goût pour la bicyclette. Il aurait alors voyagé pendant près d’un an et c’est cela qui lui aurait donné envie de faire de la compétition. Il ne nous a pas été possible de vérifier cette information qui nous parait pour le moins douteuse. Elle apparaît dans un portrait dressé par le journaliste « Eau Forte » pour le journal « le Véloce-sport » du 12 janvier 1893 pour annoncer le match qui va opposer le jeune coureur Breton au redoutable Charles Terront. Tout laisse à penser qu’il s’agit là d’une histoire inventée ou pour le moins fortement amplifié par un journaliste désireux de présenter l’adversaire de Terront sous son meilleur jour. Dans la réalité, on retrouve trace de Jean Marie Corre pour la première fois en juillet 1890 lors d’épreuves régionales sur piste à Pontrieux, chef lieu de canton des Côtes d’Armor.
C’est l’année suivante, en 1891, qu’il va éclater véritablement au plus au niveau en réalisant une formidable performance à la fin mai, dans Bordeaux – Paris. Jean Marie Corre surpris alors les observateurs car, sans préparation véritable et sans entraineur, il tint longtemps tête aux meilleurs avant de décrocher une étonnante huitième place. Il fît mieux encore lors de Paris - Brest - Paris quelques mois plus tard. Toujours sans entraîneur, sur une machine très lourde et équipée de caoutchouc creux, il réussit durant de longues heures durant à s’accrocher à la roue de Jiel-Laval pour atteindre Brest en 3ème position. Dans un état physique déplorable, il aurait été contraint par les médecins la course de se reposer environ dix heures avant de pouvoir repartir enfin et de terminer 4ème à Paris. Sa carrière est désormais lancée et en novembre il s’installe dans la capitale et rejoint le club des cyclistes de Paris. Il retrouve sa Bretagne natale avec plaisir chaque fois qu’il le peut et le 17-08-1892 à Plestin les Grèves, il épouse Marie Augustine Kerharo.
« L’industrie Vélocipédique » janvier 1895
Les 6, 7 et 8 septembre 1892, il refait le parcours de la course Paris - Brest - Paris et il boucle les 1000 kilomètres du parcours en 58 heures et 35 minutes. Le vieux Charley, vainqueur de la première édition, sur un parcours plus long (1196 kilomètres en 71 heures et 22 minutes), n’apprécia pas cette performance et il s’en suivi une très vive querelle entre les deux hommes ; Terront accusant Corre d’avoir été aidé dans les côtes par « latire et lacorde » (Véloce Sport du 15/10/1892). Corre, vexé, défia Terront sur piste avec ou sans entraîneur, laissant ainsi à son adversaire le choix des armes. Après de longues discussions et des négociations financières, Terront n’acceptant de sortir de sa retraite que pour la somme de 5000 francs et sur une distance de 1000 kilomètres, la rencontre fut enfin programmée. Le match fut couru les 24, 25 et 26 février 1893 et il vit la victoire de Terront en 41 heures, 58 minutes et 52 secondes. Dans le même temps, Corre, qui n’a jamais démérité, a couvert 991 kilomètres. C’est ce courage et cette résistance sans faille qui vont le faire apprécier du public parisien et bien que battu, il sortit de ce match grandi.
Sur cette course d’une durée de 42 heures, Terront s’est arrêté seulement 18 minutes et Corre 29, ce qui donne une idée de l’endurance phénoménale des deux hommes.
Jean Marie Corre gagne désormais un peu d’argent grâce à la bicyclette mais cela ne suffit probablement pas pour subvenir correctement aux besoins de son ménage et dès 1893, il ouvre un magasin de cycles au 239 boulevard Pereire.
Pour la saison 1894, Jean Marie Corre rejoint le club de Levallois-Perret qui possède déjà en son sein un très grand champion en la personne de Lucien Lesna, (voir coup de chapeau que nous lui avons consacré). C’est d’ailleurs dans cette commune qu’il va, parallèlement à la compétition, développer son activité de fabrication de bicyclettes dès 1895.
Les 6 et 7 janvier 1894, toujours au Vélodrome d’Hiver, il participe de nouveau à un match sur 1000 kilomètres cette fois ci contre Auguste Stephane, le vainqueur de Bordeaux – Paris 1892. Celui-ci l’emporte très nettement en 39 h 28 minutes et 8 secondes. La performance de Jean Marie Corre est fort décevante malgré qu’il ait été entrainé pour ce match par un certain Henri Desgranges et sa réputation de coureur solide et dur au mal en prend un sérieux coup. Les 25 et 26 avril 1894 sur le Vélodrome de Lille, il est opposé à Gaston Pachot, un coureur moins talentueux que ses deux précédents adversaires, et cette fois ci il s’impose couvrant les 1000 kilomètres en 40 h 36 minutes et 36 secondes. En décembre 1894, lors d’un match à 4 contre Chevreuil, Charles Meyer et Gaston Rivierre, il est de nouveau battu par Rivierre qui couvre la distance en 34 h 53 minutes et 38 secondes ce qui représente un gain de plus de 7 heures par rapport à la performance de Terront réalisée à peine deux ans auparavant.
Notons qu’en cette année 1894, Jean Marie Corre a couru trois matchs de 1000 kilomètres. On peut s’interroger sur l’intérêt de ces courses mais aussi sur l’impact d’épreuves d’endurance de ce type sur la santé des participants. Pédaler, certes derrière entraîneur, mais pédaler tout de même, pendant près de 40 heures en ne s’arrêtant que quelques dizaines de minutes, doit probablement laisser de profondes traces dans l’organisme. Ces courses qui poussent les individus à l’extrême limite de leurs capacités furent d’ailleurs un terrain propice aux expérimentations douteuses et au dopage.
Jean Marie Corre a la réputation d’être têtu mais, comme les journalistes ajoutent à chaque fois, « comme un Breton », il s’agit probablement plus d’une expression vide de sens plutôt que d’un véritable trait de caractère du bonhomme. Coureur de petite taille, râblé, 1 mètre 62 pour 62 kilos, Jean Marie Corre est un homme courageux mais nerveux qui agit parfois trop vite, sans écouter les conseils de son entourage. Il commet ainsi des erreurs tactiques qui lui font perdre des courses. C’est peut être pour ces raisons qu’à la suite de sa pitoyable défaite contre Stephane, il se trouva victime de la défaveur et de la déconsidération du public. Il est alors présenté comme Raymond Poulidor le fut à son époque, un éternel deuxième, qui quoi qu’il accomplisse, demeure un éternel vaincu, voué aux secondes places. Alors que Poulidor a su toucher le cœur du public en montrant du courage et de la grandeur dans ses défaites face à Anquetil puis à Merckx, au contraire Jean Marie Corre est mal aimé à cause de ses échecs. Il est injustement considéré comme un looser sans envergure. C’est peut être pour cette raison, qu’il va désormais orienter différemment sa carrière. Certes il est moins présent dans les compétitions classiques mais il profite de la notoriété acquise au fil des années pour se consacrer prioritairement à des records de longue distance, et contrairement à ce que l’on peut lire un peu partout à son sujet, Jean Marie Corre n’a pas arrêté sa carrière en 1895 mais en 1897.
Peu de temps, après un fort beau Bordeaux – Paris terminé à la deuxième place, Jean Marie Corre décide de se lancer dans un Tour de France afin d’établir un record dont on peut se demander quel intérêt sportif il peut avoir.
En accomplissant des étapes quotidiennes d’environ 200 kilomètres, il boucla son périple en 25 jours ce qui n’a finalement rien d’exceptionnel d’autant qu’il a bénéficié d’entraineurs sur une bonne partie du parcours. Si l’on en croît la presse de l’époque, il a reçu en de nombreux lieux un brillant accueil. L’idée d’un tour de France à bicyclette éveillait déjà un écho positif et fascinant dans le cœur des foules. Il ne fut pas le seul à réaliser un tour de France à bicyclette mais n’est ce pas en se remémorant ces diverses tentatives individuelles que Géo Lefebvre souffla l’idée de la Grande Boucle à Henri Desgranges.
Nous l’avons vu notre homme a le sens des affaires et à la vue de la publicité ci-dessus on peut se demander si, plutôt qu’un record, il ne s’agissait pas d’une vaste opération publicitaire, pour lequel le Breton mis ses talents d’avaleurs de kilomètres. En 1896, Jean Marie Corre prend part à la course Moscou – Saint Petersburg. Des pluies diluviennes s’abattent sur les concurrents qui très rapidement, se retrouvent avec de l’eau jusqu’au pédalier. Notre Breton joue de malchance et il brise sa roue avant dans un caniveau. Ne voulant pas avoir effectué ce long voyage pour rien, il décide de s’attaquer au record Saint Petersburg – Paris de son vieil ennemi Terront, qu’il réussit à battre assez nettement.
L’année suivante durant le mois de septembre, il s’attaque au record des 24 heures sans entraîneur, sur le vélodrome de Rouen. Il réussit une performance remarquable en accomplissant 671 kilomètres et 963 mètres soit une moyenne horaire qui avoisine les 28 kilomètres heure. Ce sera son dernier exploit. Depuis quelques temps déjà, Jean Marie Corre regarde avec attention le développement de la motocyclette et de l’automobile. Il ne sait probablement pas encore comment s’y prendre mais il a l’intime conviction qu’il y a beaucoup à faire et que son avenir passera par ces nouvelles machines.
En octobre 1897, peu de temps après avoir établi le record des 24 heures sans entraîneur, Jean Marie Corre a fait part à un journaliste de son désir de ne plus faire de course sur piste, il se dit blasé, sans motivation. Il n’a plus la flamme intérieure qui l’avait poussé jusqu’à présent à avaler des kilomètres en faisant abstraction de la souffrance musculaire et de l’irrépressible envie de dormir qui assaille un moment ou un autre le coureur au long cours. Notre Breton n’est pas homme à rester sans rien faire. Il a déjà préparé sa reconversion et il signe très vite un contrat avec une célèbre « maison de motocycles » selon l’expression de l’époque en tant que pilote. Il a l’intention d’établir le record Saint Petersburg - Paris en tricycle à pétrole. Dès novembre 1897, on le retrouve participant à la tentative de record à motocyclette sur le trajet Paris – Berlin.
Durant les deux années qui suivent, Jean Marie Corre participe avec succès à des courses de motocyclette et de tricycles à pétrole : vainqueur du critérium des entraineurs 1898, sur tricycle Fouillaron-De Dion, 2ème de la Course Bruxelles-Chateau d'Ardenne-Spa 1898, 3ème de Paris – Amsterdam – Paris. Il continue dans le même temps à développer son affaire de production et de vente de cycles. Dès 1899, il commercialise une voiturette à système Renault et moteur de Dion – Bouton.
En 1900, il engage une voiturette Fouillaron équipée d'un moteur monocylindre de Dion-Bouton lors du Paris-Toulouse-Paris. Fouillaron est une toute nouvelle marque française qui exista seulement de 1900 à 1914. Jean Marie Corre ne terminera pas la course mais une nouvelle page de sa vie s’ouvre. Les quelques années de compétition sur divers engins, ont convaincu Jean Marie Corre que les véhicules équipés d’un moteur à pétrole sont l’avenir. Il considère toutefois que les automobiles ne sont pas assez fiables pour séduire une vaste clientèle. Il aurait alors tenté, sans succès de faire des propositions à de grandes marques françaises pour rendre les véhicules moins fragiles, condition indispensable selon lui au développement commercial. Mais le coureur cycliste devenu pilote ne réussi pas à convaincre ces industriels qui ont pignon sur rue et il décide de mettre lui-même ses idées en pratique en devenant constructeur. La Société française des Automobiles Corre est fondée en 1901, et démarre une petite production de tricycles et de quadricycles à moteur.
Jean-Marie Corre n’a pas les moyens financiers des grandes entreprises françaises du secteur comme Panhard, De Dion ou Renault, et, pour faire connaître sa nouvelle entreprise, il applique les méthodes commerciales qu’il a vu en pratique dans le monde du cyclisme. Il décide de commencer par la compétition car il est persuadé que les retombées médiatiques lui permettront de se développer. Il construit donc un premier véhicule de course, pour participer au Paris-Bordeaux de 1901. Dotée d'un moteur De Dion-Bouton à soupape d'admission en tête, refroidissement par eau, d’une boîte trois rapports avec transmission par chaîne, la première automobile Corre est, selon les spécialistes, bien conçue mais elle ne termine pas la course. Qu’à cela ne tienne, Jean Marie Corre travaille encore et toujours pour mieux préparer ces véhicules, pour les rendre plus robustes, et, très vite, les premiers résultats arrivent.
Lors de la course Paris – Berlin un des deux véhicules engagés termine la course. En 1902 au Circuit du Nord, malgré de nombreux problèmes, Jean-Marie Corre qui pilote lui-même sa voiture termine dernier. La fiabilité tant recherchée tarde à venir mais Jean Marie Corre ne se décourage pas et sa ténacité finit par être récompensée. La première victoire de la marque intervient à la fin de l’année 1902 lors du Circuit des Ardennes en catégorie "voiturettes". La machine Corre a parcouru les 512 km de l’épreuve à la moyenne de 53,5 km/heure A partir de 1903, les voitures de Jean Marie Corre commencent à se vendre de manière plus "industrielle".
Malheureusement, les première voitures Corre ressemblent étrangement aux modèles Renault, qu’il s’agisse de la première voiturette ou des modèles suivants avec leur capot "alligator" et leurs radiateurs latéraux et le procès est inévitable. La procédure durera au total cinq longues années. Durant cette période Jean Marie Corre diversifie sa gamme et propose de nouveaux modèles afin de développer les ventes. Hélas, le développement réel de la marque n’apportera pas une manne financière suffisante pour assumer la perte du procès et Jean Marie Corre sera contraint en 1907 de vendre sa marque. Corre aura produit 1.100 véhicules environ de 1901 à 1906.
Source : http://www.corre-lalicorne.com
C’est la famille Lestienne, des filateurs industriels du Nord, rachète la Société française des automobiles Corre. La firme est rebaptisée “CORRE-LA LICORNE” en hommage à l’animal mythique représenté sur le blason de la famille LESTIENNE. L’entreprise poursuivit ses activités jusqu'en 1949 sous le nom de La Licorne, avant d'être reprise par Berliet.
La Licorne produisit environ 30.000 véhicules de 1907 à 1949.
Toujours installé à Rueil, Jean-Marie Corre poursuivit de son côté une activité artisanale de fabrication de petites voitures à moteurs 4 cylindres sous la marque Corre, JC ou Le Cor jusqu'en 1913. Il se retira ensuite dans son pays natal où il s’occupa de motoculture. Décédé à l’âge de 51 ans, le 18 septembre 1915 à Guingamp ; il serait inhumé à Plestin les Grèves. L’histoire de Jean Marie Corre est triste car elle se clôt sur un échec mais elle n’en demeure pas moins passionnante à plus d’un titre. Rien ne prédestinait cet homme à devenir un champion cycliste, pourtant à force de courage et d’abnégation, il réussit à se hisser au niveau des meilleurs coureurs de sa génération. Sur piste comme sur route, il fut souvent malheureux et il manque probablement à son palmarès, la grande victoire qui l’aurait fait passer à la postérité. Pourtant cet avaleur de kilomètres à qui 24 heures de selle n’ont jamais fait peur, était d’une endurance exceptionnelle.
Homme simple, travailleur, ne rechignant jamais à la tache, il a caressé le rêve fou de devenir constructeur automobile et de faire la nique aux grandes marques françaises de l’époque en produisant des modèles simples, pratiques et fiables afin de conquérir une large clientèle. L’idée était certes audacieuse mais il s’en fallut de peu qu’elle ne réussisse.
1890
- 2ème de l’internationale de fond
- 2ème de l’épreuve départementale de bicycle et bicyclette de Pontrieux le 20 juillet
- 3ème du championnat des Côtes du Nord sur 4000 mètres, le 20 octobre
1891
- 8ème de Bordeaux – Paris
- 4ème de Paris – Brest (suite au déclassement de Marti le 4ème)
- 8ème de Morlaix –Brest et retour
- 1er de l’épreuve de fond et 2ème du 3000 mètres, sur piste à l’internationale de Lannion le 30/08,
1892
- 2ème de Paris - Clermont-Ferrand
- 2ème d’une course de 12 heures au vélodrome Buffalo au mois de septembre
- 4ème de Toulouse – Bordeaux et retour
- Record du monde des 1000 kilomètres sur route. Trajet : Paris – Brest et retour par Alençon en 58 h 35 minutes et 56 secondes
- 1er de Bâle – Strasbourg et retour ex aequo avec Lesna Lucien
1893
- 3ème de Bordeaux – Paris, catégorie coureur de vitesse
- 3ème des 24 heures de Buffalo en septembre
1894
- Tandem avec Bouhours Emile record des 6 heures : 205 km 746 m et des 12 heures : 399 km 560 (vélodrome de Lille, mars 1894)
1895
- 3ème de Paris - Besançon 2ème de Bordeaux - Paris (1er catégorie routiers)
- 2ème des 12 heures du vélodrome d’hiver, derrière M. Garin (1er janvier 1895)
- 3ème d’une course de 100 km Vélodrome de Bruxelles 17 mars
- 4ème de la course des 100 kilomètres d’ouverture de saison à Buffalo le 7 avril
- 5ème de Paris - Royan
1896
3ème de Paris - Château Thierry, Record Saint Petersburg – Paris : 3000 km en 12 jours et 20 heures 1897 Record des 24 heures sans entraîneur : 671 km 963 mètres, vélodrome de Rouen, 26 et 27 septembre
Pour en savoir plus
REMERCIEMENTS :
- Merci à Pascal « Calumet » pour les éléments qu’il nous a aimablement transmis ainsi qu’à Robin du site www.corre-lalicorne.com/
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