Le vélo comme instrument de guerre. Cette idée qui, de prime abord, peut apparaître comme totalement saugrenue pour un homme du XXIème siècle, l’était beaucoup moins pour les militaires du XIXème siècle qui étaient confrontés à de toutes autres contingences en terme de transport et de transmission de l’information. C’est dans ce contexte que le capitaine Henri Gérard consacra une énergie folle pour concevoir une bicyclette pliante, relativement légère et maniable et pour faire admettre à ses supérieurs, les multiples services que cet engin pouvait fournir à l’armée.
Né le 26 juin 1859 à Condé-en-Brie dans le département de l’Aisne, d’un père gendarme et d’une mère couturière Henri Gérard a envie comme son père de servir son pays. Engagé volontaire le 19 juin 1877, il est élève à l’Ecole Militaire de l’Infanterie de Saint-Maixent d’avril 1884 au 1er mars 1885 Il participe à la campagne du Tonkin en 1887-1888. Il est promu Sous-lieutenant au sortir de l’Ecole Militaire puis Lieutenant en 1888, Capitaine en 1894 avant de devenir Chef de bataillon en 1903.
la bicyclette pliante Capitaine Gérard
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L’utilisation de la vélocipédie dans les armées est rendue officielle en 1887, et l’on commence à penser qu’elle peut avantageusement remplacer le cheval pour un certains nombres de taches d’intendance comme la transmission d’information. En temps de guerre, l’approvisionnement en vivres des troupes est en général l’un des premiers casse-tête du commandement et l’infanterie montée, plus que tout autre corps d’armée a de très gros besoins car il faut alimenter les hommes et les bêtes. Remplacer des chevaux par des bicyclettes qu’il n’est nul besoin de nourrir présente un avantage indéniable dont l’idée fait peu à peu son chemin chez de nombreux officiers français.
Pourtant l’utilisation de la bicyclette ordinaire présente des inconvénients importants car elle contraint les militaires cyclistes à ne suivre que les routes et les bons chemins ce qui en tant de guerre n’est pas forcément le plus efficace et le plus rapide. Persuadé que la bicyclette ne doit pas être cantonnée aux seuls activités de transmission d’information et qu’elle peut jouer un rôle important dans l’infanterie pour les éclaireurs mais aussi pour des unités combattantes Henri Gérard livre ses réflexions en 1893 dans des articles puis l’année suivante, dans un petit ouvrage d’une centaine de pages intitulé : « Le Problème de l'infanterie montée résolu par l'emploi de la bicyclette ». Partant du principe « qu’il fallait faire porter le cycle par le cycliste là où le cycliste ne pouvait être porté par le cycle », Henri Gérard, alors Lieutenant dans l’infanterie au 87ème de ligne, inventa, selon l’histoire officielle, la bicyclette pliante.
Le capitaine Gérard au 147e RI de Sedan
L’histoire dans notre pays a retenu le nom d’Henry Gérard mais était il le véritable inventeur de la bicyclette pliante. Son nom et son invention sont passés à la postérité pourtant il semblerait que dès 1887, un projet de bicyclette pliantes ait déjà vu le jour aux USA dans l’esprit fécond de Emmit G. Latta. Inventeur américain prolixe, Emmit Girdell Latta (1849-1925), seul ou parfois avec son frère Adrian Clarence Latta est l’auteur de plus de plus d’une centaine de brevets. Certains nous apparaissent comme totalement farfelus comme son superbe tandem tricycle ou les deux cyclistes se font face mais d’autres dans le domaine du cycle et également de la machine à écrire furent utilisés et contribuèrent au progrès technologique. , Emmit G. Latta, déposa le 16 septembre 1887 un brevet pour une curieuse bicyclette pliante.
Ce brevet délivré le 21 février 1888, fut vendu par Emmit G. Latta à the Pope Manufacturing Company (marque Columbia) qui à l’époque achetait de très nombreux brevets mais apparemment la marque du Colonel Pope ne lança jamais la fabrication de cette machine qui resta à l’état de projet.
L’objectif affiché dès 1893, par le Lieutenant Gérard dans son rapport intitulé « Le problème de l’infanterie montée résolu par l’emploi de la bicyclette » était de rendre le cycliste militaire plus rapide que le cavalier sur les routes sans rien lui enlever de cette aptitude à passer partout, qui constitue la valeur fondamentale de l’infanterie.
De l’idée à la réalisation, on dit parfois qu’il n’y a qu’un pas, et, après avoir théorisé l’idée d’une bicyclette pliante, Henri Gérard, qui a recueilli de nombreux échos favorables à son projet s’est attelé à la réalisation de son engin. Après quelques tâtonnements, il fait construire sa bicyclette pliante par Charles Morel, constructeur mécanicien à Domène près de Grenoble.
Si la revue du Cercle Militaire en date du 20 mars 1897, affirme qu’il est impossible de contester au Capitaine Gérard, l’idée, le principe et le détail de construction de la bicyclette pliante à cadre car les premiers brevets relatifs à cette machine remonteraient au mois de juin 1893, tout n’est pas aussi simple, de nombreuses zones d’ombre demeurent et il est difficile d’y voir clair car Henri Gérard n’a pas mené sa réflexion tout seul dans son coin, d’autres avaient comme lui l’ambition de faire de la bicyclette, un engin pliable et transportable si besoin.
Nous allons tenter ici de vous livrer une chronologie précise de cette invention en nous appuyant sur les différents documents d’époque auxquels nous avons pu avoir accès.
Le premier texte important dans cette histoire est un brevet déposé par un certain Louis Noël qui se trouve être le beau père d’Henri Gérard. Les croquis joints au brevet évoquent d’abord l’idée d’un cadre pliant. Rien n’est précisé sur la direction, la motricité de la bicyclette. C’est uniquement le principe du pliage appliqué à la bicyclette qui est breveté et rien d’autre.
Tout au long de l’année 1893, le lieutenant Gérard, il n‘est pas encore capitaine, a livré sous forme d’articles dans la "Revue du Cercle militaire" ses réflexions sur l’usage de la bicyclette au sein de l’armée. En 1894, ses articles sont regroupés dans un petit livre sous le titre : « Le Problème de l'infanterie montée résolu par l'emploi de la bicyclette ».
En parallèle, il réfléchit à la création d’une machine adaptée aux exigences de l’armée. Selon La Revue du Cercle militaire, Henri Gérard aurait d’abord conçu une première bicyclette pliante sur la base d’un cadre classique. Cette première machine se serait révélée trop volumineuse une fois pliée, en empêchant notamment le fantassin cycliste de marcher dans les sous bois. De plus, elle était alors mal équilibrée et susceptible de blesser le porteur. Rien ne permet de confirmer cette première tentative pratique d’Henri Gérard il est par contre tout à fait probable qu’il ait durant cette période suivi de très près les travaux de son beau père Louis Noël. S’il n’a peut être pas participé concrètement aux travaux de son beau père, ce que l’on ne peut exclure, il s’en est pour le moins très largement inspiré pour avancer dans ses propres recherches.
Le 8 décembre 1894, est publié le premier brevet fruit de la collaboration d’Henri Gérard et Charles Morel. Si l’on en croit Jean-Pierre BORGIS « Charles Morel, constructeur dauphinois sous la IIIème République », cité par http://www.foldingcyclist.com notamment, Charles Morel (Vienne 1848- Grenoble 1914), est un industriel Isérois établi à Domène à proximité de Grenoble. Ce contremaître mécanicien aurait créé sa société pour exploiter ses nombreux brevets d’inventions dans divers secteurs d’activité : industrie textile (peigneuse circulaire-1874, système de serrage et desserrage automatique des peigneuses circulaires des déchets de soie-1878), industrie du ciment et de la chaux (bluteries, broyeurs rotatifs, verticaux, horizontaux, à galets, à boulets ou à force centrifuge, concasseurs à mâchoires ou à cylindres, raffineurs, tamiseurs, trieurs magnétiques;), industrie du cycle et de l’automobile et des pneumatiques. Sources : http://pages14-18.mesdiscussions.net/pages1418 Charles Morel se serait pris de passion pour la bicyclette et il aurait dès 1892 eu l’idée d’un modèle pliable pour lequel il ne semble pas y avoir eu de brevet. Ces projets rentrèrent en concordance avec ceux du Lieutenant Gérard et c’est cette convergence d’idées et d’intérêts qui aurait provoqué la rencontre des deux hommes qui finirent par s’associer.
D'après Jean-Pierre BORGIS « Charles Morel, un industriel dauphinois sous la IIIème République », toute cette histoire n’existe que parce qu’il y a eu un troisième homme : Adolphe Dulac. Mécanicien de son état, il tenait un magasin de vente et de réparation de bicyclettes à Grenoble. C'est lui qui donna les conseils de fabrication aux ouvriers des ateliers Morel et c'est lui également qui modifia la première version de pliante imaginée par Henri Gérard. Ce modèle ne comportait pas de pédalier avec entraînement par chaîne, mais des pédales à levier sur le moyeu de la roue avant qui font bien évidemment penser à l’engin conçu et breveté par Louis Noel.
Adolphe Dulac aurait effectué la transformation pour la somme de 120 Francs de l'époque, réglée moitié par Charles Morel et moitié par Henri Gérard.
Dans la collaboration des deux hommes le travail et les compétences sont partagés. Charles Morel se charge de la fabrication et de la commercialisation des bicyclettes, il ouvrira d’ailleurs peu après un magasin au numéro 3, du boulevard Poissonnière à Paris, tandis qu’Henri Gérard s’occupe de ce que l’on appellerait aujourd’hui le commercial.
On peut constater sur ce document qu’il n’est pas, à la date du 8 décembre 1894, question de bicyclette pliante mais seulement du brevetage d’une conception différente de cadre de bicyclette. Ce type de cadre ayant selon ses auteurs de très nombreux avantages, ce qui on le sait bien aujourd’hui, n’est absolument pas le cas. Un mois plus tard, les deux associés déposent un nouveau brevet qui, sur la base du cadre breveté, présente enfin un système de pliage.
Henri Gérard explique la singularité de sa machine par les objectifs bien particuliers pour lesquels elle est conçue. Elle doit présenter des qualités particulièrement adaptées à son usage militaire car dans son esprit il s’agit de construire « une bicyclette portative pour cycliste combattant » et pas autre chose.
Photo ci-dessus : A gauche la deuxième version de la machine du capitaine Gérard, à droite un modèle de bicyclette pliante à cadre classique,
Revue du Cercle militaire 20 mars97
D’abord elle se devait d’être facilement pliable. Une fois pliée, son encombrement réduit ne devait pas gêner les mouvements du fantassin et lui permettre d’utiliser son fusil sans peine. Sur la route, sa position volontairement surbaissée permettait de mettre pied à terre sans descendre de la selle, cela afin d’éviter une chute, qui dans un bataillon en marche, en aurait provoquée de nombreuses autres…
Voici comment était présentée la bicyclette pliante dans la revue de l’industrie vélocipédique en 1895.
Si pour nous les arguments exposés ne sont pas pertinents ou plutôt si les avantages présentés ne compensent pas les défauts patents de la bicyclette d’Henri Gérard, son assise fort basse permettant de poser les pieds au sol tout en restant sur la selle, en fait un engin sur et accessible au plus grand nombre y compris à ceux qui n’osaient pas monter sur un engin classique. Ce point est utilisé par Charles Morel comme argument commercial pour tenter d’étendre la gamme en proposant la bicyclette pliante au grand public très rapidement.
"La bicyclette pliante du capitaine Gérard"
Conférence par M. Christophe Lagrange
Musée Auto Moto Vélo de Châtellerault
le 18 décembre 2014