Le Petit Braquet

 

 
- Chronique n° 93 - Adolphe CLEMENT
 
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André Perchicot

CLEMENT Adolphe

Gustave Adolphe Clément, qui goûta un temps à la compétition en faisant preuve de qualités indéniables, va connaître une réussite industrielle formidable. En quelques années, cet ouvrier mécanicien issu d’un milieu modeste, deviendra par sa force de travail, ses talents d'entrepreneur, ses qualités de gestionnaire et son sens des affaires, l'un des plus grands industriels français du début du XXème siècle. Le vélocipède puis la bicyclette furent sa première passion et la base de son empire industriel. Mettant à profit son expérience de la compétition, et ses rencontres avec les meilleurs constructeurs du territoire national, c’est en devenant un constructeur compétent et reconnu qu’il construisit sa fortune. Sans jamais abandonner ses premières amours, il diversifia par la suite ses activités dans des domaines aussi variés que la construction automobile, l’aviation, la fabrication de dirigeables et la presse sportive.

La vie d’Adolphe Clément est un roman et elle nécessite bien plus que ces quelques lignes pour être entrevue dans sa globalité. Dans ce parcours foisonnant et complexe, nous nous attacherons prioritairement, à retracer ici tout ce qui touche sa passion pour la petite reine,.

Gustave Adolphe Clément est né à Pierrefonds les Bains dans l’Oise, le 22 septembre 1855. Son père, Léopold Adolphe, âgé de 24 ans, exerce au moment de sa naissance, la profession de marchand épicier. Sa mère, Julie Alexandrine Rousselle est, elle aussi, âgée de 24 ans. Il est le second enfant d’une fratrie de cinq.

Adolphe Clément

Dès les années 1868-1869 ; Adolphe Clément s'initie à l'art de la vélocipédie, si l’on en croit l’article qui lui est consacré dans le journal « Le Véloce Sport » en date du 7 janvier 1892. Il monte alors un véloce en bois. Ces faits peuvent susciter quelques interrogations. En effet, en ces années où la fabrication des machines se fait uniquement de manière artisanale, ils devaient être bien peu nombreux, les gamins issus de familles modestes à pouvoir « cycler » ainsi. L’achat d’un vélocipède coûtait cher et il serait surprenant que les parents d’Adolphe Clément aient eu les moyens de lui en offrir un. Plus probablement, Adolphe Clément fit ses premiers tours de roue, sur l’engin d’un proche ou d’un voisin qui le laissait de temps à autre, s’amuser avec son vélocipède.

Adolphe Clément

Adolphe effectue ses études à Compiègne et à Crépi-en-Valois, tout en rêvant d’entrer aux Arts et Métiers afin de devenir ingénieur. Hélas pour lui, le sort allait en décider autrement. La disparition de son père alors qu’il n’est encore qu’un adolescent, laisse la famille dans une situation financière difficile. Sa mère se remarie rapidement et cela probablement pour assurer un avenir à ses enfants, mais cela ne se fait pas sans heurt. Adolphe se heurte à la volonté de son tuteur qui n’a qu’une idée en tête, faire de lui un honorable épicier. L’avenir que ce brave homme veut lui imposer ne lui convient pas. Selon une autre version des faits, Adolphe aurait été orphelin très jeune. Il aurait d’abord perdu sa mère avant de perdre son père, à l’âge de neuf ans. Celui-ci s’étant remarié peu de temps avant sa mort, Adolphe ainsi que ses frères et sœurs, aurait alors été élevé par sa belle mère.

Adolphe Clément

C’est la mécanique qui passionne Adolphe et finalement il intègre, en tant qu’apprenti, l’atelier d’un serrurier mécanicien installé pas très loin de son domicile. Selon la légende qui s’est très vite forgée autour de la jeunesse de ce grand capitaine d’industrie, c’est dans cet atelier qu’à dix sept ans, il aurait fabriqué son premier bicycle pour son usage personnel. L’année suivante, en 1873, devenu ouvrier, il s’élance sur le bi de sa fabrication pour réaliser son tour de France du compagnonnage. Que l'engin fusse de sa propre fabrication ou non, il est intéressant de noter qu'Adolphe Clément est probablement un des tout premiers, à faire ainsi son tour de France en bicycle. Outre l'aspect pratique de ce nouveau moyen de locomotion, cela lui permet aussi de se faire plaisir et de continuer à pédaler.

L’idée de devenir constructeur a très certainement déjà germée dans l’esprit fécond d’Adolphe Clément et au cours de son tour de France, il va à la rencontre des artisans du cycle les plus réputés. L’important pour lui et d’apprendre, d’accumuler des connaissances et des savoirs faire afin d’être un jour le meilleur. A chacune de ses étapes, il travaille et perfectionne ses connaissances dans les ateliers de constructeurs et de réparateurs à Tours, Angers, Bordeaux, Marseille et Lyon.

C’est  le temps des rencontres. Tours est la ville d’un des plus prestigieux inventeurs et constructeurs français dont il fait connaissance : Jules Truffault (voir le coup de chapeau que nous lui avons consacré). Après un passage par Angers, on le retrouve plus tard, à Bordeaux où il travaille chez Oscar Maillotte, lui aussi ancien coursier et mécanicien réputé. Après Jules Truffault et Oscar Maillotte, il se rend à Lyon où il aide Tissier, le vainqueur du premier Angers-Tours à fabriquer ses premières machines. Les deux hommes ont probablement fait connaissance en 1876 à Angers. En effet si la technique l’intéresse au plus au point, il est également attiré par la compétition et en 1876, Adolphe Clément est sur la liste des engagés de la première édition de la course Angers-Tours. 6ème à l’arrivée, il montre, pour sa première compétition, de réelles aptitudes physiques.

Il ne s’agit pas comme l’écrit à tort le journaliste du « Véloce Sport » qui a oublié les grandes dates de l’histoire de la petite reine, de fabriquer « des bicyclettes à corps plein élastique » mais plutôt des traditionnels bicycles en acier tels qu’ils se construisent partout ailleurs.

Les deux hommes s’entendent fort bien et Tissier qui demeure avant tout un compétiteur, l’entraîne chaque dimanche dans de longues sorties autour de Lyon. Ils entreprennent également, en compagnie du baron Duquesne, un long périple à travers le Massif Central. Partis de Lyon, ils passent par Saint Etienne, le Puy, Mende, Albi et Toulouse. Ce voyage est peut être pour eux l’occasion de tester la solidité et le rendement des premières machines de leur fabrication. A Toulouse, les deux compères prennent part à la course Toulouse-Pamiers. Tissier l’emporte devant Adolphe Clément et un certain Charles Terront.

Ces faits, relatés dans une courte biographie d’Adolphe Clément publiée par « Le Véloce Sport » en date du 7 janvier 1892, sont confirmés par les propos de celui qu’il faut considérer comme le meilleur coureur du monde de l’époque, Charles Terront.

« C’est à Toulouse encore, et cette année-là, que je rencontrai pour la première fois un coureur avec lequel je fus longtemps lié, que ma famille même reçut fort longtemps comme un de mes frères, Clément, aujourd’hui (il écrit en 1893) constructeur.

Clément était ouvrier-serrurier à Crépy-en-Valois. Il était entré chez un de ses parents, poseur de sonnettes, rue Lafayette, à Paris, et de là était parti faire son Tour de France sur un vélocipède. Lorsque je le rencontrai, il était employé chez Tissier, constructeur à Lyon, et venait courir à Toulouse où il se classa cinquième. »

Nous apprenons également par les mémoires de Charley, écrites à quatre mains, avec l’incontournable Louis Baudry de Saunier, que ce n’est pas avec le bicycle de sa création qu’il participe aux compétitions mais qu’il a fait l’acquisition, probablement lors de sa première rencontre avec Truffaut, d’une machine du très réputé constructeur.

Ce que ne dit pas la biographie réalisée par le « Véloce Sport » qui s’attache trop à flatter un homme désormais puissant et renommé, c’est la grande pauvreté dans laquelle se trouve Adolphe Clément durant ces années d’apprentissage et de compétitions. Bien au contraire, les mémoires de Charles Terront ne laissent aucun doute sur cette période de vache maigre que traverse Adolphe Clément, contraint de vendre son bicycle Truffaut pour récupérer un peu d’argent.

« Je me souviens qu’au moment de repartir pour Lyon, Clément vint me trouver et m’expliquer qu’il n’avait plus d’argent pour rentrer à destination. Il me demanda de lui acheter séance tenante son bicycle qui était un Truffaut. J’acceptai et nous convînmes que je paierais immédiatement 300 francs et que si je trouvais la machine bonne, j’ajouterais cinquante francs. J’achetai donc le bicycle et un mois après je reçus une lettre de Clément me disant que je l’obligerais beaucoup, le besoin s’en faisant sentir, de lui faire tenir le reliquat du compte ; ce que je fis aussitôt. »

De retour à Lyon, Tissier et Clément repartent, toujours au guidon de leur bicycle, en direction d’Angers afin de participer à la 2ème édition de la course Angers-Tours. Cette fois ci, ayant vendu son Truffaut à Terront, on peut penser qu’Adolphe Clément monte une des machines que son ami Tissier et lui, ont élaborées durant les mois précédents. Roanne, Nevers, Bourges et Tours sont les villes étapes de leur voyage. Ces longs déplacements constituent d’excellents entraînements pour les deux hommes qui montent à nouveau sur le podium (1er et 3ème).

Adolphe Clément passe l’hiver 1877-78 à Lyon, sans que nous sachions s’il exerce toujours ses talents auprès de Tissier ou d’un autre réparateur. C’est l’occasion pour lui, toujours avec le baron Dusquesne et Joguet, le vainqueur de Lyon-Châlon sur Saône en 1874, d’effectuer le voyage de Lyon à Paris. Joguet n’est pas lyonnais. Il est originaire de Montélimar, 150 kilomètres plus au sud, dont il présidera le club cycliste, le Vélo Club Montilien dans les années 1890 mais il possède de réelles attaches avec . Il y ouvrira d’ailleurs une boutique de cycle, rue de la République en 1891. En 1875 et 1876, il est un des premiers avec Charles Terront, Henri Pagis et Viennet, a être allé défier les Anglais sur leur terre.

De Paris, Adolphe Clément se rend à nouveau à Tours où il se fait embaucher durant une courte période par Jules Truffaut afin, dira-t-il plus tard, de se perfectionner.

Des idées pour son avenir, Adolphe Clément n’en manque pas et après avoir parcouru la France pendant près de 5 ans, il a l’intime conviction que pour réussir, il doit monter à Paris. Il arrive dans la capitale au printemps 1878, alors que s’y ouvre la troisième exposition universelle de Paris. Celle-ci se déroule du 20 mai au 11 novembre au Champ de Mars et au Palais du Trocadéro qui a été construit pour cette occasion.

Bien évidemment, lors de la visite qu’il effectue, Adolphe Clément, s’intéresse aux stands des constructeurs et à toutes les techniques susceptibles de lui permettre de construire lui aussi des bicycles. Cette même année alors qu’il a tout juste 23 ans, il créé la Manufacture exclusive de vélocipèdes CLEMENT dont les locaux sont situés 20 rue Brunel à Paris. L'usine, qui sera régulièrement agrandie et modernisée dans les années qui suivirent, compte alors 5 ouvriers.

Parmi la multitude d’exposants français et étrangers présents à l’exposition universelle (52 835 entreprises dont 25 872 exposants Français), bien peu s’intéressent et présentent des vélocipèdes, des tricycles ou des bicycles. La vélocipédie est incluse dans le groupe VI  de la classe 62 « carrosserie et charbonnage ». Si l’on en croit Louis Baudry de Saunier, six fabricants français de vélocipèdes étaient présents à l’exposition aux cotés de quatre Anglais, un Suisse et un Italien. Le  catalogue général ne dit pas tout à fait la même chose. Pas de problème pour Renard Frères, 11 rue Duret à Paris, Jacquier et Levassor, 81 rue Lafayette, Paris, Gauzin G. 10 rue Paradis-Poissonnière, Paris, Meyer E., 7 rue des Acacias-de-l’Etoile, ainsi que pour Pascaud L-S, 59 bis rue Vaugirard à Paris qui effectivement sont là pour présenter des vélocipèdes par contre celui que Baudry considère comme le 6ème fabricant français Vincent H, 29 rue du Château d’Eau, Paris est inscrit pour des voitures d’invalide, chaise longue pour malade et fauteuil roulant…

Parmi les constructeurs étrangers, Baudry cite the Surrey Machinist and Cie, manufacture installée à Londres dont il loue la qualité des machines. The Surrey Machinist and Cie recevra d’ailleurs une médaille d’or en 1885 à Londres lors du « International Inventions Exhibition » pour la qualité de ces bicycles et tricycles.

 

C’est durant le second semestre de cette année, qu’Adolphe Clément démarre la production des premières machines de la marque.

En 1879, en complément de ses ateliers de production, il aurait, semble-t-il, créé un manège vélocipédique à Levallois-Perret. Cela peut paraître très surprenant aujourd’hui mais le vélocipède s'apprend alors dans des manèges vélocipédiques. Sur un vélocipède, comme sur une bicyclette, pédaler interdit aux pieds, les stabilisateurs naturels des bipèdes que nous sommes, de toucher le sol et cela suppose donc une maîtrise parfaite de l’équilibre. Oser quitter la terre ferme, n’est pas un geste naturel pour l’homme. C’est bien plus qu’un simple mouvement d’adresse, c’est d’abord abandonner la position naturelle du corps humain sur terre. Aujourd’hui cette pratique s’apprend dès le plus jeune âge, en famille et cela nous semble une chose naturelle et totalement banale ce qui n’était pas du tout le cas à l’époque. Ce sont les adultes qui éprouvaient le besoin d’apprendre et comme aucune autre génération avant la leur, ne maîtrisait cette pratique, il était nécessaire pour eux de passer par des écoles d’apprentissage.

 

 

 

 

 

Adolphe Clément

C'est sur le terrain où sera plus tard construite sa grande usine d'automobiles et d’aviation qu’il installe son manège.


Archives commerciales de la France. Journal hebdomadaire 27 novembre 1879
http://gallica.bnf.fr/

Peu de temps après, il créé la Société en commandite Clément et Compagnie, dont l’activité déclarée est la fabrication de vélocipèdes. L’entreprise est dotée d’un capital de 50 000 francs. Direction, Bureaux et Usine sont basés 20 rue Brunel à Paris. Les ateliers, qui seront régulièrement agrandis et modernisés dans le futur, comptent, la première année, 5 ouvriers.


«Usine Clément» par Inconnu — vie et histoire du 17è arrondissement édition Hervas. Sous licence Domaine public via Wikimedia Commons.

Fiables et plus légers que leurs concurrents, les vélocipèdes de la Maison Clément rencontrent rapidement un vif succès. En 1880, Adolphe Clément emploie déjà plusieurs dizaines d’ouvriers dans ses ateliers de fabrication. On évoque même le chiffre de 150 salariés et les locaux devenus trop exigus sont agrandis. En 1881, la maison Clément qui ne souhaite pas s’arrêter en si bon chemin, se dote d'un important réseau d'agents commerciaux. Il est clair dès cette période qu'Adolphe Clément a l'ambition de faire de produire de manière industrielle et de devenir l'un des premiers constructeurs français.

 

Mémorial des percepteurs et des receveurs des communes, hospices… année 1886
http://gallica.bnf.fr/

 

 

Grâce à son expérience personnelle en tant que coureur mais aussi en tant qu’utilisateur régulier d’un vélocipède comme moyen de locomotion, Adolphe Clément sait fort bien discerner parmi les multiples innovations qui apparaissent alors celles qui sont propices à rationaliser la production ou à améliorer la qualité et la fiabilité des machines. Chaque fois que cela lui semble utile pour le développement de son activité et l’amélioration technique de ses machines, il dépose des brevets ou il les rachète à leurs inventeurs. Cette politique au fil des années sera grandement payante et permettra à Adolphe Clément de contrôler sa production et de ne pas être dépendant de ses concurrents.

En 1882, la maison Clément est à l’origine de la création du tricycle à crémaillère et c’est en 1886/1887 qu’apparaît la première bicyclette " Clément " sur les catalogues de l’entreprise.

 

Pour conforter la réputation de qualité de ses machines, et pour asseoir durablement sa notoriété naissante, Adolphe Clément investit également dans le sport cycliste. Homme de terrain, Adolphe Clément a très vite compris que l''engouement du public pour les exploits des champions était un vecteur formidable de communication pour un fabricant. Il s’attache les services de quelques uns des meilleurs coureurs français de l’époque. Les résultats des courses cyclistes où les machines Clément sont très souvent à l'honneur sont largement relayés par l’ensemble des journaux nationaux et régionaux et cela constituent un formidable retour sur investissements pour la marque.


Source : http://www.hydroretro.net/etudegh/index.php

Ainsi Fernand Charron, Pierre Jiel-Laval, Louis Cottereau, Georges Cassignard, Paul Guignard, Jules Dubois, Paul Médinger, Auguste Stéphane et bien d’autres roulèrent sur des bicyclettes Clément et apportèrent de nombreux records et victoires, dont Bordeaux-Paris en 1892 et 1893.

La France vélocipédique illustrée, 25 juin 92 http://gallica.bnf.fr/

 

 

La déontologie de la presse n'était pas la même que celle que nous connaissons aujourd'hui et bien souvent les publireportages non catalogués comme tels se mélangeaient allègrement avec les articles de fond ce qui permis à la marque (comme à ses concurrents) de communiquer largement sur ses succès, gages selon elle, de la qualité et de la fiabilité de sa production comme en témoigne cette page extraite de la revue du Touring Club de France du mois de décembre 1892 qui célèbre le record du mile de Cassignard sur tricycle à pneumatique Clément.

 

 

Les records sont faits pour être battus et en ces temps de préhistoire du sport cycliste, les performances évoluent très vite. Le record des 24 heures établi par Stéphane pour le compte de la marque, comme beaucoup d’autres records ne tint pas longtemps. Qu’importe, la maison Clément apporte son soutien à  Stéphane dans une nouvelle tentative qui couronnée de succès, enclenche de manière quasi automatique, une nouvelle campagne de publicité

 

Chaque nouveau succès ou presque fait l'objet d'un encart publicitaire dans les journaux. A lire ces multiples réclames vantant les mérites supposés de tel ou tel constructeur, on peut se poser la question de l'efficacité réelle de ce mode de communication. Le lecteur de l'époque devait, probablement comme nous aujourd'hui, avoir du mal à se repérer dans cette multitude et faire le choix d'une machine ne devait pas être facile.

Pour faire face à une demande en constante progression, Adolphe Clément procède à plusieurs agrandissements successifs de ses ateliers et à l’acquisition d'un outillage perfectionné. L’objectif clairement affiché par notre homme est d’être le premier dans son domaine et comme il est également très patriote, il caresse également le rêve de battre un jour prochain les anglais, dont l'industrie du cycle domine alors le marché mondial.

 

Doté d’un excellent sens des affaires, Adolphe Clément est aussi un homme très pragmatique. Pour dominer la concurrence, il met systématiquement tout les atouts de son coté : achat ou dépôt de brevet, rationalisation du travail, utilisation d’outillage perfectionné, création d’un réseau commercial, sponsoring et vaste campagne publicitaire. Rien n'est laissé au hasard. Adolphe Clément a de l'ambition et il se donne les moyens de réussir.


Revue de l’industrie vélocipédique, 1894
http://gallica.bnf.fr/

Néanmoins, il sait d’expérience que la répartition des  taches en fonction des compétences de chacun  est un gage de réussite c’est pourquoi, ne pouvant tout gérer seul, il n’hésite pas à déléguer et à s’entourer d’hommes de talent.

Adolphe Clément
L’ancien champion cycliste, Frédéric de Civry, qui en son temps fut l’un des meilleurs coureurs du monde, est ainsi recruté dès 1889, sur un poste que l’on pourrait qualifier de conseiller technique. Selon Baudry de Saunier, Frédéric de Civry n’émergea jamais à aucun poste particulier au sein de la compagnie Clément mais il joua un rôle très important auprès du constructeur qui lui faisait totalement confiance.

En cette fin des années 80, Adolphe Clément a le vent en poupe et tout lui réussit. En 1888, la Maison Clément ouvre un magasin de vente et d'exposition au 31, rue du Quatre Septembre à Paris dissociant ainsi la production de la commercialisation des machines. Ouverte à grand renfort de publicité, la boutique de la rue du Quatre Septembre est une réussite. 1889 est une année faste.

La bicyclette à caoutchouc creux lancée par la marque rencontre un vif succès auprès du public et avec le sens des affaires qui le caractérise, Adolphe Clément acquière l’exclusivité de fabrication pour la France du brevet Dunlop. L’année précédente, John Boyd Dunlop a inventé le pneumatique à air avec valve * (voir encadré), ce qui constitue un progrès considérable en termes de confort et d’entretien pour les utilisateurs. Adolphe Clément aurait pendant longtemps hésité avant de se lancer dans cette affaire dont il mesurait mal au départ, le formidable potentiel. L’accord qu’il signe finalement après moultes hésitations, prévoit l’achat d’un gros paquet d’actions de la Pneumatic Tyre (compagnie possédant le brevet Dunlop) créant ainsi des liens entre la maison Clément et l'industrie du cycle Britannique qui seront plus tard très utile à Adlphe Clément.

(* Le 7 décembre 1888, DUNLOP John Boyd dépose le brevet du pneu à air avec valve - L'idée innovante d'entourer les roues en bois de la bicyclette de son fils avec des tubes en caoutchouc remplis d'air afin d’en améliorer le confort, le bruit, la vitesse et l'adhérence sur route révèle l'ingéniosité de Johh Boyd, son pneumatique a un succès immédiat dans le monde du vélo, les grands champions de l’époque l’utilisent avec succès. John Boyd Dunlop dépose le brevet du pneu à air avec valve le 7 décembre 18881. Mais l'invention de Dunlop ne permet pas une réparation facile en cas de crevaison. En 1891 Édouard Michelin (1859-1940) et André Michelin (Michelin) inventent le premier pneumatique démontable avec une chambre à air.)

 

 

 

Les premiers modèles de cycles munis des pneumatiques Dunlop sortent de l’usine Clément en 1891.

Le succès est une nouvelle fois au rendez vous et les ateliers de la Rue Brunel à nouveau, agrandis, ne suffisent plus pour faire face aux nombreuses commandes.

 

 

 

Les progrès apportés par l’invention de Dunlop, sont tels que les autres fabricants, malgré les brevets déposés, tentent de produire et de proposer à leurs clients des pneumatiques similaires. Cette concurrence affecte la maison Clément qui, elle, a acheté pour une coquette somme l’exclusivité d’utilisation et de distribution des pneus Dunlop sur le territoire national. Adolphe Clément entame une procédure juridique pour faire respecter les droits de sa compagnie.

Adolphe Clément a réussi là un coup qui va lui rapporter gros. Les droits qu’il possède pour l’exploitation de système inventé par Dunlop, se révèle une véritable mine d’or et l’on peut dire que c’est véritablement à ce moment là, qu’il fait fortune. Il est difficile de connaître précisément la plus-value réalisée par Adolphe Clément mais certains avancent que les actions qu'il avait achetées ont vu leur valeur multipliée par 100. Cela peut laisser rêveur….

Les chiffres parlent d’eux mêmes. En 1878, la production de vélocipèdes (vendus en France) de la maison Clément s’élevait à seulement 34 unités et à 135 l’année suivante pour passer à 1589 en 1884. En 1889, 4710 machines sont fabriquées et vendues en France et cinq ans plus tard, ce n’est pas moins de 12814 bicyclettes qui sont écoulées sur le territoire national. Pour augmenter ses capacités de production, Adolphe Clément loue une usine à Levallois afin de réserver ses locaux de la rue de Brunel au montage.

Lui, l'orphelin, le modeste mécanicien est désormais reconnu par ses pairs et par le gouvernement français comme un grand capitaine d’industrie. Cette reconnaissance est marquée par  sa nomination comme membre du jury de l’Exposition Universelle qui se tient à nouveau à Paris cette année là.

Trois ans plus tard, en 1892, il est nommé par le Ministre du commerce au Comité technique chargé d'organiser la représentation française à l’Exposition Universelle de Chicago.

Malgré une activité débordante, Adolphe Clément trouve parfois le temps d’œuvrer pour le bien être de ses concitoyens en proposant des actions pleines de bon sens. Ainsi en 1892, il demande, sans succès, au Conseil Municipal de la ville de Paris que le produit d’une taxe sur les cycles serve à acheter des vélocipèdes pour les facteurs ruraux qui à l’époque font à pied, chaque jour, une longue et fastidieuse tournée pour la distribution du courrier.

 

 

 

 

 

 

Toujours dans un souci d’efficacité et de pragmatisme, il n’hésite pas à voyager, à visiter ses concurrents étrangers, Anglais et Américains afin de découvrir la façon dont ils sont organisés . Ceux qui ont l’opportunité de visiter les ateliers rue de Brunel, sont toujours surpris d’y trouver des outils français mais également anglais et américains, Adolphe Clément allant toujours chercher ce qu’il y a de meilleur et de plus performant afin d’optimiser le rendement et la qualité de sa production. Le patriotisme d'Adolphe Clémént n'est pas stupide et borné. Il sait reconnaître les compétences et il ne regarde pas la nationalité du fabricant avant d'effectuer l'acquisition de machines pour ses usines. Il n'y a finalement qu'avec l'Allemagne qu'il finira beaucoup plus tard par avoir de grandes réserves, présentant la catastrophe de 1914.

Fin 1892, il fait si l’on en croit le journal « le Véloce Sport », installer à grand frais dans son usine, une machine américaine destinée à braser et à souder les pièces à l’électricité. Il est le premier en Europe à utiliser cette machine au grand dam de ses concurrents britanniques. Depuis la guerre de 1870 qui avaient fait de gros dégâts dans l’économie française, les anglais étaient considérés comme les meilleurs et de loin dans la fabrication de bicycles puis de bicyclettes et cela aussi bien en terme de qualité des machines qu’au niveau des techniques de production. Adolphe Clément a en quelques années, bousculer l’ordre établi et il réussi à montrer que les industriels français pouvaient largement rivaliser avec leurs homologues britanniques. Ceux-ci d’ailleurs ne s’y trompèrent pas. Ils comprirent très rapidement qu’ils avaient en face d’eux un très grand capitaine d’industrie et qu’il valait beaucoup mieux conclure des accords commerciaux avec lui que d’engager une guerre commerciale destructrice.

En cette même année, il achète une usine à Tulle en Corrèze. Dans ces bâtiments autrefois occupés par la manufacture d’armes et il y installe un second atelier de fabrication.

A partir de 1893, il réoriente sa production vers le haut de gamme afin de toucher une clientèle plus aisée qui s’intéresse désormais à la bicyclette. La situation de la maison Clément est alors excellente, en grande partie grâce à l'exploitation du brevet Dunlop et au bond vertigineux des actions de la marque. La Société Clément qui, quinze ans plus tôt, en 1879, était en commandite simple et  possédait un capital de seulement 50 000 francs est remplacée désormais par la Société des Vélocipèdes Clément plus communément désignée sous le vocable Clément et Compagnie. Elle est maintenant en commandite par actions et possède un capital de 4 000 000 de francs.

 

Adolphe Clément ne s’intéresse pas qu’à ses usines et à son business, il demeure durant toutes ces années, un passionné de sport cycliste. Certes, il a souvent en tête, les investissements de sa compagnie et ce que cela peut lui rapporter mais il œuvre aussi pour le développement de son sport dont il devient avec le temps un mécène éclairé. Ainsi en 1893, il est à l’origine de la construction du vélodrome de la Seine à Levallois Perret.

Quand Adolphe Clément se lance dans le projet de construction d’un vélodrome, il le fait avec les mêmes méthodes et la même philosophie que pour construire ses machines. Observer attentivement ce qui se fait ailleurs, et ainsi pour chaque point particulier, reprendre la solution la plus adaptée pour, au final, proposer un produit de qualité, fiable et fonctionnel. Fabriquer une bicyclette n’a pas de secret pour lui mais construire un vélodrome c’est toute autre chose. Qui mieux qu’un grand champion cycliste, connaissant parfaitement les besoins des coureurs mais aussi les attentes du public et des journalistes, pourrait conseiller efficacement les architectes et les investisseurs, dans la conception d’un vélodrome ? A cette question pertinente, Adolphe Clément apporte une réponse qui l’est tout autant. Il confie la responsabilité de l’organisation du vélodrome à son collaborateur et ami, Frédéric de Civry.

Motivé, débordant d’idées pratiques et fonctionnelles, Frédéric de Civry s’investit totalement dans le projet. Atteint de phtisie depuis plusieurs années, il se sait en sursis et il s’attèle sans relâche à ce qu’il considère comme son grand œuvre. Hélas, malgré toute son envie et son énergie, il ne réussira pas à mener à terme la réalisation du vélodrome de la Seine. Il décède à l’âge de 31 ans, le 15 mars 1893, laissant Adolphe Clément quasiment seul aux commandes.

Les deux hommes qui partageaient la même volonté de toujours aller de l’avant, s’appréciaient beaucoup et c’est Adolphe Clément qui est désigné par De Civry comme son exécuteur testamentaire.

Chose inimaginable aujourd’hui, où plus que jamais le temps c’est de l’argent, trois des plus grandes maisons de cycles de la capitale, qui étaient déjà très liées, fermèrent leurs portes, le jour des obsèques du champion. Un patron d’une grande entreprise avait encore à l’époque, le pouvoir d’abandonner une journée de travail, pour rendre hommage à un champion. Ce geste empreint d’humanité, nous permet aussi de mesurer que notre monde n’a pas évolué uniquement d’un point de vue des techniques. La morale et les mentalités ont-elles aussi suivies leur chemin

 

Les travaux du vélodrome de la Seine, qui avaient déjà prit un peu de retard à cause des intempéries de ce début d’année 1893, furent quasiment à l’arrêt suite à la disparition de l’ancien champion mais Adolphe Clément, qui se présente comme un simple actionnaire dans cette affaire, est en fait très actif pour que la piste soit achevée dans les meilleurs délais. Il utilise même sa puissance économique et financière comme facilitateur dans l’avancement des travaux, comme en témoigne l’article ci-dessous.

La date probable d’ouverture annoncée par le journaliste du « Véloce Sport » à la fin du mois de mars était très optimiste et les travaux à la mi juin n’étaient toujours pas achevés, et cette fois ci le journaliste se garde bien d’annoncer une quelconque date pour l’inauguration de la piste.

Probablement inspiré par ce qu’il a vu lors de ses nombreux voyages à l’étranger, Adolphe Clément profite de la construction du vélodrome de la Seine pour organiser les premières courses de tandem données sur le territoire Français. Compte tenu du nombre de bons coureurs portant les couleurs de la marque, il n’a pas de mal à réunir un plateau de choix pour attiser la curiosité du public et lancer cette nouvelle discipline.

Il est nommé chevalier de la Légion d'honneur en 1894. La même année, il embauche comme responsable de la publicité de la marque, un ancien coureur cycliste, qui deviendra plus tard mondialement célèbre, Henri Desgranges.


Revue Historiens et Géographes  n ° 405

C'est aussi en 1894, qu'il fait construire à Mézières, une immense usine (18000 m2), utilisant l'énergie hydro-électrique, la Macérienne. L'usine sera pillée par les allemands durant la guerre.  Elle fut en activité sous la responsabilité du petit fils d'Adolphe Clément, Monsieur Dumont jusqu'en 1975. Aujourd'hui elle est inscrite au titre des monuments historiques et les bâtiments, témoins d'un riche passé industriel de la ville, accueillent désormais une Scène Nationale de Musique Contemporaine.

Toujours actif, entouré par quelques hommes de confiance dont l’ancien coureur, Fernand Charron, ami de Frédéric De Civry et qui, un peu plus tard, deviendra son gendre, Adolphe Clément ne relâche pas son travail. Il est toujours à l’affût de nouvelles trouvailles pour que sa marque maintienne sa réputation au plus haut niveau. Dans son esprit, une entreprise qui n’avance pas, est une entreprise condamnée à plus ou moins long terme. L’article ci-dessous, extrait de la Revue de l’industrie vélocipédique de l’année 1895, témoigne du dynamisme de la maison Clément.

 

 

 

 

En 1895, alors que ses usines ont désormais la capacité de produire 25 000 machines par an, Adolphe Clément est approché par le groupe financier franco-britannique qui possède les marques de cycles Humber et Gladiator afin de fusionner. Ces deux marques sont avec la maison Clément parmi les plus importantes sur le territoire national. Leur regroupement permet de créer le plus grand groupe français de construction de cycles. C’est au total, 7 usines employant près de 5000 ouvriers qui contribueront à la production du nouveau groupe. Il s’agit des usines de Paris (rue de Brunel) et de Tulle pour la maison Clément, des usines du Pré-Saint-Gervais et de Nantes pour la marque Gladiator et des usines de Beeston, Coventry et Wolverhampton pour la marque Humber. Gladiator est alors sous la direction d’Alexandre Darracq, dessinateur industriel qui se spécialisera par la suite dans la construction automobile et deviendra même avant guerre, le troisième constructeur français derrière Peugeot et Renault.

 

Désormais riche, Adolphe Clément aurait pu dès lors se reposer sur ses lauriers mais ce n’est pas dans son tempérament. Bien au contraire, il s’intéresse plus que jamais aux nouveautés techniques et il investit des sommes importantes dans ce qu’il croit à juste titre porteur d’avenir. Il crée la marque Clément-Bayard afin de continuer ses activités industrielles, en dehors du groupe dont il reste un des principaux actionnaires. Désormais ce n’est plus la bicyclette qui l’intéresse mais les véhicules à moteur. En 1895, Adolphe Clément commence à collaborer avec le Marquis de Dion dont le tricycle à moteur à pétrole est d’un grand intérêt. En 1897, un tricycle sort sous la marque Clément-Bayard tandis que le groupe Clément-Gladiator prépare des voiturettes équipées de moteur monocylindre Aster.

 

La maison Clément va construire des tricycles et des voitures automobiles. Elle a signé, à cet effet, un traité avec les ingénieurs de Dion et Bouton, don elle emploiera le moteur.

En 1901 apparaît la première moto - baptisée "autocyclette" à moteur signée Clément. La marque n'en reste pas là et elle développe également une machine bicylindre qui, aux mains de Roger Derny, alors tout jeune pilote, remporte en 1902 la première course de côte du Mont-Ventoux.

Outre-manche, Adolphe Clément s'associa en 1902 avec Charles Chetwynd, comte de Shrewsbury and Talbot, président du British automobile commercial syndicate pour créer la Clément-Talbot limited dans le but de fabriquer au Royaume-Uni des automobiles sur le modèle de celles construites en France par la marque Clément-Bayard. L’objectif est de s’attaquer au marché Britannique en échappant aux lourdes taxes qui frappent alors les importations. La production débuta l’année suivante sous l'appellation Clément-Talbot avant de devenir quelques années plus tard la marque Talbot.

En ce début de siècle, Adolphe Clément garde toujours la même philosophie et il continue à s’entourer de sportifs de talent pour représenter la marque. Ainsi, il confie à Albert Champion, le stayer et coureur moto, émigré aux Etats-Unis, le soin de représenter les intérêts de sa marque sur le territoire américain. Les nombreux succès et records de celui que les journalistes français avaient autrefois surnommé « le gosse » constituèrent une excellente publicité pour Adolph Clément.

 

 

Les années passant, Adolphe Clément-Bayard est devenu grâce à sa réussite industrielle, un homme public, connu et respecté. C’est aussi un meneur d’homme qui aime transmettre ses idées mais aussi sa philosophie de la vie. Dès 1894, il dédicaçait son portrait diffusé dans le journal le Véloce sport en y ajoutant la maxime : « Aide toi, le ciel t’aidera ». Véritable « self made man » il pense que chacun tient son avenir entre ses mains. La rigueur, la discipline, le travail, peuvent offrir à ceux qui s’en donne vraiment la peine, une vie meilleure. Il retrouve chez d’autres personnalités de l’époque appartenant  aux milieux plutôt conservateurs, des idées proches des siennes. Ainsi d’abord industrielle, sa collaboration avec le Comte Jules Albert De Dion est également teintée de respect et probablement d’amitié. Elle se concrétise au tournant du siècle, dans le développement de la presse sportive. Adolphe Clément est très actif aux cotés du Comte de Dion, dans la création du journal « l’Auto-Vélo » dont on sait aujourd’hui le combat sans merci qu’il livra à Pierre Giffard, Directeur du journal « le vélo », homme de progrès et Dreyfusard. Adolphe Clément ne sera jamais en première ligne dans cette affaire mais par contre il semble que ce soit bien lui qui est imposé Henri Desgranges à la direction du journal dont le premier exemplaire paru le 16 octobre 1900 et qui prît dès l’année suivante le titre « l’Auto ».


http://cbayard.pagesperso-orange.fr/

 

 

N’ayant plus le droit d’utiliser le nom Clément comme marque pour sa production, suite à la création du groupe Clément-Gladiator-Humber, Adolphe Clément après avoir, un temps, utilisé les noms Bayard puis Bayard-Clément finit par opter pour Clément-Bayard. Ce sera désormais le nom de sa marque.

L’origine de ce nom, provient de la statue du valeureux chevalier, défenseur de la ville de Mézières en 1521, qui se trouvait à proximité immédiate de la nouvelle fonderie qu’Adolphe Clément possédait dans la ville. Il fait sienne la devise du chevalier Bayard « sans peur et sans reproche » qu’il considère comme un slogan idéal pour les voitures qu’il produit désormais. Les choses vont finalement bien au-delà de la devise de Bayard. Adolphe Clément se sent un peu comme un successeur voir même un descendant de ce héros de l’histoire de France, et en 1909, il demande et obtient, du Conseil d'État, l'autorisation d'ajouter, pour lui et sa descendance, le nom de Bayard à celui de Clément. Dès lors, et jusqu’à la fin de sa vie, il portera le nom d’Adolphe Clément-Bayard. Ces descendants ont, depuis cette date conservé, cet ajout.

 

 

Comme pour les bicyclettes, Adolphe Clément lance des modèles de la marque dans la compétition pour se faire de la publicité et construire la réputation de sa nouvelle marque. On retrouve les voitures de la marque dans de nombreuses courses comme le meeting de Cannes, le tour de France de l'Automobile Club de France, ainsi que tous les concours qui peuvent mettre en valeur la production de l'entreprise : concours des véhicules industriels et de tourisme… Il participe lui-même à quelques épreuves avant de laisser son fils aîné, Albert exercer ses talents de pilote.

 

Albert Clément,
http://leroux.andre.free.fr/

 

Celui-ci se révèle un excellent pilote. Il participe en mai 1904 aux Éliminatoires Françaises de la célèbre coupe automobile Gordon Bennett, où il termine 10ème. Il remporte la seconde manche du Circuit des Ardennes des Voiturettes au mois de juillet sur une Clément 18 HP, et termine encore 3ème de la troisième manche à Bastogne. En octobre il prend la 2ème place de la coupe Vanderbilt disputée cette année à Long Island. Après une saison 1905 ratée, on le retrouve à son plus haut niveau l’année suivante. En juin 1906, il termine 3ème du premier Grand Prix de l'Automobile Club de France, désormais avec une 100 HP, puis 6ème du circuit des Ardennes en août, et 4ème de la coupe Vanderbilt en octobre.

 

Alors qu'il est soldat au 5ème régiment du génie installé à Versailles, il se tue pendant les entraînements du Grand Prix de l’Automobile Club de France 1907 au volant d'une Bayard-Clément 6 cylindres de 200 chevaux qui porte le numéro 13. Ce numéro ne sera plus jamais attribué en course automobile sur le territoire national. L’accident eu lieu à Saint Martin-en-Campagne près de Dieppe. Albert Clément n’avait que 24 ans.

Marié depuis de longues années et père de quatre enfants, Adolphe Clément-Bayard sera très affecté par la mort de son fils Albert dont il pensait faire son successeur à la tête de l'empire familial. Il se désintéresse de la compétition automobile qui vient de lui prendre son ainé. Bien évidemment la marque Clément-Bayard continue de produire des voitures mais Adolphe Clément pour oublier, concentre son énergie vers une nouvelle activité. Il se lance dans la construction de dirigeables dont il fait construire les enveloppes par la société Astra dans laquelle il est financièrement engagé..

 

 

 

 

Plusieurs dirigeables sont construits entre 1908 et la Première Guerre mondiale. Le « Clément-Bayard I » lors de son premier long un raid aérien  de Sartrouville à Compiègne et retour, survola Paris, le 1er novembre 1908. Il est à sa sortie le dirigeable le plus rapide du monde avec une vitesse d’environ 50 kilomètres à l’heure. Trouvé trop cher par l’armée Française, il est finalement vendu au Tsar de Russie. Le dirigeable « Clément-Bayard-II » fut quand à lui, le premier à traverser la Manche en parcourant 380 km en 6 heures, le 16 octobre 1910. Les techniques ont fortement progressées en deux ans et le « Clément-Bayard-II » est capable d’atteindre 65 kilomètres à l’heure. Là encore, la France n’est pas intéressée par cet engin pourtant à la pointe de la technologie et c’est finalement le journal « Daily Mail » qui l’achète et l’offre au gouvernement anglais. L’entreprise Clément-Bayard construisit au total six dirigeables dans ses usines. Au départ, c’est sur les terrains d’Adolphe Clément-Bayard dans sa commune natale de Pierrefonds que devait être installée l’usine appelée à réaliser les dirigeables mais finalement c’est à la Motte Trosly-Breuil, dix kilomètres plus loin qu’elle sera finalement construite, près d'une usine de gaz. En 1910, cette base est la plus moderne de France. Elle possède des portes à coulisses, un éclairage électrique et un chauffage à la vapeur.

Au début de la Première Guerre mondiale, sur les six dirigeables de l’armée française qui après bien des hésitations, s'est finalement intéressée à cette technologie, trois sont des Clément-Bayard.

 

Adolphe Clément-Bayard s’intéresse aussi à l’aviation en devenant tout d'abord fournisseur de moteur pour Santos Dumont et son petit monoplan baptisé la « demoiselle ». L’avion de Santos-Dumont est équipé d’un bicylindre à plat de 20 chevaux de la marque. Ensuite, Clément-Bayard sort plusieurs types d'avions monoplans et biplans dont plusieurs modèles sont conçus pour être vendus à l’armée.

Nommé commandeur de la Légion d'honneur le 1er novembre 1912, Adolphe Clément-Bayard est reconnu par l’État Français pour ses qualités d'industriel, ses services rendus à l'aéronautique militaire. Malgré cette reconnaissance qui ouvre bien des portes, Adolphe Clément-Bayard demeure un homme discret, peu enclin à se mettre en avant. Il n'affectionne pas particulièrement les soirées mondaines et il préfère quand il a un peu de temps libre aller se ressourcer dans sa ville natale. Après la disparition de son fils,  il accentue son retour vers cette région qu'il aime tant. Il achète dès le début du siècle, de nombreux terrains, les bâtiments de la station thermale et il devient maire de sa commune en  1914. Il confiera très vite les commandes de la Mairie à un de ses amis pour se consacrer totalement à l'effort de guerre que le gouvernement Français demande aux grandes entreprises nationales. L'ami en question n'était autre que le fondateur d'une marque automobile dont le prestige aujourd'hui encore, demeure intact, Carlo Bugatti. Adolphe Clément devient ainsi en quelque sorte, le seigneur du lieu. Le nouveau chevalier Bayard de la petite ville dont il défend les intérêts avec le courage, la pugnacité et les méthodes qu'on lui connaît.

http://www.cparama.com/

 

La guerre est une catastrophe pour de nombreuses grosses entreprises françaises comme celle d'Adolphe Clément-Bayard. Son usine de Levallois, est réquisitionnée et elle se consacre à la production d'obus de 1915 à 1918 pour l’État Français. Cette production n'est pas rentable. Après la guerre, il tente de relancer la production automobile mais son temps est passé. La marque a une image de luxe, de haute technicité et de qualité, mais cette qualité à un prix que désormais bien peu ont les moyens de se payer. Les besoins des Français vont plutôt vers des véhicules à bas prix et le volume de production ne redécolle pas malgré les efforts du créateur de la marque et de son fils.

Les soucis financiers conduisent  Adolphe Clément-Bayard a ne pas se représenter à la Mairie de Pierrefonds en 1919. La loi d'avril 1920 par laquelle l’État Français fait porter un peu plus l'effort de guerre aux entreprises ruine un peu plus des marques industrielles de renom comme Gnome et Rhône, Farman, Blériot, Clerget et Clément-Bayard qui pour la première fois doit effectuer des licenciements.

Adolphe Clément-Bayard qui a maintenant largement dépassé les soixante ans, n'est pas un homme a baissé les bras, il se démène comme un beau diable au coté de son fils pour redresser la barre mais  malgré toute sa volonté et son courage, cela ne suffit pas. Les temps ont changé, et rien ne sera jamais plus comme avant la grande guerre. Adolphe Clément-Bayard comprend qu'il n'y arrivera pas et plutôt que de courir à la catastrophe dans un avenir proche, il décide d'aider un jeune ingénieur dont il apprécie les idées et les projets dans le domaine de la construction automobile : André Citroën. En accord avec son fils qui dirige le département automobile de la société depuis 1914, il revend l'immense et moderne usine de Levallois-Perret e à André Citroën en 1922. Cet achat permettra à André Citroen qui a également acquis les machines de la société Clerget et qui utilise aussi les services de Gnome et Rhône, de sortir rapidement une première voiture vraiment populaire, la 5 HP.

www.aero-mondo.fr/.

Adolphe Clément-Bayard est décédé  le 10 mai 1928, à son domicile du 35 avenue du bois de Boulogne dans le 16ème arrondissement de Paris, des suites d'une crise cardiaque survenue en voiture alors qu'il se rendait à un Conseil d'Administration. A soixante treize ans, le vieux « chevalier » n'avait toujours pas totalement décroché et pour lui, un mandat, quel qu'il fut impliquait une réelle responsabilité et un travail effectué avec le plus grand sérieux. Il y aurait encore beaucoup à dire sur le parcours industriel d'Adolphe Clément-Bayard mais ce n'était pas le cœur de notre propos et d'autres l'ont déjà fait avec talent.

« Aide toi, le ciel t'aidera » devise choisie par Adolphe Clément-Bayard, illustre fort bien, le parcours de sa vie. Petit apprenti, issu d'une famille très modeste, il n'a pendant longtemps pu compter que sur lui même pour avancer. Travailleur acharné, doué d'un excellent sens des affaires, avant de se lancer dans les affaires, il fut un coureur cycliste relativement doué, obtenant des places d'honneur  dans les courses de la période préhistorique du cyclisme. Passionné depuis sa plus tendre enfance, par ce fabuleux engin à deux roues qui de vélocipède,  bicycle et, grand bi devint sous ses yeux, la bicyclette, il consacra toute son énergie à la création d'une industrie du cycle qui en quelques années devint quasiment l'égal de sa concurrente britannique. A l’affût de toutes les innovations technologiques, tant pour l'amélioration des machines que pour leur production, il appliqua les mêmes méthodes de travail lorsqu'il se lança dans la construction automobile, l'aviation et la construction de dirigeable. A l'image de son modèle, le chevalier « Bayard », il donna beaucoup pour son pays sans être toujours « payé en conséquence ». Homme de terrain quelque peu oublié aujourd'hui, Adolphe Clément-Bayard fut pourtant l'un des plus grands capitaines d'industrie de la France de l'avant guerre, si ce n'est le plus grand.

 

Palmarès

1876    6ème d’Angers-Tours

1877    5ème à Toulouse
            Participation aux journées d’Angers
            3ème d’Angers-Tours derrière Tissier et Terront
            2ème de Toulouse-Pamiers derrière Tissier et devant Terront

 

 En savoir plus

http://www.culture.gouv.fr/public/mistral/leonore_fr

www.hydroretro.net/etudegh/index.php

http://www.uniquecarsandparts.com.au

http://gallica.bnf.fr/

http://cfranquelin.free.fr/

http://www.sterba-bike.cz/

https://fr-fr.facebook.com/pages/Clément-Bayard/

http://histoire.maillots.free.fr/cyclisme/

http://www.moto-histo.com/france/

http://www.objectif-dirigeable.com/

http://www.precurseursaviation.com/

 

« L'auto-vélo: le journal précurseur du Tour de France » de Jacques Lablaine, L'Harmattan, 2010

« Le Cyclisme théorique et pratique », par Louis Baudry de Saunier", ouvrage précédé d'une préface de Pierre Giffard ; Éditeur : Librairie illustrée, Paris 1893

« Clément Bayard Pionnier industriel », par Gérard Hartmann ETAI éditions,  2013,176 pages

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