par Gérard SALMON, Président de la Vélocithèque, 206 Montée Saint-Martin, 69590, Pomeys, France,
gerard.salmon@worldonline.fr
Tous les plus récents historiographes du cycle en conviennent : on ne peut plus évoquer les origines du Vélocipède sans parler des frères Olivier, de Perret, de Favre, et de Raymond Radisson.
Or il se trouve que les routes de tous ces pionniers se sont croisées à Lyon, d’où notre idée que le feu vélocipédique couvait peut-être déjà dans cette ville depuis quelque temps quand il a embrasé Paris puis la France et le reste du monde à partir de l’Exposition universelle de 1867.
D’ailleurs dès 1869, René Olivier évoquant les premiers temps vélocipédiques écrivait dans une note manuscrite :
« Les personnes qui voulaient avoir des instruments de service devaient les faire faire à Lyon », avant de préciser que « M. Favre à Voiron, homme intelligent, se met à construire un modèle imité de celui de Lyon ».
Notre curiosité sera donc ici d’examiner ce qui s’est passé à Lyon dans ces premiers temps pour déterminer ce qu’il est convenu d’appeler le « modèle de Lyon », et pour cela notre étude consistera en un double voyage :
- dans le temps d’abord par le rappel de cinq dates « historiques »
- puis dans l’espace lyonnais ensuite par la visite de quatre lieux « protohistoriques ».
- Quelques dates « historiques »
Rappelons quelques dates importantes pour la vélocipédie :
- 1865 (les 15 octobre et 26 novembre)
Imprimé à Lyon, « Le Journal de Guignol » (journal satirique) est, à notre connaissance, le premier à Lyon à mentionner le mot « vélocipède » en son sens moderne dans les n°25 du 15 octobre et 51 du 26 novembre.
Voici ces occurrences :
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Retenons que cette gravure attribue l’invention de ce vélocipède à corps droit à Aimé Olivier.
Mais en 1866 un autre article attirera notre attention.
- 1866 (le 6 avril)
Le 6 avril 1866 en effet, « Le Journal de l’Ain » évoque un voyage vélocipédique entre Lyon et Bourg-en-Bresse, en deux étapes (cf. dossier 41 de la Vélocithèque) :
On peut lire :
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« Au moment où le train de plaisir versait dans nos rues de 500 à 700 personnes s’orientant de divers côtés, on vit trois jeunes gens arriver sur des Vélocipèdes, c’est- à-dire sans chevaux ni locomotives, mais simplement chacun d’eux à cheval sur deux roues placées à la suite l’une de l’autre, et marchant au moyen d’un mouvement qu’imprime le cavalier à deux pédales.
Partis de Lyon dimanche à 10 heures du matin, ces jeunes gens, franchissant la route sur ces véhicules d’un nouveau genre, sont arrivés à Saint-Paul de Varax à la tombée de la nuit et y ont couché.
Ils sont repartis de Saint-Paul lundi à 5 heures du matin et sont arrivés à Bourg ver 10 heures, au milieu de la population étonnée de ce nouveau moyen de locomotion, qui n’est pas toutefois sans fatigue.
Dans l’après-midi, les jeunes Lyonnais, transportés sur leur véhicule, ont encore parcouru le faubourg Saint-Nicolas ».
Manifestement le chroniqueur n’avait, quant à lui, encore jamais vu de vélocipède. Ce texte est donc, dans le genre « récit de voyage vélocipédique », lui aussi une première !
Autre première : le 12 septembre 1867 « Le Courrier de Lyon » présente la publicité vélocipédique illustrée que voici :
Cette gravure publicitaire est riche d’informations :
- Le nom du constructeur : Cadot
- Son adresse : 7 Cours des Chartreux (au-dessus du Quai Saint-Vincent)
N.B. : on retrouve la trace d’un Henri Cadot, « propriétaire-mécanicien-constructeur » puis « appareils électriques », sis Cours des Chartreux (n°25, puis 27, puis de nouveau 25) jusqu’en 1891, puis H. Cadot fils (« ouvrier-mécanicien » même adresse (25) jusqu’en 1897, puis au 3 Place de la Croix-Rousse jusqu’en 1905).
- Sa qualité d’ « inventeur » (d’un « nouveau système à deux roues » semble-t-il)
- Sa récompense par une « médaille de 1° classe » en 1858
- La représentation précise (et exacte) du vélocipède proposé, ainsi que sa description (performances, prix,…)
Notons qu’il sera de nouveau question d’Henri CADOT quelques années plus tard dans un article d’un autre journal régional, « L’Echo de Lyon » du 22 octobre 1892 dans les termes suivants :
« Nous pouvons aujourd’hui certifier, avec un en-tête de facture en main, qu’en 1858, un inventeur lyonnais, M.H. Cadot, habitant à l’époque Cours des Chartreux à Lyon, …végétait dans son atelier, où il ne fabriquait…que des vélocipèdes, d’abord le premier à fer fin à deux roues, de 1 m. devant et 75 cm. derrière, et à pédales ; il y ajouta successivement un frein, garde-crotte et porte-lanterne, ce qui lui valut, à une exposition de 1858, une médaille de première classe, marquée, d’un côté, à son nom, et de l’autre à l’effigie de Napoléon III….
Est-il aujourd’hui (octobre 1892) mort, vivant, millionnaire ou mendiant ? C’est ce que nous ne savons. Toujours est-il qu’il liquida son fonds de fabrique de vélos du Cours des Chartreux à Lyon vers le 30 mars 1870, puisqu’il nous offrit à cette date la vente de vingt paires de roues de vélos, faites d’avance, disant sur une lettre datée du 30 mars 1870 vouloir quitter la fabrication des vélocipèdes et quitter Lyon pour aller exercer ailleurs une autre industrie….
Pour nous résumer, Cadot avait dû fabriquer avant 1858, et donc avant Michaux qui ne vient qu’en 1861, des vélocipèdes à pédales : pour le prouver nous tenons une lettre avec en-tête médaillé en 1858 et, de plus, le nom d’un des ouvriers de Cadot à la disposition de qui de droit.
Signé : RINICO, sportman arbreslois
N.B. : Constatons que le bâti du vélocipède Cadot est également un corps droit, et est en bois, comme celui d’Aimé Olivier. Serions-nous sur la piste du « modèle de Lyon » adopté par Favre, selon René Olivier ?
Il est temps de nous tourner vers Favre…
Moins d’un an plus tard en effet, le 29 février 1868, celui-ci, Alexis-Georges Favre, né à Lyon le 5 mai 1833, publie le premier opuscule français consacré au vélocipède : « Le Vélocipède, sa structure, ses accessoires indispensables ».
En voici la couverture :
On constate qu’elle confirme la déclaration de René Olivier : Favre a bien repris la configuration du corps droit de Cadot, remplaçant toutefois le bois par le fer…
Nous pensons avoir donc là le « modèle de Lyon » en question.
Seule nous manque la date de sa création, car le véhicule de Cadot, daté de 1867 par la publicité du « Courrier de Lyon », témoigne d’une technologie tout autre que primitive…Et le corps droit de la machine Olivier date, lui, de 1865…
Ce fascicule, imprimé à Voiron (2000 exemplaires déclarés), précède de quelques semaines « Le Vélocipède à pédales et à frein de M. Michaux par un amateur », que Favre évoque (p.29) dans la deuxième édition de son fascicule, parue en octobre.
Son opuscule fait à la fois œuvre de vulgarisation du vélocipède et de promotion du vélocipède Favre (« Je ne fabrique pas moi-même, mais j’en fais construire sur mes données, d’après mes plans et avec les modifications que j’ai apportées chaque jour. On fait très bien le vélocipède à Paris, on le fabrique également bien à Lyon, cependant j’ai vu de près ceux fabriqués dans ces deux villes, j’y ai vu quelques inconvénients et j’ai apporté à ceux que je fais confectionner les modifications que j’ai cru nécessaires… ».
Cette brochure nous permet aussi de rencontrer Michel Perret (in 1° éd. p.16), un oncle des frères Olivier, qui sera l’un des premiers à comprendre l’intérêt du nouvel instrument.
Voici le témoignage de Favre sur cette rencontre :
« J’habite Voiron et j’avais assez souvent l’occasion d’aller dans la petite ville de T…, le pays le plus charmant de l’Isère, situé à 12 km. de Voiron.
J’y vis pour la première fois, il y a un an, (N.d.R. : rappelons que l’ouvrage date de février 1868) un homme de cinquante ans environ parcourant, avec une vitesse et une aisance toute particulière, la route qui conduit de Voiron à T…J’appris que M.P..., le propriétaire de cet instrument, y avait par goût apporté beaucoup de modifications et avait une passion toute particulière pour ce genre d’exercice. Connaissant le caractère, les goûts artistiques et la position sociale de M.P., je réfléchis que le vélocipède n’avait pas été suffisamment apprécié de tous, et la simplicité de l’appareil m’engagea beaucoup à en faire l’essai. J’en fis confectionner un et je me mis en devoir d’apprendre à le manœuvrer….
Depuis un an je vais à T…chaque semaine sur mon vélocipède, il me faut trois quarts d’heure pour franchir les 12 km. qui m’en séparent… ».
Michel Perret (né à Lyon en 1813), est le patron d’une grosse industrie chimique qui avait ses usines d’abord (1849) à Perrache (centre de Lyon), puis à partir de 1854 à Saint-Fons, banlieue lyonnaise, avant de s’installer personnellement à Tullins en 1861. (cf. « Si Saint-Fons m’était conté » p.12).
Mais l’implication de Favre dans le développement du vélocipède va au-delà de cette publication.
Le 1er mars sort en effet à Grenoble le n°1 du premier journal spécialisé imprimé en France : « Le Vélocipède » :
Le fondateur en est encore Alexis-Georges Favre.
Le titre ne durera que 2 mois (6 n°), rapidement supplanté par « Le Vélocipède Illustré » (n°1 le 1°avril 1869) à Paris.
Premier bilan :
L’édition (presse, librairie) a ainsi gardé de précieuses traces des premiers pas du Vélocipède dans la région lyonnaise. Et l’on constate que le dynamisme de ses promoteurs est étonnant :
- Première réapparition du mot dans la presse régionale (1865)
- Premier récit de voyage (1866)
- Première publicité illustrée (1867)
- Premier ouvrage thématique (1868)
- Premier journal thématique également ! (1869)
Cette première partie de l’étude nous a sans doute permis d’identifier ce que René Olivier appelait le « modèle de Lyon », adopté par Favre, mais aussi semble-t-il par les Olivier et évidemment Cadot.
C’est ce modèle qui sera ensuite adopté par tous les fabricants à partir de 1868, en remplacement du corps dit « serpentine » (ou « corps cintré ») des premiers Michaux.
Question : peut-on parler « d’école lyonnaise », vu le succès de ce modèle ?
La cité de la soie n’a peut-être pas encore livré tous ses secrets. Une visite s’impose :
- Les lieux « protohistoriques »
1° site : 12, rue de la Barre (2ème arrondissement)
Date : entre 1824 et 1840 -
Genre : témoignages
L’évocation de ce lieu nous est suggérée par l’implication supposée de Barthélémy Thimonnier dans l’histoire de l’invention du vélocipède à pédales.
Le rôle de Barthélémy Thimonnier est évoqué par plusieurs témoignages (lettre de Benoît Martin à Maître Capelle (1873), livre d’Angello Gardellin : la Storia del Velocipede, 1946,…), mais nous ne conserverons que ceux qui concernent Lyon :
Dans un mémoire de Pierre Vallin, historien arbreslois du XIX° siècle, on peut lire :
« Avant l’année 1840, Barthélémy Thimonnier, chez un épicier de la vieille rue de la Barre à Lyon, Monsieur Pelletier son compatriote, allié à Pelletier, le député socialiste, travaille mystérieusement enfermé en une loge, au fond d’une cour, n°12. Ce qu’il cherche c’est le Vélocipède à pédales. S’il trouve, Pelletier fournira les fonds pour la construction… »
N.B. : Les Lyonnais connaissent bien cette rue de la Barre, qui permet de passer de la place Bellecour (2°arrondissement, plein centre de Lyon) au quartier de la Guillotière. On sait qu’Antoine Lumière, le père des fameux frères Auguste et Louis (détenteurs de 178 brevets dont celui du cinématographe, le 13 février 1895), y installa son atelier photographique en 1876.
Pierre Vallin ne dit pas que les recherches de Thimonnier ont abouti, mais ce qui est sûr, c’est que le 17 octobre 1847 il obtenait un brevet pour un couso-brodeur qui utilisait une manivelle comparable à celle qui aurait pu entraîner un vélocipède.
Par ailleurs, toujours selon ce document de Pierre Vallin :
« Il est connu que sur la route de Lyon à Lentilly, il expérimenta, avant 1848, un tricycle de sa construction…. »
C’est donc sur la foi de témoignages tardifs que nous rencontrons cette rue de la Barre dans notre promenade.
La place de Thimonnier dans l’histoire du vélocipède est incertaine, mais on ne peut fermer les portes a priori et elle a déjà fait l’objet d’une communication en 1991 à Saint-Etienne sous le titre « Note sur Barthélémy Thimonnier » (cf. le rapport correspondant, p.143).
Notre propos changerait d’orientation si nous insistions davantage.
2° site : la cour de La Martinière (Lycée du 1°arrondissement)
L’invention de la pédale a en effet plusieurs histoires, dont la plus communément admise est celle qu’a racontée Henry Michaux dans une lettre fameuse publiée par le journal « L’Eclair », le 28 mars 1893.
Mais depuis l’an dernier, grâce à notre dossier n°41 (« Aux origines du Vélocipède à pédales : la découverte d’un nouveau témoignage, celui de Raymond Radisson ») il en existe une autre qui a pour site Lyon et pour cadre la cour d’un établissement scolaire : La Martinière (18 place G .Rambaud, Lyon, 1°) que voici (en 2011) :
Voici quelques phrases extraites du récit autobiographique de Raymond Radisson, récit rédigé « vers 1900 » à l’intention de ses « enfants bien-aimés et…petits-enfants chéris » :
« En 1854…je me mis à fabriquer le premier vélocipède qui ait existé, je crois…Lorsque je fis mes premiers essais dans la cour de La Martinière, la commission de cette école tenait séance ; il y avait là tous les savants de Lyon, mon oncle Delamare, (etc.), …Comme je ne savais pas encore aller sur cette machine, je tombais aussitôt que j’essayais de marcher et ces chutes réitérées firent rire les graves membres de la commission qui descendirent dans la cour et firent la critique de mon outil…Quinze jours se passèrent en expériences…
Enfin un beau soir (car je ne pouvais me livrer à cet exercice que lorsque les élèves étaient partis), j’étais seul, je fis un tour complet sans tomber, je remontais triomphant, je fis plusieurs tours de cette grande cour, puis, malgré l’obscurité, je fis des voltes et pris si bien l’aplomb que je ne tombai plus…Mon brave oncle (Delamare) n’en croyait pas ses yeux…Le vélocipède était inventé.
…Les membres de la commission de l’école, convoqués par mon oncle le Directeur, me demandèrent une représentation pour laquelle je ne me fis pas prier. On me prodigua des bravos et les plus sceptiques furent convaincus. »
Résumons la suite qui implique successivement :
- son frère Jules, pour lequel Raymond Radisson construisit un second instrument dont les roues sont fabriquées par un dénommé Riban, à la Guillotière.
- son oncle « Monsieur Michel Perret », qui lui « demanda l’autorisation de faire relever par son mécanicien le plan exact de l’instrument et d’en faire un pour son cousin Marius Olivier…
On retrouve ici le nom de Michel Perret, et l’histoire semble se circonscrire à celle d’une ville et d’une famille !
3° site : l'école de La Martinière (18 place Gabriel Rambaud, Lycée du 1er arrondissement)
Mais puisque nous sommes à La Martinière restons-y !
Le nom de ce lycée évoque celui d’un « aventurier » lyonnais nommé Claude Martin (1735-1800) et surnommé Le Major Martin, que ses tribulations en Indes rendirent immensément riche et qui légua une partie de sa fortune (« deux mille sicka rupées » (!)) à sa ville natale, à la condition qu’elle serve à « établir une école pour instruire un certain nombre d’enfants des deux sexes ».
Ouverte en 1827, cette école allait s’installer en 1833 dans l’ancien cloître des Augustins, quartier des Terreaux, où elle est toujours aujourd’hui.
Dite « Ecole des Arts et des Sciences de Lyon », elle acquit très rapidement la réputation de former les futurs « sous-officiers de l’industrie ».
Voici son entrée aujourd’hui :
Parmi les élèves célèbres qu’elle forma figurent par exemple les frères Lumière déjà évoqués ci-dessus.
Mais pour ce qui nous concerne nous retiendrons les noms de :
a) Alexis Favre (né à Lyon, le 5 mai 1833, cf. supra) qui nous laissera (in p. V de son avant-propos de la seconde édition de son ouvrage « Le Vélocipède, sa structure », octobre 1868) des lignes enthousiastes sur son séjour dans cet établissement :
« Je me rappelai de Lyon, ma ville natale, je me souvins de mes anciens collègues de La Martinière. Ecole trop peu appréciée de nos jours (N.d.R.: en 1868) et dont le fondateur devrait compter plus d’imitateurs.
La Martinière, ce berceau de l’enfant pauvre, où il reçoit gratuitement le pain de la science, donné par les hommes les plus érudits de la cité ; asile où se développe l’intelligence par la théorie et la pratique des arts et métiers industriels ; nid fécond d’où s’échappe chaque année un essaim de plébéiens riches d’avenir et d’espérance, parce qu’ils sont riches de savoir ; parce qu’en mettant à profit le bien qu’ont leur a donné, ils peuvent devenir par la science et le travail d’excellents industriels, non pas en exploitant l’ouvrier et le considérant comme une machine, ainsi que cela se pratique trop souvent, mais bien en le considérant comme un ami auxiliaire ; l’un est la tête, l’autre est le bras : tous deux sont de même origine et s’en souviennent ». Etc.
Il est difficile d’être plus éloquent.
Mais voici un autre élève de La Martinière susceptible de nous intéresser : Raymond Radisson.
- Raymond Radisson :
Le nom de Radisson (voir ci-dessus) est apparu récemment dans l’histoire du vélocipède.
Raymond Radisson (16 mai 1831-22 juillet 1903) n’est pas né à Lyon, mais pas très loin, à Cuzieu petit village du département de la Loire.
N.B. : pour l’anecdote, Cuzieu est un des villages que traversera H.O.Duncan le 6 avril 1886 sur sa bicyclette Rudge, en provenance de Saint-Etienne et en direction de Roanne, le jour même où il rencontra les Gauthier !!!
Saisissons cette occasion pour rappeler la configuration de cette bicyclette « historique » :
Mais pourquoi Raymond Radisson fit-il ses études à La Martinière ?
Parce que le beau-frère de son père, (du nom de Delamarre) était le directeur de La Martinière, et c’est à ce titre qu’il proposera à Antonin (jeune marié depuis le 13 août 1825 avec Victoire Adélaïde Olivier et futur père de Raymond) le poste de surveillant-général-régisseur dans cet établissement. C’est donc à Lyon que Raymond Radisson passa une partie de son enfance puisqu’on sait qu’il entama sa scolarité chez les Dominicains, à Saint-Thomas d’Aquin, rue du Perron, à Oullins (banlieue de Lyon), de 1838 à 1846 et qu’en 1847 il rejoignit La Martinière où se passa l’événement raconté ci-dessus.
Nous venons donc de voir son lien de parenté avec la grande famille Olivier.
- Or les trois frères Olivier, tous nés à Lyon (Marius en 1839, Aimé en 1840 et René en 1843) ont suivi exactement le même cursus scolaire que Raymond Radisson :
- D’abord Saint-Thomas d’Aquin (Oullins) respectivement en 1846 (Marius), 47 (Aimé) et 50 (René).
Cf. Ci-dessous une attestation de l’inscription de Raymond Radisson dans cet établissement :
- Puis les trois frères rejoindront La Martinière, jusqu’en, respectivement, 1859 (Marius), 61 (Aimé) et 63 (René).
Ainsi, les cinq Lyonnais les plus impliqués dans les origines du vélocipède ont fréquenté les mêmes lieux, suivi une formation identique et avaient même pour quatre d’entre eux des liens de proche parenté (cousinage).
A cela se rajoute que le fameux Michel Perret est aussi le frère de leur mère (Antoinette-Sophie Perret), donc leur oncle. Et dans les années qui nous intéressent, entre 1850 et 1860, tous habitent à Lyon !
4° site : La Guillotière (7ème et 3ème arrondissement)
Pour mémoire ce site est, dans nos récits, associé au nom de Riban.
Ce nom revient à plusieurs reprises :
a) La première fois (chronologiquement) sous celle d’Aimé Olivier, dans son opuscule « Les inventeurs du Vélocipède (1690-1863) : René Olivier » (1894), par deux citations :
P.5 : « Encouragé par ce résultat, Riban, mécanicien lyonnais, construisit à Lyon et vendait couramment – vers 1856 ou 58 des tricycles de plus grandes dimensions dans lesquels il transmettait à l’essieu des roues de derrière l’action du pied ajoutée à celle de la main ; cette heureuse disposition donnait de très bons résultats…Mais…le véhicule était trop lourd… »
P.13 : « On revient au modèle de Riban (1856) combinant l’action du pied et celle de la main ». (N.B. : Aimé Olivier se réfère explicitement en note, p.6, au modèle dit de Valère).
b) Mais on retrouve le nom de Riban sous la plume de Raymond Radisson dans le mémoire familial (Dossier de la Vélocithèque n°41, p.6) :
« Je fis faire les roues par un charron (Riban à la Guillautière, (sic)) et je montai tout le mécanisme… »
N.B. : d’après sa propre chronologie nous sommes en 1854 ou 55, dates qui correspondent à celles d’Aimé Olivier.
Quant à la Guillotière elle est un des plus anciens et célèbres quartiers de Lyon. La Grande Rue de la Guillotière commence dans le 7° arrondissement.
De ces deux témoignages on retient qu’on fabriquait des vélocipèdes tricycles à Lyon dans les premières années 50, que Riban était une référence, mais que, jusqu’en 1854 au moins, le bicycle était inconnu.
Récapitulation :
Il se trouve donc que Lyon se décline comme :
a) la ville natale de, successivement :
- Michel Perret en 1813
- Alexis Favre (le 5 mai 1833)
- Marius Olivier (le 4 janvier 1839),
- Aimé Olivier (le 10 juillet 1840)
- et René Olivier (le 12 décembre 1843)
N.B. : la plupart des protagonistes de cette histoire appartiennent à la même famille :
- La mère de Raymond Radisson est Victoire Adélaïde Olivier (dite Adèle, née à Lyon). Elle est la sœur de Jules Olivier, père des trois frères (Marius, Aimé et René) qui de ce fait étaient les cousins de Raymond.
- Jules Olivier (né à Lyon le 24 prairial, an 12, = 1804), chimiste à Lyon, avait épousé le 2 mars 1838 Antoinette Sophie Perret (née à Lyon le 18 janvier 1821), sœur de Michel Perret, qui était donc, lui, un oncle des trois frères Olivier
- Michel Perret (né à Lyon en 1813) ingénieur civil dès 1838 à Lyon, puis négociant à Lyon en 1849 s’est ensuite installé à Tullins en 1861
Parents par naissance ou par alliance, ils sont donc tous issus du même milieu social de riches industriels lyonnais.
b) le lieu de résidence de :
- Michel Perret (né en 1813), patron d’une grosse industrie chimique avait ses usines d’abord à Perrache, puis à Saint-Fons, banlieue lyonnaise, à partir de 1854 (avant de s’installer personnellement à Tullins en 1861) cf. « Si Saint-Fons m’était conté » p.12
- Cadot habitait Cours des Chartreux (en 1867)
- Riban est charron à la Guillotière (près du centre de Lyon), tout comme la rue de la Barre où travailla Thimonnier
- Gabert est présenté par René Olivier comme un de leurs employés à Lyon
- Les Olivier habitent quai de la Baleine à Lyon
- La famille Radisson s’installera à Lyon et Raymond y revient pour se marier, début décembre 1852
c) le lieu de formation :
- Saint-Thomas d’Aquin à Oullins, banlieue lyonnaise, (Radisson, les Olivier)
- et La Martinière (les mêmes plus Favre) à Lyon
d) un lieu de construction de vélocipèdes :
- Cadot (Cours des Chartreux, à Lyon)
- Riban avait pignon sur rue à la Guillotière, quartier proche du centre de Lyon
e) un foyer d’apprentissage:
- Le premier voyage à vélocipède des frères Olivier a fait étape à Lyon fin août 1865
- et « Le courrier de l’Ain » du 6 avril 1866 mentionne un voyage de trois « cavaliers » partis de Lyon pour Bourg-en-Bresse, les dimanche et lundi précédents.
Conclusion :
Notre voyage dans le temps et dans l’espace lyonnais a surtout consisté en une récapitulation, mais celle-ci ne nous a pas semblé vaine.
En en remettant les éléments en perspective nous lui distinguons plusieurs intérêts :
Le premier est une progression de l’implication des Lyonnais dans la chose vélocipédique :
On dirait en effet qu’ils deviennent progressivement acteurs d’abord en tant qu’artisans avec Thimonnier et Radisson, puis pratiquants (les Olivier, Perret, Favre) et enfin industriels avec les mêmes Olivier et Favre. Bref d’abord affaire de jambes, puis de mains, cela finit en affaire de têtes, voire d’argent !
Second intérêt : on est partis enquêter sur une ville, et on a trouvé un modèle de vélocipède (dit « de Lyon ») …et même une école, formatrice d’une culture d’entreprise : La Martinière !
L’histoire du vélocipède eut sans doute été différente sans les Radisson, les Olivier et Favre…
Donc sans La Martinière !
L’expression « école lyonnaise » prend peut-être ainsi une nouvelle signification !
Un autre intérêt de notre récapitulation est aussi ce passage de la petite histoire à la grande Histoire du Vélocipède grâce au récit de Raymond Radisson qui non seulement ne contredit pas les précédents, mais les complète et s’imbrique idéalement dans ce que nous savions des Olivier, de Favre et de Perret !
Mais bien entendu cela ne répond pas à toutes les questions. En voici quelques-unes :
H. Cadot a-t-il fait lui aussi des études à la Martinière dont il était si proche voisin ?
A-t-il connu Radisson ? Favre ? Les Olivier ?
Que récompensait précisément sa médaille de 1858 ?
Et nous n’avons pas parlé de Gabert….
Affaire à suivre probablement…
Gérard SALMON
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