« Les Blancs étaient persuadés que, quelles que fussent leurs manières, sous toute peau sombre se cachait une jungle. Eaux rapides et non navigables, babouins hurlant et se balançant, serpents endormis, gencives rouges prêtes à boire le doux sang blanc. »
Toni Morrison « Beloved »
“I am a cyclist ; further, I am a negro.” ["Je suis un cycliste; après, je suis un nègre.]
Marshall Taylor *
(* Marshall Taylor dans une lettre adressée au journal "The Bearings", à propos de la décision de restreindre la League of American Wheelmen aux seuls Blancs.)
AVERTISSEMENT : certains termes employés dans ce coup de chapeau à Woody Headspath peuvent choquer, cependant il nous paraissait important de "révéler et retranscrire" l'idéologie de l'époque, le mot "nègre" qui est utilisé de nombreuse fois dans ce récit, reflète toute une période coloniale.
Fallait-il bannir ce mot ? - s'il comporte une dimension infamante, il a impunément perduré à travers le temps jusqu'à devenir un langage commun à la fin du XIXème siècle avec un fort caractère péjoratif, il nous est apparu nécessaire de ne pas l'occulter, les évènements décrits se sont déroulés dans un contexte d'un autre siècle.
Être le numéro 2, sans aucun espoir de devenir un jour le premier c’est être condamné à rester perpétuellement dans l’ombre et, c’est la certitude de très vite basculer dans l’oubli. Woody Headspath, coureur noir d’Indianapolis, débuta sa carrière au moment où un autre afro-américain, Major Taylor, devenait champion du monde de vitesse, en éclaboussant de sa classe, le gotha des sprinteurs blancs. La comparaison avec un coureur aussi talentueux ne pouvait qu’être défavorable à Woody Headspath, qui, durant toute sa carrière, sera toujours jugé à l’aune de l’immense talent de Major Taylor. Comme son illustre compatriote, sa couleur de peau empêcha Woody de s’exprimer librement dans son pays où il eut à faire face au suprématisme blanc de certains coureurs ainsi qu’aux tracasseries administratives de la Fédération Américaine qui ne voyait pas d’un très bon œil le développement du cyclisme au sein de la communauté noire. En lui renvoyant à la figure, ses rêves de gloire et de victoire à cause de sa couleur de peau, les tenants de cette politique de discrimination ne lui ont pas laissé d’autre choix que l’exil. En Europe, le racisme et les préjugés étaient nettement moins violents qu’aux États-Unis et c’est sur le vieux continent que Woody effectua quasiment toute sa carrière. Pour lui Paris deviendra avec le temps, sa deuxième patrie, celle de la tolérance et de l’épanouissement personnel.
Avant guerre, Woody Headspath fut un excellent coureur. Détenteur du record de l’heure, il courut durant de nombreuses années sur tous les vélodromes européens, à l’aise aussi bien lors des épreuves de vitesse que de demi-fond. Pourtant, comme beaucoup d’autres cyclistes, quand sonna l’heure de la retraite sportive, il éprouva les pires difficultés à se reconvertir. Vivotant grâce à de petits boulots, la quarantaine bien sonnée, il revint sur les pistes, à maintes reprises. Dans les années 20, seul coureur noir encore en activité en France, avec son ami, le Martiniquais Germain Ibron, il survit péniblement en s’alignant pour de maigres cachets dans de modestes épreuves disputées en province tout en rendant de menus services aux champions du moment…
Totalement éclipsé par le parcours brillant de Major Taylor, ignoré dans son pays, et en Europe où il effectua l’essentiel de sa carrière et où il vécut près de quarante ans, Woody Hedspath demeure un personnage obscur sur lequel nous allons essayer d’apporter un peu de lumière.
1) Le cyclisme, un sport réservé aux blancs ?
Se plonger dans la vie de Woody Headspath implique tout d’abord de prendre en compte les nombreuses variantes orthographiques de son nom de famille. Le plus souvent écrit Hedspeth aux Etats-Unis, son patronyme se transforme en Europe, et en général on le trouve orthographié Headspath, Headspeth ou Hedspath. A ces quatre versions dominantes, il faut ajouter de manière beaucoup plus marginale : Headspaths [1] et même Hedgepath. [2]
Une telle diversité est surprenante mais on peut, peut être l’expliquer par le fait que Woody descendant d’esclaves, issu d’un milieu populaire ne savait pas lire. A ses interlocuteurs qui lui demandaient son nom, il n’a probablement pu répondre qu’oralement et selon l’oreille de chacun, l’écriture de son patronyme s’en est trouvé changée.
Les recherches concernant la jeunesse de Woody Headspath font apparaître de nombreuses incertitudes quand au lieu et à la date de sa naissance. On peut raisonnablement penser que Woody est né le 15 juin 1881 à Indianapolis, ville natale de Major Taylor, pourtant certains actes ultérieurs donnent d’autres indications. Ainsi selon le census (recensement) de 1900 à Chicago, Woody serait né en 1882 dans le Kentucky et pas dans la capitale de l’Indiana. Cette indication est très certainement fausse, mais il est en tout cas à peu près certain que la famille de Woody comme celle de Major Taylor était originaire de cet Etat. Dans tous les documents que nous avons pu consulter Woody a toujours déclaré que son père, Franck était natif de la petite cité de Lebanon dans le centre de l’Etat du Kentucky, au sud est de Louisville. Cette ville, siège du Comté de Marion, tient son nom des nombreux cèdres du Liban qui poussent dans le secteur. Si l’on se réfère aux demandes de passeport que Woody a effectuées en 1913 et 1921, il serait né le 14 juillet 1884 (demande enregistrée en 1913) ou le 15 juin 1884 (demande effectuée en 1921). [3] - Toutes ces erreurs laissent perplexe et l’on peut se demander s’il s’agit d’une volonté délibéré de Woody de se rajeunir alors qu’il a déjà largement dépassé la trentaine ou s’il s’agit de fautes des transcripteurs qui auraient mal interprété ou mal compris les déclarations de Woody.
A son arrivée à Paris, c’est en tout cas la date de naissance la plus vraisemblable qu’il fournit au journaliste de la Vie au Grand Air : le 15 juin 1881. Dans cet article on apprend qu’il aurait été scolarisé dans le même établissement que son illustre aîné, Major Taylor et que dès leur plus jeune age, les deux futurs champions se connaissaient.[4] - Si Major Taylor eut dans son enfance l’opportunité d’être beaucoup soutenu par la famille pour laquelle son père travaillait, ce qui lui permis de recevoir une éducation que ces camarades Afro-Américains n’eurent jamais, Woody n’eut pas cette chance. Issu d’une famille pauvre dont nous ne savons quasiment rien, Woody connu probablement une scolarité brève. Certains éléments laissent à penser qu’il ne savait ni lire ni écrire et il dut très rapidement apprendre à se débrouiller seul. Après avoir travaillé « dans le commerce des épices et cassonades », inspiré par les prouesses de son copain, Woody aurait commencé à pratiquer activement la bicyclette en 1897 ou 1898. Légende ou réalité, avec ses économies, il aurait alors acheté une machine d’occasion à Earl Kiser, un cycliste professionnel très populaire au milieu des années 1890. Surnommé « le démon de Little Dayton », en référence à sa ville natale de Dayton, dans l’Ohio ou « la petite merveille » ou encore « l’Hercule de poche » en raison de sa petite taille et de sa musculature développée, Earl Kiser, fit partie des premiers coureurs américains venus affronter les meilleurs européens sur le terrain dans les années 1894-1897. Après une brève carrière cycliste, Kiser devint un des meilleurs pilotes automobiles américain. Rival de Barney Oldfield ou de Louis Chevrolet, sa carrière fut stoppée brutalement à la suite d’un dramatique accident de course où il perdit une jambe, en 1905.
Sur sa bicyclette, le jeune Woody fait très vite parlé de lui. Les premières compétitions auxquelles il participe sont des épreuves réservées aux noirs. Dans le pays, la ségrégation s’était nettement renforcée depuis le début des années 1890 et ces courses étaient organisées afin que les coureurs de couleur ne puissent pas être confrontés à des blancs. Très vite, Woody s’y illustre sous les quolibets et les insultes d’un public à très large majorité blanc.
« Les coureurs de couleur de la ville ont eu l’occasion de montrer de quoi étaient faits leurs muscles. Woody Hedspeth a remporté l'épreuve du mile, ouverte aux coureurs de couleur exclusivement, en 2 minutes17 secondes et 4/5ème La foule entière a accompagné la course avec des cris et des coups de pistolet. Des cris de «Vas-y, encre» et «Pédale comme si la police était après toi» ont retenti partout et les coureurs ont obéi. » [5]
Bien que l’esclavage ait été aboli officiellement en 1865 par le 13ème amendement de la Constitution Américaine, les noirs demeuraient, surtout dans les États du Sud, des citoyens de seconde zone. Désireux de ne pas aviver les plaies de la guerre, l’État Fédéral avait fini par laisser les onze États du Sud qui avaient fait sécession (Mississippi, Louisiane, Géorgie, Texas, Virginie, Alabama, Arkansas, Tennessee, Kansas, Caroline du sud et du Nord…) adopter de nombreux textes réduisant, de fait, les droits des noirs. En 1896, l’arrêt « Plessy contre Ferguson » constitua un véritable recul démocratique en instaurant, à l’échelon national, le principe hypocrite de « separate but equal », autrement dit « séparés mais égaux ». Dès lors, la ségrégation raciale prit un tour officiel, faisant des Noirs des citoyens de deuxième classe dans un système qui dans ces États constituait un apartheid avant l’heure. Ainsi très paradoxalement dans la partie le sud des États Unis, les Afro-Américains se retrouvaient, plus de trente ans après la guerre de sécession, moins bien traités qu’ils ne l’étaient auparavant.
Les noirs ne pouvaient, par exemple, pas aller dans les mêmes écoles que les Blancs, ni prendre le même bus ou le même train. Ils étaient soignés dans des hôpitaux distincts et à leur décès, ils étaient enterrés dans des cimetières séparés. Ils étaient aussi exclus de nombreux magasins, de restaurants...
☚ Le Journal, 1er juin 1903
La violence raciste qui s’exerçait essentiellement au Sud eut également pour conséquence le départ d'une partie de la population noire vers les grandes villes industrielles du Nord. On estime qu’environ 200 000 personnes s'y installèrent entre 1890 et 1910. Pourtant leur situation n’y était pas idyllique et pour échapper un peu à cette discrimination quotidienne, les noirs commencèrent à se regrouper dans des quartiers qui allaient devenir, au fil des années, des ghettos.
Évoquer le racisme qui règne alors dans le milieu de la bicyclette américain renvoie obligatoirement à la figure emblématique de Marshall « Major » Taylor qui le premier, par son talent mais aussi par sa volonté de faire valoir ses droits, tenta de rompre ce que les américains appellent « the colored line »
The League of American Wheelmen fut créée le 30 mai 1880 par le regroupement d’une quarantaine de clubs cyclistes américains. The LAW comme elle est surnommée, se développa rapidement sur tout le territoire. Si elle s’occupa de l’organisation de compétitions, ses efforts portèrent d’abord sur le développement de la bicyclette et sur l’amélioration de ses conditions d’utilisation. The LAW intervint ainsi à maintes reprises auprès du gouvernement fédéral pour que des efforts rudimentaires soient engagés afin de rendre les routes de campagne du pays praticables pour ses adhérents. Jusqu’au début des années 1890, la question de l’adhésion de personnes de couleur au sein de club relevant de la Ligue ne se posait pas. Les machines coûtaient très cher et étaient l’apanage d’une élite fortunée. L’engouement pour la bicyclette et sa démocratisation qui va de pair avec la disparition du grand bi changèrent profondément la donne en quelques années. Les classes moyennes et populaires pouvaient désormais s’offrir une machine. Organisation sociale à but non lucratif, forte de plus de 36 000 membres au niveau national, the LAW évita tout d’abord, le problème en considérant que chaque club membre avait le droit d'exclure toute personne de son choix. En 1892, lors de son congrès annuel, les instances dirigeantes de la ligue rejetèrent une motion visant à exclure les noirs. Dans la réalité, bon nombre de clubs notamment dans les États du Sud avaient déjà acté cette décision dans leurs statuts et le mouvement faisait doucement mais sûrement tache d’huile. En 1893, William Walker Watts, un avocat et ancien colonel confédéré présenta une motion visant à restreindre l’adhésion de la Ligue aux seuls blancs alors qu’elle n’avait, selon le décompte le plus optimiste, que quelques centaines de Noirs en son sein. Comme tout texte modifiant les statuts de the LAW, il lui fallait la majorité des deux tiers pour être adoptée et malgré 108 voix pour contre 101 contre elle fut rejetée. Ce ne fut finalement que partie remise car le camp favorable à l’exclusion des Afro-Américains était de plus en plus important. En février 1894, lors du congrès qui se déroula à Louisville dans l’État du Kentucky. William Walker Watts, qui entre temps avait fortement mobilisé les partisans d’une adhésion réservée aux Blancs, présenta à nouveau une motion qui cette fois ci obtint 127 voix pour et seulement 54 contre. Le nouveau texte subtilement n’évoquait pas l’exclusion des noirs mais faisait de l’inclusion en réservant l’adhésion aux seuls blancs.
Les conditions d’adhésion « any wheelman of good character, 18 years of age or over shall be eligible to membership of this league » devinrent désormais « any white wheelman of good character... ».
L’ensemble de la délégation de l’État du Massachusetts s’opposa à cette décision qui d’ailleurs ne fut jamais appliquée partout dans le pays. Les exemples de clubs ayant continué à accueillir des Afro-Américains en leur sein sont nombreux notamment dans les régions de Boston et de New-York.[6] - Ces différences profondes selon les lieux, Marshall Major Taylor en fit très vite l’expérience. A Indianapolis, sa ville natale, il fut dès ses débuts, à tout juste quatorze ans, la victime de préjugés raciaux. Les coureurs locaux ne supportaient pas d’être battus par un gamin noir pas plus qu’ils n’acceptaient de s’entraîner avec lui. Exclu du club, Major Taylor raconte dans ses mémoires parues en 1929, qu’il connut une toute autre situation quand à la fin de l’année 1895, il arriva en compagnie de son patron et mentor Louis Menger, à Worcester, ville située à une soixantaine de kilomètres de Boston. Intégré dans le club, il put s’y entraîner et travailler comme n’importe quel autre coureur. De retour à Indianapolis en août 1896, Taylor battit officieusement un record du monde, lors d’une épreuve réservée aux amateurs en devançant très nettement ses adversaires blancs. Loin d’être acclamé pour son exploit, Major Taylor qui venait ainsi de rabaisser la fierté des blancs fut dans la foulée, interdit de compétition sur la piste de sa ville natale (Indy's Capital City track ). Pourtant, l’immense talent de Major Taylor, qui a tout juste dix huit ans, impressionne fortement tous les observateurs et finalement les dirigeants de la Ligue lui accordèrent une licence professionnelle, tout en affirmant qu’il s’agissait là d’une exception et qu’aucun autre noir ne pourrait en bénéficier.
Les victoires de Taylor sur des cyclistes blancs alimentaient les rubriques sportives de la presse et faisaient beaucoup de publicité à ses sponsors. Cette couverture médiatique intéressaient beaucoup de monde et pendant un temps cela permît à Taylor d’arriver à pratiquer son sport dans des conditions à pu près acceptables. Mais sur la piste, les choses étaient encore plus compliquées pour lui. Il se retrouvait régulièrement face à l’hostilité farouche de ses adversaires prêts à tout ou presque pour qu’il ne gagne pas. Des concurrents blancs refusèrent de rouler avec lui et d’autres s’entendaient durant la course pour le bousculer, le pousser ou pour mettre des clous sous les roues de sa machine. Lors d’une course en septembre 1897, Major Taylor fut jeté à terre et étranglé par son adversaire blanc, William E. Becker qu’il venait de dominer très facilement.[7] - Pourtant si l’on en croit Andrew Ritchie, le pire était encore à venir.
« Entre 1898 et 1900, les cyclistes professionnels formèrent une nouvelle organisation, la National Cycling Association, la NCA et, après avoir persuadé Taylor de devenir membre de la NCA, cette organisation tenta de l'exclure du sport, l'obligeant ainsi à se réinscrire à the LAW (The League of American Wheelmen) pour obtenir une licence professionnelle. Pendant quelques mois, il s’est effectivement retrouvé sans affiliation professionnelle. Tandis que Taylor luttait contre la bureaucratie des courses cyclistes américaines de 1897 à 1900, son cas a été de plus en plus identifié par le public et la presse comme une question de droit et d'équité envers un athlète vedette. Les partisans les plus influents de Taylor étaient les écrivains travaillant pour des magazines et des quotidiens du cyclisme, qui suivaient l’évolution de sa carrière avec admiration et sympathie ...En dépit de la politique raciste de la Ligue «réservée aux Blancs» votée à Louisville en 1894, les factions libérales au sein de l’organisation semblent avoir lutté pour traiter Major Taylor équitablement et respectueusement. Entre 1896 et 1899, la Ligue lui octroya une licence et lui permit de participer à ses courses. Après une longue lutte, la Ligue abandonna le contrôle des courses professionnelles en 1900 et Taylor n’y fut plus affilié. L’exclusion presque totale de Major Taylor de la compétition cycliste américaine s’est produite après 1901, lorsque le rival de la Ligue, la National Cycling Association, a pris le contrôle du sport professionnel. »
Sa victoire au championnat du Monde en 1899, ne calma pas la ségrégation dont il était de plus en plus souvent victime lorsqu’il prenait le départ d’une course. Après avoir enfin remporté le titre national sur le mile en 1900, Marshall Taylor, lassé de l’hostilité croissante à laquelle il devait faire face, ne courut quasiment plus dans son pays natal. Il effectua l’essentiel de sa carrière en Europe où il était devenu très populaire et où il n’était pas en butte aux tracasseries administratives et aux tricheries à caractère raciste de certains de ses adversaires.
Si son immense talent a permis à Taylor de s’ouvrir les portes du professionnalisme, pour les autres coureurs Afro-Américains, la situation était encore plus difficile. Rejetés par les organisateurs, maltraités par leurs adversaires, il leur était difficile de courir et de progresser dans de telles conditions. Ces actes perpétrés avant tout dans le sud du pays, incitèrent les Afro-Américains à se regrouper et des clubs cyclistes réservés aux noirs, se créèrent et organisèrent des courses. Il y eut ainsi une épreuve intitulée pompeusement “ the First World’s Tournament of Colored Riders” à Saint Louis en 1895.
Pour Woody comme pour les autres coureurs Afro-Américains qui ambitionnaient de faire carrière, il fallait, comparativement aux coureurs blancs, faire preuve de plus de capacités physiques pour s’ouvrir les portes du professionnalisme. Lors des rares épreuves « classiques » c’est à dire multiraciales auxquelles il a accès, Woody fait forte impression. Comparé sans cesse à Major Taylor dont il partage le lieu de naissance et aux dires de certains journalistes, le style, il est lui aussi un talent précoce. En juillet 1899, alors qu’il n’a que 18 ans, son passage chez les professionnels est évoqué dans la presse d’Indianapolis.[8]
Doté d’une excellente pointe de vitesse, il est, selon le journaliste auteur de l’article, le plus rapide des coureurs noirs après Major Taylor. Son meilleur chrono sur un mile est alors de 1 minute 49 secondes et 3/5, soit un peu plus de 53,1 kilomètre à l’heure. Sur la distance de deux miles, en tandem associé à un autre coureur de couleur d’Indianapolis, Jack Robinson, il aurait été crédité de 3 minutes et 39 secondes.[9]
Alors qu’il semblait promis à une belle carrière, en 1900, Woody n’apparaît plus dans les résultats. Certes les tracasseries administratives visant à l’empêcher de courir furent probablement nombreuses et cela peut expliquer cette soudaine disparition à un moment ou même pour Major Taylor, les choses devenaient plus compliquées. En ce cas, Woody a pu rester amateur et participer à des courses réservées aux Afro-Américains mais il est très difficile d’en retrouver trace aujourd’hui et de confirmer ou d’infirmer cette hypothèse.
Selon plusieurs sites américains s’intéressant à la carrière de Woody, celui ci aurait épousé le 18 mars 1899, Winnie Partee, fille de Samuel Partee et de Charity Dotson Partee. Le mariage aurait eu lieu dans le comté de Marion (Indianapolis).[10]
Les auteurs de ces recherches relèvent bien évidemment l’orthographe différente du nom de Woody mais ils mettent cela sur le compte d’une erreur de transcription au moment de la rédaction de l’acte, sans y attacher plus d’importance. Le prénom du père du marié, Franck correspond bien à celui du père de Woody et cela peut donner du crédit à cette hypothèse.
Pourtant, quand quatorze mois plus tard, Madame Hedgepath donna naissance à une petite fille, c’est encore cette orthographe qui est utilisée le 23 mai 1900 dans « The Indianapolis Journal ». Que l’erreur ait ainsi été reproduite pour deux évènements et par deux sources différentes nous paraît assez peu probable. Selon nos recherches, le nom d’Hedgepath était assez courant au début du XXème siècle dans la région d’Indianapolis (8 mentions entre 1900 et 1905 dans the Indianapolis Journal), il nous paraît donc tout à fait plausible qu’il y ai eu alors un Woody Hedgepath dont le père se prénommait Frank.
Dans son numéro du 5 juin 1903, l’hebdomadaire « La Vie au Grand Air » consacra un long article pour présenter au public trois cyclistes américains amenés à courir sur le territoire français durant la saison. Pour George Collett comme pour Major Taylor, l’article précise qu’ils sont mariés tandis que rien n’est dit pour Woody. Il peut s’agir d’un oubli du journaliste, d’une omission volontaire de Woody dont le mariage aurait pu être une catastrophe et qui pour cette raison n’aurait pas eu le désir d’exposer sa vie privée mais cet élément renforce encore l’hypothèse qu’il s’agit bien de deux hommes différents.
Autre élément troublant, cette même année 1900, on retrouve Woody bien plus au nord du pays, à Chicago, en compagnie d’un dénommé Reese Lewis. Ils sont tous deux employés comme réparateur de bicyclettes. Selon le recensement de 1900, les deux hommes louent une chambre chez un couple, Frank et Mamie Harris et l’un comme l’autre, ils se déclarent célibataire.[11]
L’année suivante Woody Headspath est de retour dans sa ville d’Indianapolis et il renoue avec la compétition… Parvenu à ce point de nos investigations, deux hypothèses s’offrent à nous :
- Il ne s’agit pas de la même personne et Woody qui est donc toujours célibataire, faute d’avoir obtenu sa licence professionnelle, a décidé de partir travailler pour une période assez courte à Chicago.
- Woody a effectivement épousé Winnie Partee mais peu après la naissance de leur fille, il a quitté Indianapolis pour Chicago, soit pour mieux subvenir aux besoins du couple, soit qu’il ait choisi de s’éloigner volontairement de sa femme et de sa fille suite à des problèmes au sein du couple.
En 1901, Woody réussi à obtenir sa licence professionnelle et on le retrouve très actif sur les pistes américaines. Les spécialistes lui prédisent alors une carrière semblable à celle de Major Taylor.[12] - Le premier exploit de Woody Headspath aurait été, si l’on en croit l’article de la Vie au Grand Air du 5 juin 1903, une victoire contre Walter Sanger que l’on surnommait le géant de Milwaukee. Ce coureur possédait une excellente réputation depuis qu’il avait réussi l’exploit de battre le roi du sprint, le fameux Arthur-Augustus Zimmerman. Woody aurait défié Sanger et il l’aurait dominé trois victoires à deux lors d’un match au meilleur des cinq manches.[13]
Durant le mois de septembre, Woody enlève les Six Jours de Springfield, dans l’Illinois. Cette épreuve ne ressemble pas aux véritables Six jours de l’époque ; il s’agit simplement d’une course d’une heure par jour pendant six jours. En tête dès le premier soir, Woody Hedspath s’impose brillamment.[14] - Il commence désormais à être connu dans le petit monde de la piste US mais ses performances comme son style, sont systématiquement analysées et jugées à l’aune des exploits de Major Taylor. Il faut dire qu’en 1901 et au début de 1902, les deux hommes sont les seuls Afro-Américains professionnels et que Taylor est alors au sommet de sa carrière.
Selon « The Evening Telegram » de New-York, Woody ressemble par sa morphologie et son style à Taylor.[15] - Pour « The Indianapolis News » du 6 juin 1901, dans son entraînement sur la piste, Woody s’est profondément inspiré des méthodes de Taylor.[16] - Selon « The Syracuse Evening Herald, » du 5 mai 1902 qui le surnomme la nouvelle merveille de couleur, il est tout simplement la copie de Major Taylor.[17] - Tout cela est finalement logique car outre leurs origines Afro-Américaines communes, les deux hommes se connaissent et on peut imaginer que Taylor, qui a toujours œuvré pour que d’autres Afro-Américains puissent, comme lui faire de la compétition, a probablement donné de judicieux conseils à Woody pour lui permettre de progresser.
Néanmoins cette comparaison est beaucoup trop lourde à porter pour Woody. Major Taylor est en effet, après le boxeur Canadien, George Dixon, le deuxième champion du monde noir de toute l’histoire du sport. Détenteur de nombreux records du monde, il est la référence absolue sur toutes les épreuves de vitesse.
Woody, malgré tout son talent, n’aura jamais la pointe de vitesse et la puissance de son illustre aîné. Par contre Woody est nettement plus porté sur l’endurance que Taylor ce qui lui permettra dès le début de sa carrière d’être également performant dans des épreuves de demi-fond. Depuis le 9 juillet 1898, le record du monde de l’heure était détenu par l’américain Willie Hamilton, qui, sur la piste de Denver, dans l’Etat du Colorado, avait parcouru 40,781 kilomètres. Le 31 juillet 1902 à Dayton dans l’Ohio, Woody Headspath réussi l’exploit d’améliorer très nettement ce record de l’heure sans entraîneur, en réussissant 41,921 kilomètres. Cette performance est signalée dans de très nombreux journaux français de l’époque dont on peut citer le Vélo du 5 et du 29 décembre 1902, l’Echo de Paris du 6 et du 30 décembre 1902, Le Petit Troyen du 11 janvier 1903 ainsi que Le Figaro du 16 septembre 1903...[18]
Ce résultat remarquable confirmé qui est cité par de multiples almanachs et revues américaines sur une période fort longue, allant de 1903 à 1924 ainsi que par des journaux français contemporains de l’évènement, demeure pourtant totalement absent des chronologies du record de l’heure que l’on peut consulter aujourd’hui. Cette omission est pour le moins surprenante et nous aimerions bien en connaître les raisons.
Parmi ces documents citons The Chicago daily news national almanac 1903, The Philadelphia record almanac 1903, The Bicycling world and motorcycle review et notamment le volume 46 (octobre 1902, mars 1903), le volume 53 (mars – septembre 1906) et le volume 64 (septembre 1911 – mars 1912), The World Almanac and Encyclopedia 1906,1907, 1908, 1923 et 1924, The Brooklyn daily eagle almanac 1907, ...
Le record de Woody Hedspath, bien que reconnu par la N. C. A. ne fut pourtant jamais validé par l’Union Cycliste Internationale pour qui, c’est aujourd’hui encore, Lucien Petit-Breton qui, le 24 août 1905 à Paris, améliora le premier la performance d’Hamilton en réussissant 41,110 kilomètres dans l’heure.
Woody Headspath réalise globalement une excellente saison 1902. Il obtient de nombreuses victoires qui lui permettent de se faire connaître au niveau national et d’être remarqué par les organisateurs des Six Jours de New-York. On le retrouve dans la liste des 32 coureurs retenus pour participer à la célèbre épreuve. Les équipes composées de George Leander associé à Floyd Krebs, des frères John et Menus Bedell, de Floyd Mac-Farland et Otto Maya, font figures de favorites. Parmi les équipes européennes invitées, les paires Jean Gougoltz - Karl Kaiser et Lucien Petit-Breton – Louis Darragon sont les seules qui sur le papier, semblent susceptibles de pouvoir inquiéter les Américains, dans un exercice qu’ils maîtrisent à merveille. Faute de pouvoir trouver un autre coureur Afro-Américain professionnel pour constituer une paire qui médiatiquement parlant aurait eu un important retentissement, Woody est associé à un coureur de Chicago, Alex Peterson, surnommé « The Terrible Suede » pour ces origines suédoises. Woody quand à lui est affublé du surnom de« Black Demon » par la presse.
Pour un coureur, être retenu pour participer aux Six Jours de New-York est une forme de consécration car la couverture médiatique de l’évènement est internationale. En France, en Angleterre, en Allemagne, en Suisse, en Italie mais aussi en Australie et partout où l’on s’intéresse au sport cycliste, des articles de presse parlent des coureurs des Six Jours et de leurs exploits. Woody est le premier Afro-Américain à participer aux Six Jours de New-York sous cette forme.
Major Taylor avait bien participé à une épreuve de Six jours au Madison Square Garden en 1896 mais il s’agissait alors d’une course en individuel. Rappelons que les premiers Six Jours se déroulaient ainsi en solitaire. Pendant 142 heures, les coureurs devaient demeurer en piste coûte que coûte. Pour tenir le coup, ne pas céder à la fatigue et au sommeil, ils étaient finalement contraints à ingurgiter toutes sortes de substances plus ou moins dangereuses.
A compter de 1898, il fut enfin considéré que ce genre d’épreuve au très long cours était néfaste pour la santé physique et mentale des coureurs. Dès lors, la réglementation internationale imposa aux organisateurs de Six Jours de limiter le temps passé sur la piste à 12 heures par jour et par coureur. La nouvelle réglementation redonna de l’intérêt à ce type d’épreuves qui, dans sa première version était soporifique et intéressait de moins en moins les spectateurs.
Richement dotés, les Six Jours demeuraient, y compris dans leur nouvelle formule, une épreuve très exigeante physiquement. Pour tenir dans la durée, il était nécessaire d’avoir une préparation sérieuse et intense. Les coureurs américains n’arrivaient en général à New York qu’au dernier moment car la piste n’était complètement installée que la veille du départ. Plutôt que de changer leurs habitudes en venant s’entraîner à proximité, chacun préférait, dans la mesure du possible utiliser son « terrain d’entraînement habituel ». On retrouve ainsi Mac-Farland, Maya et les frères Butler sur la piste d’Atlanta, Keegan, Feen et Moran sont basés à Boston tandis que Bald et Elkes ont choisi Philadelphie pour peaufiner leur forme. A Chicago, ville dont il est originaire, Alex Peterson et Woody Headspath qui l’a rejoint, se préparent ensemble. Ils apprennent à se passer des relais efficaces et ils tentent d’acquérir des automatismes qu’ils ne possédaient pas car c’est la première fois que les deux hommes sont associés en course.[19]
Véritable fiasco pour les équipes européennes dont aucune ne terminera l’épreuve,[20] ces Six Jours tournèrent également court pour Woody qui fut le premier coureur contraint à l’abandon. Durant le 27ème mile, c’est à dire au tout début de la deuxième heure de course, Woody est victime d’une chute dont les origines sont troubles. Un journaliste du « Daily Saratogian » évoque à mots couverts la possibilité d’un acte à caractère raciste. Il rappelle que « The American Racing Cycling Union » s’était opposée à la participation de Woody aux Six Jours mais que son avis avait été rejeté. Il ajoute que personne ne sait réellement qui est responsable de l’accident de Woody mais que dans le parterre, il se murmure qu’il ne s’agit pas d’une chute accidentelle.
Certains coureurs, comme Floyd Mac-Farland, n’ont jamais fait mystère de leur suprématisme et ils étaient prêts à commettre des gestes illicites pour se débarrasser d’un adversaire de couleur, pourtant cette version des faits n’est pas confirmée par les autres articles de presse relatant l’accident. Pour le « New-York Times » c’est un simple accrochage entre Woody et son partenaire, Alexander Peterson, au moment d’un passage de relais, qui a provoqué la chute de Woody.
Sur une piste de seulement 160 mètres de long, un peloton de 16 coureurs rendait la course dangereuse et la moindre erreur se payait en général cher. Il était important de bien tenir en selle et d’avoir d’excellents automatismes avec son partenaire pour que les passages de relais soient rapides et surs. Sur ce point Woody tout comme son partenaire, sont des novices par rapport à des spécialistes aguerris comme les frères Butler ou Harry Elkes.
Relevé avec la clavicule cassée, Woody insista vivement pour repartir. Pour la première fois de sa carrière, il se retrouvait dans un stade plein à craquer avec une ambiance incroyable. C’est un peu un rêve d’enfant qui se réalise pour lui et malgré la douleur il refuse d’admettre que tout va s’arrêter ainsi alors que la course ne fait que commencer. Il sait que c’est une occasion unique pour lui de se montrer et de décrocher des contrats, pourtant il lui faut bien se rendre à l’évidence et suivre les conseils de ses entraîneurs et des médecins. La douleur est trop forte pour pouvoir continuer cinq jours durant à pédaler douze heures par jour et finalement il est évacué vers The Bellevue Hospital pour y être soigné.[21]
Écartés de l’épreuve suite à une chute, Nat Butler, fracture de l’épaule et Woody, fracture de la clavicule, ne sont pourtant pas oubliés par les organisateurs. Conscients du manque à gagner potentiel que représentait un abandon sur chute, ils offrirent, lors de la réception de remise de prix, aux deux blessés, une somme destinés à payer les frais d’entraînement.[22] - Nous ne connaissons pas le montant reçu par les deux coureurs mais pour des hommes dont les revenus provenaient uniquement de leurs résultats, ce soutien même modeste était le bienvenu.
Woody Headspath était arrivé au départ des Six Jours de New York plein d’espoir pour la suite de sa carrière. Ici, le public l’accueillait avec sympathie, les quolibets et les insultes sur ses origines et sa couleur de peau étaient rares. Obtenir un bon résultat dans cette épreuve était pour lui, la quasi certitude de décrocher des contrats un peu partout dans le pays et d’avoir ainsi des revenus assurés pour la saison suivante. Relevé avec la clavicule cassée on peut aisément imaginer dans quel état d’esprit a pu se trouver notre homme à ce moment là. Il a probablement pensé alors qu’il venait de perdre beaucoup plus qu’une course et que son avenir cycliste allait être beaucoup plus compliqué que ce qu’il l’avait espéré. Sa volonté de repartir coûte que coûte est significative de son refus d’accepter la triste réalité. Pourtant les choses ne vont pas du tout se passer comme Woody le craignait et sans avoir rien pu montrer de sa valeur, Woody allait décrocher un contrat qui allait définitivement changer le cours de sa vie.
En effet dans les coulisses de la course, accompagnant les coureurs européens venus se mesurer aux cadors américains de la discipline, se trouvait Robert Coquelle. Le fameux journaliste n’était pas venu simplement pour raconter à ses lecteurs français les tribulations des équipes européennes engagées dans la ronde des Six jours, il était aussi là pour faire « son marché ». Robert Coquelle avait déjà effectué plusieurs voyages aux États Unis où il était notamment connu comme celui qui avait réussi à organiser la première tournée de Major Taylor en Europe, durant l’année 1901. Devenu en 1902, Directeur du nouveau vélodrome Buffalo, il profitait de son séjour à New-York pour rencontrer et recruter des coureurs pour assurer le succès des prochains meetings de la fameuse piste de Neuilly. Tirant son nom du fait qu'il avait été construit sur l'emplacement où se déroulèrent pendant l'Exposition Universelle de 1889, les exhibitions du colonel William Frederick Cody, plus connu sous le nom de Buffalo Bill, le vélodrome avait été entièrement rénové durant l’année 1902.
Dans sa conception, il s’inspirait, dit on, des vélodromes américains. La piste était un peu plus courte que l’originale passant de 333,33 mètres à 300 mètres. Le ciment beaucoup utilisé en France jusqu’alors, avait été remplacé par des lattes de bois, qui outre leur souplesse présentaient l’avantage d’offrir un meilleur rendement et d’être moins traumatisantes pour les coureurs en cas de chute.
Pour sa première saison en tant que directeur de Buffalo, Robert Coquelle a besoin de recruter de nombreux coureurs étrangers de talent afin de pouvoir proposer un plateau riche et varié, susceptible d’attirer en masse le public et de faire concurrence au Parc des Princes.
Nous n’avons pas connaissance du budget dont disposait Robert Coquelle mais le moins que l’on puisse dire c’est qu’il réussit un joli coup en obtenant l’accord de quelques uns des meilleurs coureurs américains du moment. La plus belle réussite de Coquelle est bien évidemment la signature de Major Taylor, qui effectuera sa seconde tournée européenne au printemps 1903. Cinq autres coureurs américains ont également signé un contrat avec le journaliste français : Harry Elkes, Joe Nelson, George Leander ainsi que le sprinteur George Collett et Woody Headspath.[23] - Ainsi grâce à Robert Coquelle, le public français aura la chance de voir évoluer sur les planches parisiennes, les deux seuls coureurs professionnels afro-américains en activité.
A ces coureurs en contrat avec le Directeur du vélodrome Buffalo, s’ajoutent trois autres professionnels qui sans bénéficier d’engagement particulier viennent courir le cachet sur le vieux continent, il s’agit du triple champion des États Unis de vitesse, Franck Kramer, d’Iver Lawson qui sera champion du monde de vitesse en 1904 et d’Eddie-Christian Bald qui a lui aussi conquis plusieurs titres de champion des États Unis de vitesse au milieu des années 1890.[24]
2) Un américain à Paris
Comme son illustre aîné, Major Taylor, Woody Headspath ne vint pas sur le vieux continent uniquement pour gagner de l’argent et voir du pays. Il fuit le racisme grandissant qui sévit durement dans de nombreux États Américains et qui, d’une manière générale, empêche au quotidien les Afro-Américains de vivre et de s’exprimer comme n’importe quel autre citoyen. Outre les insultes du public et les actes malveillants de certains coureurs, la volonté des instances dirigeantes, d’empêcher d’autres coureurs noirs d’émerger à l’exemple de Taylor, avait fini par le convaincre du besoin de changer d’air. S’étant vu refuser une licence professionnelle pour la saison 1903, Woody a accepté avec joie la proposition de Robert Coquelle qui lui permettait de demeurer professionnel et de venir tenter sa chance en Europe.
En France et d’une manière générale dans tous les pays européens, le racisme existait mais il se manifestait d’une façon fort différente de ce que des Afro-Américains comme Taylor et Headspath avaient pu vivre dans leur propre pays. Il y avait sur le vieux continent beaucoup plus de tolérance envers les gens de couleur, qu’aux États Unis. Ici, la culture noire était fort méconnue. Le pourcentage de gens de couleur vivant en Europe était extrêmement faible et l’on regardait les coureurs de couleur avec, à la fois de la curiosité, une relative sympathie et une condescendance certaine héritée du passé colonialiste commun à la plupart des pays Européens. Paternalistes, moqueurs mais sans méchanceté délibérée, les articles de presse regorgent de propos qui attestent d’un sentiment de supériorité des blancs par rapport aux hommes de couleur. Le mot "nègre" qui n’est quasiment plus utilisé aujourd’hui car il est devenu une insulte à caractère raciste, est à l’époque le mot le plus utilisé pour désigner un homme de couleur. C’est même à de très rares exceptions, le seul terme utilisé pour évoquer Woody Headspath et indiquer ses origines. Contrairement aux autres coureurs américains dont parle les journaux, pour lui il n’est quasiment jamais précisé sa nationalité mais uniquement sa couleur de peau. Cela aussi, bien évidemment, constitue une forme de discrimination.
Aussi insupportables et inacceptables que ces formules nous paraissent, pour les comprendre, sans pour autant les justifier, il faut se garder de voir et d’analyser les choses uniquement avec le regard d’un individu du XXIème siècle. Il est absolument évident que la façon dont Taylor, Headspath et les quelques autres coureurs noirs présents en Europe sont traités, présente un caractère raciste mais il est nécessaire de le replacer dans un contexte historique fort différent du notre, avant de la condamner et de la rejeter. Certains articles nous paraissent très ambivalents. Ils reflètent les sentiments qui dominent à l’époque en Europe de l’Ouest mais ils ont un fond beaucoup moins tranché que la forme ne nous le laisse supposer.
Tout en ne plaçant pas complètement les hommes de couleur sur un pied d’égalité avec les hommes blancs, les Français, soucieux, de par leur histoire et leur culture, des droits de l’homme se targuent malgré tout de les accueillir et de les soutenir dans la défense de leurs droits fondamentaux.
C’est peut être dans un article du journal Le Gaulois en date du 16 août 1903, que l’on trouve ce qui probablement résume le mieux, l’accueil réservé aux coureurs de couleur dans la capitale. Derrière des plaisanteries de fort mauvais goût et une bonne dose de paternalisme on découvre, et c’est probablement cela le plus important, un soutien sans réserve à la cause noire. En résumé, la forme nous apparaît comme tout à fait déplorable mais le fond mérite lui d’être apprécié à sa juste valeur...
« les succès sportifs de Major Taylor et les ovations qu’ils entraînent ne peuvent qu’être utiles à la cause dont sa couleur de peau est l’emblème. Car il y a une cause noire, une question nègre – c’est même une très grosse question. »
Le Gaulois en date du 16 août 1903
Alors que l’esclavage se poursuit encore dans la péninsule Arabique, il suffit pour s’en convaincre de lire « les sept piliers de la sagesse » publié en 1926, par T. E. Lawrence plus connu sous le nom de Lawrence d’Arabie, il y a en France, mais aussi dans la plupart des pays de la vieille Europe, au delà de ces mots qui nous choquent, une attitude générale teintée d’humanisme qui changeait beaucoup de choses pour un afro-américain.
En Europe, la condition des hommes de couleur était loin d’être parfaite mais elle était alors tellement plus confortable qu’aux États Unis que Major Taylor et Woody Headspath y effectuerons la majeure partie de leur carrière. Woody finira même par s’installer à Paris qu’il ne quittera qu’en 1941, contraint et forcé de fuir les nazis.
Dans d’autres articles de presse consacrés à Woody Headspath et aux raisons de son exil, on trouve des critiques acerbes sur la façon dont les Afro-Américains sont traités aux Etats Unis.
« Cette année, n’ayant pu obtenir sa licence de la National Cycling Association, qui, sauf pour Major Taylor, la refuse à tous les nègres, Headspath résolu à poursuivre sa carrière de coureur est venu demander l’asile à l’Europe hospitalière qui ne fait pas de distinction entre les races.
Il faut donc espérer que le courageux nègre sera récompensé de sa persévérance et trouvera à se faire ici, une carrière qui lui est impossible dans son pays. »[25]
« Et Hedspath que j’oubliais ! Mais je n’ose le mettre sur le même rang que les Américains de peur de me faire lyncher. Un nègre !
Çà n’empêche que le brave Headspath, qui n’a jamais été aussi heureux que depuis sa venue en France, a tenu brillamment tête hier, dans un enlevage, à plusieurs Américains... »[26]
« Les nègres en France. - Major Taylor nous l’avons dit, reviendra en France l’an prochain ; quand à son camarade Hedspath, qui va partir à New-York disputer la course de Six Jours, il est bien décidé à revenir immédiatement en France, où il se plaît beaucoup et pour cause.
Les Américains traitent, en effet ; les nègres plutôt mal. »[27]
« … à la suite d’une entente déjà ancienne entre l’Américan Racing Cyclists Union et la National Cycling Union, aucun coureur nègre ne sera plus reconnu par ces fédérations, sauf Major Taylor, qui motiva, du reste, cette décision.
Il ne faut plus de champions nègres, en Amérique tout au moins ! »[28]
Les Français au sein de l’Union Cycliste Internationale, par l’intermédiaire de leur représentant, Monsieur Rousseau demandèrent à l’Union Internationale d’intervenir auprès de la National Cycling Association afin qu’elle respecte l’égalité entre blancs et noirs dans son fonctionnement.
De l’autre coté de l’Atlantique, certains journaux comme l’Elmira Gazette (Région de New-York) du 24 mai 1907, ainsi que The Bicycling World and Motorcycle Review ne manquèrent pas d’ironiser sur le sympathique accueil réservé aux coureurs noirs en France. Ils proposaient même d’expédier dès que possible, les deux autres coureurs professionnels Afro-Américains du pays pour s’en débarrasser.
[29]
Cet article a cependant un véritable intérêt car il nous donne une liste apparemment exhaustive des coureurs professionnels de couleur en activité sur les continents américain et européen. Outre Taylor, Headspath, et les « européens » Germain et Vendredi, trois coureurs afro-américains qui à un moment de leur carrière tentèrent de devenir coureur professionnel sont listés : AC Spain, M. F. Ivy et Ike Lindsay. Nous ne savons quasiment rien d’eux car ils n’atteignirent jamais le niveau de Major Taylor ou même de Woody Hedspath. Le journaliste oublie de citer Melvin T. Dove avec qui Woody fit équipe lors des Six Jours de New York en décembre 1903. Avec Taylor et Woody nous avons donc seulement cinq coureurs d’origine Afro Américaine professionnels ou ayant réellement tenté de le devenir, ce qui permet de mesurer combien le cyclisme et plus généralement le sport professionnel de l’époque était quasi exclusivement une affaire de blancs.
Le magazine The Bicycling World and Motorcycle Review qui relatait régulièrement et de manière assez précise les résultats des coureurs américains en Europe ne paraît pas avoir discriminé Woody Hedspath par rapport aux coureurs blancs évoluant, comme lui, loin de leur terre natale. Par contre les surnoms et les commentaires dont il est régulièrement affublé étaient, c’est le moins que l’on puisse dire, de fort mauvais goût :
« the negro with not too white reputation »
« the frenchified negro »
« the germanized american negro »
« the american chocolate drop »
« the negro who claims america was his home »
En contrat avec Robert Coquelle, Woody à son arrivée en France, n’effectue pas, comme on aurait pu le supposer, ses débuts à Buffalo mais au vélodrome de Roubaix. On peut imaginer que c’est Robert Coquelle qui a négocié les premiers tours de piste de ses recrues car l’on retrouve également, le sprinteur George Collett à ce meeting qui se déroule le 24 mai, 5 jours seulement après leur arrivée en France. La presse se montre plutôt circonspecte par rapport au talent de Woody, qui est éliminé dès les demi-finales du Grand Prix du Nord. Pourtant compte tenu des circonstances, atteindre ce stade dans une épreuve relativement relevée est une performance tout à fait encourageante.
Après une traversée maritime relativement longue, durant laquelle il n’a probablement pas pu s’entraîner, Woody qui n’a que 21 ans, est arrivé dans un pays dont il ne connaît absolument pas la langue ni les us et coutumes. Avec sa valise pour tout bagage, le coureur d’Indianapolis est véritablement parti à l’aventure. Sans argent, il n’a emporté avec lui que le peu qu’il possédait, c’est à dire quelques vêtements et divers petits objets personnels. Faute de moyen, il n’a pu amener sa machine et c’est donc sur une machine de prêt qu’il a participé au meeting de Roubaix.
A terme, Woody, comme tous les autres coureurs espère que ses performances lui permettront de séduire un fabricant français de cycle qui lui fournira la machine dont il a besoin. Le journaliste de l’Auto évoque, à propos de Woody, un style décousu qui contraste fortement avec ce que les journalistes américains ont rapporté à son début de carrière. Il était alors question d’une allure générale proche de celle de Major Taylor qui avait une réputation de souplesse et de fluidité. Il n’est donc pas impossible que la gestuelle heurtée de Woody lors du meeting de Roubaix, soit liée à l’utilisation d’une machine peu adaptée à la taille du coureur ou tout simplement mal réglée.
Seul, avec comme unique ressource, une avance versée par le Directeur de Buffalo, Woody que la presse a immédiatement surnommé « le nègre n°2 » doit s’adapter à un mode de vie complètement différent de celui qu’il a connu jusqu’alors. Certes notre homme est habitué à se contenter de peu mais le déracinement et la barrière de la langue amplifient encore les difficultés et les premiers résultats ne sont pas à la hauteur de ses espérances.
Heureusement Woody est un homme affable, toujours souriant et de bonne humeur, il sait très vite se faire apprécier par ses collègues et comme il ne rechigne jamais à la tache, il obtient assez rapidement des engagements un peu partout en Europe. Malgré les qualités de Woody, ne soyons pas dupes des motifs qui justifient ces contrats. Avant guerre, il n’y eut au total que cinq coureurs de couleur sur les pistes européennes : Major Taylor, le Martiniquais Germain Ibron, Woody Headspath puis A. C. Spain et un coureur surnommé Vendredi. Pour un directeur de piste, il y a un intérêt certain à engager un ou plusieurs de ces hommes, car cela lui permettait d’offrir un peu « d’exotisme » à son public. Woody se moque éperdument de ces calculs mercantiles. Ce qui lui importe c’est de gagner sa vie en pédalant et le fait d’être ainsi très demandé, n’est pas pour lui déplaire.
Finalement sa première victoire sur le continent Européen, Woody ira la décrocher en Tchécoslovaquie, le 29 juin 1903 lors d’une épreuve de handicap. Dès son arrivée sur le vieux continent, Woody fera partie de ces globe-trotters que l’on retrouve un peu partout dans le monde du moment qu’il y a de l’argent à prendre. Ainsi au cours de sa longue carrière, Woody va beaucoup voyager. Outre la France et les États Unis, on le retrouva très régulièrement en Allemagne mais également en Italie, en Angleterre, en Belgique, en Ukraine, au Portugal, au Pays-Bas, en Suisse, en Russie, en Tchécoslovaquie et même en Australie. A la fin de 1908, Woody ira même passer l’hiver à Tunis. Nous ne savons pas s’il participa à des compétitions sur place, mais il est certain qu’il s’entraîna au vélodrome pendant plusieurs semaines. Fort peu de professionnels de l’époque peuvent se targuer d’avoir vu autant de pays durant leur carrière.[30]
A la fin du mois de mai 1903, le retour en France de Major Taylor va être l’occasion pour Robert Coquelle d’organiser le 13 août 1903 à Buffalo un match « noirs contre blancs » qui aura un grand retentissement dans la presse y compris outre atlantique.
Afin de profiter au mieux de la popularité de Major Taylor et du fait que deux coureurs Afro-Américains allaient pour la première fois, se trouver réunis sur les pistes parisiennes, les organisateurs du vélodrome Buffalo, eurent l’idée à la fois vendeuse et complètement saugrenue de mettre en place une rencontre « noirs contre blancs ». Disputée en quatre manches et non pas trois comme certains journaux l’indiquent,[31] l’épreuve oppose les deux coureurs d’Indianapolis aux Français Paul Bourotte et Charles Jue, deux coureurs polyvalents, capables de s’aligner avec succès à la fois dans les épreuves de vitesse et de demi-fond . En 1901, battu en finale pour le titre de champion de France de vitesse par Charles Jue, Paul Bourotte prendra sa revanche à l’automne 1903 en disposant de son associé du jour, pour le titre de champion de France de demi-fond. Les deux français, s’ils ne sont pas associés régulièrement, semblent constituer une équipe homogène tandis que la classe internationale de Taylor fait naturellement de Woody, le maillon faible de l’équipe américaine qui mise sur la cohésion et l’entente parfaite entre les deux hommes pour réussir. Woody et Taylor, dont on dit qu’ils se connaissent depuis l’enfance, vont à cette occasion faire équipe pour la première fois de leur carrière.
Quatre épreuves composent ce match il s’agit d’une course scratch de 1000 mètres, d’une épreuve de tandem sur la même distance, d’une poursuite par équipe et d’un tour de piste chronométré.
Peu importe finalement que les deux hommes se connaissent de longue date où non, ils ont tellement de points communs qu’ils ne peuvent que s’entendre. Originaires d’Indianapolis, ils ont vécu les mêmes galères avec la National Cycling Association et subit les mêmes discriminations racistes. De plus, Major Taylor qui avait une conscience aiguë de ce que ces victoires pouvaient représenter dans le combat pour la cause noire, a chaque fois que cela lui était possible, soutenu et aidé ses compatriotes Afro-Américains.
La magnifique photo publiée par le journal la Vie au Grand Air du 5 juin 1903 où l’on voit Woody tenir Major Taylor au départ d’un handicap a été prise 8 jours plus tôt à Buffalo. Arrivé d’une tournée en Australie, le 23 mai, Taylor est contraint par ses employeurs de courir dès le 28. N’ayant pu s’entraîner durant une traversée longue de trois semaines et se sachant à cour de forme, Major Taylor refusa de courir l’épreuve de vitesse et il obtint de ne s’aligner que sur une course de tandem et un handicap d’un demi mile. Au départ de l’épreuve, il fit appel, à Woody pour le lâcher au coup de pistolet du départ. Comme on peut le voir sur la photo, Woody n’est pas le moins concentré des deux. Il tient dans ses mains la bicyclette de son modèle pour ne pas dire de son idole et il ne veut surtout pas le décevoir d’autant qu’il sait l’importance de son rôle dans une épreuve aussi courte que celle-ci.
Un peu plus de deux mois plus tard, les deux hommes se trouvent à nouveau réunis au vélodrome Buffalo pour disputer le fameux match « noirs contre blancs ». Entre temps Major Taylor a retrouvé la plénitude de ses moyens et il éclabousse l’épreuve de toute sa classe. Il s’impose tout d’abord très facilement lors de la course scratch devant Bourotte, Jue et Woody. Dans l’épreuve de tandem, les deux Américains dominent l’équipage français qui réussit néanmoins à prendre sa revanche dans la course poursuite ou Woody est à la peine. Enfin dans l’épreuve du tour de piste, où un seul coureur de chaque équipe est aligné, Major Taylor domine nettement Charles Jue, en améliorant de 4/5ème de seconde le record de la piste.[32]
Ce succès collectif, qui ne constituait pas en temps que tel, une performance exceptionnelle eu, par la couverture médiatique dont il disposa, une grande importance dans la carrière de Woody. Les contrats affluèrent et comme notre homme ne savait visiblement pas dire non, il était sans cesse en déplacement, usant probablement beaucoup d’énergie dans ces nombreux voyages où le temps passé dans les trains remplaçait malheureusement les heures de selle. Mais pour lui qu’importe. Quand on a, comme Woody, connu la pauvreté, cette manne d’argent était une bénédiction.
Durant les mois de septembre et octobre, Woody effectura une tournée en Allemagne. On retrouve sa trace à Cologne, Francfort sur le Main, Darmstadt et Mayence aussi bien sur des épreuves de vitesse que sur des courses de demi-fond comme en atteste sa deuxième place lors d’un 100 kilomètres derrière entraîneur disputé à Cologne, le 11 octobre.
Photo prise à Paris, probablement en avril-mai 1908,
à gauche le boxeur Sam MacVea, au centre Major Taylor, à droite Woody Headspath
Les directeurs des vélodromes allemands sont alors très demandeurs de coureurs de couleur car « l’exotisme » qu’ils apportent, attirent de nombreux spectateurs comme en témoigne un article du journal l’Auto.
« Il sait qu’en Europe les gens de sa couleur, ne sont pas trop mal vus ; qu’ils ont de l’argent à gagner, surtout en Allemagne, où on ne voit pas des nègres tous les jours. »[33]
La défaite du IIIème Reich et les évènements politiques qui secouèrent le pays au sortir de la seconde guerre mondiale ont provoqué la disparition de nombreux documents et il est difficile de retrouver des traces précises de l’activité de Woody. Nous avons cependant grâce au journal « La France » du 27 novembre 1903, une indication de ses gains sur les pistes allemandes pour l’année. Avec 2 750 marks, Woody figure au 11ème rang des coureurs étrangers, très loin derrière Thorwald Ellegaard qui a empoché 10 785 marks ou même de son ami Major Taylor qui lors de sa tournée allemande a engrangé 4 600 marks mais ce montant atteste de sa participation à de nombreuses courses allemandes. Cette somme qui correspond à environ 15 137 euros de 2015, ne constitue qu’une partie de ses gains de l’année.[34] - Rappelons qu’il n’a commencé sa saison européenne qu’au mois de mai et qu’entre mai et novembre 1903, on le retrouve également au palmarès d’épreuves en France et en Tchécoslovaquie. Woody Headspath ne gagne pas autant que les meilleurs coureurs du moment mais il fait malgré tout partie des coureurs bénéficiant de cachets assez nettement supérieurs à la moyenne. Comme il multiplie les courses et qu’il tient en général bien son rang, ses émoluments lui permettent de vivre dignement sans trop se soucier du lendemain.
A l’issue de cette tournée, Woody retourne aux États Unis disputer les Six jours de New York durant le mois de décembre. Malgré son abandon sur chute en tout début de course, l’année précédente, Woody a, semble-t-il, laissé par son courage et sa gentillesse, un bon souvenir aux organisateurs qui ont décidé de constituer pour la première fois une équipe « noire ». Woody est associé à Melvin T. Dove. Les organisateurs qui, peut être, se sont inspirés du fameux match noir contre blanc, organisé à Paris par Robert Coquelle, ont probablement voulu faire une belle publicité à leur course en formant cette équipe. New-York est loin du sud et la participation d’afro-américains aux Six jours ne suscite aucun problème particulier.
Très vite surnommé l’Anthracite Team ou the Calumet Anthracite Team par les journalistes, l’équipe formée par Woody et Melvin T. Dove fait en permanence l’objet de plaisanteries douteuses et d’histoires rocambolesques. Les deux coureurs ne sont pas moqués pour le couleur de peau, il s’agit en fait d’une pratique relativement habituelle de la presse pour susciter l’intérêt dans la course et pour vendre leur journal quotidiennement. La plupart des coureurs engagés mais aussi les organisateurs ont ainsi droit à des caricatures et à des histoires plus ou moins inventées sans qu’il faille y voir autre chose qu’un humour difficile à comprendre en dehors de son contexte.
L’histoire ne nous dit pas si Woody et son partenaire se connaissaient avant le départ de la course et s’ils ont pu un peu travailler ensemble avant le départ. Woody fondait de gros espoirs dans ces Six Jours. Il bénéficiait d’une seconde chance et il ne voulait pas la laisser passer, pourtant les choses ne se passèrent absolument pas comme il l’avait espéré.
Melvin T. Dove n’était pas prêt physiquement pour soutenir le rythme imposé par les favoris de l’épreuve et très vite les deux hommes comprirent que leurs affaires étaient bien mal engagées. Avec un équipier en forme, Woody aurait probablement pu figurer honorablement dans cette difficile épreuve mais seul malgré toute son énergie, il ne pouvait pas faire grand-chose.
Quasiment dès le départ les deux hommes perdirent le contact avec les équipes de tête. Chaque heure, le duo était systématiquement doublé à plusieurs reprises par les leaders et à la fin de la deuxième journée, alors que l’équipe classée 12ème, composée de Jean Gougolz et du Suisse Sigmar Rettich se trouvait à 6 tours des premiers, Headspath et Dove occupaient la 13ème et dernière place à 101 tours !!!
« Hedspath se dédouble,
Le nègre Hedspath qui, entre parenthèses, à un équipier de bien peu de valeur en la personne de Dove, profite de l’accalmie qui s’est produite et surtout du dédain que semblent avoir pour lui tous les hommes du peloton de tête pour s’échapper à diverses reprises et reprendre quelques tours de son énorme retard. » [35]
Peu après la 130ème heure, les deux hommes décidèrent enfin de quitter la course. Ils étaient alors pointés à plus de 300 tours des 7 équipes de tête. Melvin T. Dove n’était pourtant pas le premier venu, il était même considéré comme un excellent amateur mais les circonstances, ou pour le dire de manière plus directe, le comportement raciste de la National Cycling Association ont fortement perturbé sa préparation. Comment pouvait il préparer sereinement une course à laquelle il n’était pas sur de pouvoir participer jusqu’à seulement huit jours du départ ? Selon le journal l’Auto, dès le 15 mars 1903, Melvin Dove avait annoncé officiellement qui allait passer professionnel [36] mais la NCA a fait traîner le dossier et sa licence pro ne lui fut octroyée qu’au début du mois de décembre, une semaine seulement avant le début des Six jours. Fidèle à sa volonté de n’accorder des licences professionnelle qu’à des blancs, la NCA se permit même de lui retirer sa licence dès l’épreuve terminée.
« En 1903, la N.C.A. avait consenti à lui donner une licence de professionnel, mais aussitôt Madison fermé, Batchelder s’est empressé de reprendre le bout de carton qu’il avait généreusement accordé à Dove pour huit jours. »[37]
Le journal The Bicycling World and Motorcycle Review, présente une toute autre version des faits qui ont motivé le peu d’empressement de la National Cycling Association a donner une licence pro à Melvin T. Dove. Le coureur aurait eu, à de multiples reprises, un comportement inapproprié sur la piste.
Amos G. Batchelder, le Président de la National Cycling Organisation en 1903, était un personnage très connu dans le milieu du sport américain. Adhérent à la LAW (League of American Wheelmen) depuis mars 1888, il était également secrétaire de la A.A.A. (American Automobile Association) fondée en 1902. En octroyant ainsi, à titre provisoire, une licence professionnelle à Melvin T. Dove, il dérogeait à peine de la ligne que s’était fixée la N.C.A. et il pouvait se permettre ce genre d’arrangement sans que personne ne vienne le lui reprocher. En agissant ainsi il ne se mettait pas à dos les partisans d’une ligne dure et il donnait satisfaction aux promoteurs des Six jours qui voyaient avec la présence d’une équipe Afro-Américaine, le moyen d’attirer de nouveaux spectateurs.
Le bref et peu glorieux passage de Dove - Headspath semble pourtant avoir confirmer l’intérêt des spectateurs pour une équipe de coureurs afro-américains et les organisateurs renouvelèrent l’expérience à plusieurs reprises. En 1904, pendant que les Six daymen tournent en dedans de la piste sur un plancher destiné à cet usage, un match exhibition opposa Melvin T. Dove à un certain Collins. En 1905, il prit pour la seconde fois le départ des Six jours, associé à un autre Afro-Américain portant le nom de Scott. L’expérience fut un échec cinglant aussi bien pour les organisateurs, créateurs d’une équipe déséquilibrée que pour les deux hommes. Le dénommé Scott était en fait un employé du vélodrome de Vailsburg, gardien ou factotum qui n’était visiblement qu’un pratiquant occasionnel. Dans l’article qu’il écrit pour le journal l’Auto du 5 décembre 1905, Robert Coquelle n’est pas tendre à son sujet et plaint son coéquipier :
« Dove, qui marche bien étant secondé par un tocard de premier ordre. »
Hors du coup, l’équipe est huée par le public ce qui finit par exaspérer Melvin T. Dove qui :
« descendant de machine se dispute avec un spectateur et qu’un combat de boxe s’en suit immédiatement. Le malheureux nègre manque de se faire lyncher par la foule,
et les policemen ont grand mal à le réintégrer au quartier des coureurs. »
Avant la fin de la première soirée, ce qui, aux yeux des spectateurs, passait pour une mascarade, prit fin dans un contexte de plus en plus tendu.
A l’issue des Six jours, au mois de décembre 1903, Woody Headspath choisit de ne pas revenir immédiatement en Europe mais de rester dans son pays natal pendant environ cinq mois. Il arrive de nouveau en France, le 14 mai 1904. Entre temps nous perdons totalement sa trace. Il est peu probable que la N.C.A. lui ait octroyé une licence afin qu’il puisse courir et il n’apparaît pas d’ailleurs dans les résultats des courses américaines du début de l‘année 1904. On peut penser qu’il a mis à profit cette période pour voir sa famille et peut être régler quelques affaires à caractère privé. De retour sur le vieux continent il ne fait qu’un bref passage à Paris, avant de repartir à nouveau pour effectuer une tournée en Allemagne. Sa couleur de peau lui vaut d’être très demandé outre Rhin où il semble avoir été accueilli avec la même bonhommie paternaliste qu’en France.
Plusieurs années durant, il y passa une grande partie de la saison. Woody était un homme affable, toujours souriant qui, ayant vécu la misère, se contentait de peu. Pour les organisateurs de réunions, un tel coureur était selon l’expression consacrée « du pain béni ». Il manque un stayer pour une épreuve de demi-fond, un équipier pour constituer un tandem, on pensait à lui. Woody par sa polyvalence était apte à figurer honorablement dans la plupart des épreuves qui constituaient un meeting, alors on faisait appel à lui plus souvent qu’à son tour et les spectateurs appréciaient cet homme courageux, volontaire et toujours souriant.
Article à propos du remplacement effectué au pied levé par Woody Hedspath lors des 12 heures du Bazacle à Toulouse
En 1906, selon la revue The Bicycling World and Motorcycle Review Woody quand il ne court pas pour son propre compte, officie comme entraîneur et masseur du coureur allemand Willy Bader.
Toujours affublé d’un maillot noir et jaune, le sourire aux lèvres, gentil avec ses camarades, Woody sait aussi faire le spectacle et amuser les spectateurs. Les organisateurs apprécient cette attitude positive et ce sens du spectacle qui rendent Woody très populaire dans les vélodromes.
Au début du mois de septembre 1904, Woody décide de s’embarquer pour Londres avec l’idée, au combien saugrenue, compte tenue de ses rapports avec la N.C.A., de représenter son pays, lors des championnats du monde qui doivent se dérouler quelques jours plus tard sur la piste de Crystal Palace. Bien évidemment, Woody, sans l’assentiment de sa fédération, ne pu pas participer aux compétitions officielles mais on le retrouve néanmoins dans les épreuves organisées en marge des Mondiaux qui ne nécessitaient pas, elles, le blanc seing des fédérations nationales. [38]
La carrière de Woody est désormais sur de bons rails. Sans jamais renoncer à la nationalité américaine, Woody va désormais reconstruire sa vie dans la vieille Europe où il va voyager sans cesse pour gagner son pain. Attendu un peu partout pour « l’exotisme » qu’il était sensé représenter pour l’Européen moyen, il va réussir par son courage en course et sa bonne humeur légendaire à se faire apprécier en tant qu’homme...
Collection personnelle de l’auteur
3) Grandeurs et misères de l’exil
A Paris, durant la saison, les coureurs américains étaient relativement nombreux à monnayer leur talent mais tous ne faisaient que passer. Ils n’étaient là que le temps d’une tournée plus ou moins longue, en fonction des engagements qu’ils avaient pu signer. Ensuite ils rentraient au pays pour poursuivre leur programme de courses et retrouver leur famille. Pour Woody, la situation était sensiblement différente. N’ayant ni le talent ni la renommée de son illustre aîné, Major Taylor, personne ne lui proposait de mirifiques contrat qui auraient pu lui permettre de vivre au pays tout en ayant un calendrier de courses exclusivement à l’étranger. Rentrer au pays, signifiait à coup sur ne pas pouvoir courir en tant que professionnel et donc n’avoir plus aucune ressource.
Revenu une première fois aux Etats Unis à l’occasion des Six Jours de New York en décembre 1903, Woody va y demeurer jusqu’au mois de mai 1904, sans que son nom apparaisse dans les résultats sportifs. Par la suite, probablement échaudé par cette impossibilité de courir dans son propre pays, Woody ne semble pas y être retourné fréquemment. Ses parents décédés, Woody, dont nous ne savons pas s’il avait des frères et sœurs, n’a plus d’attaches familiales fortes le poussant à revenir régulièrement dans sa ville natale. Il est, et demeure, citoyen américain par choix mais son port d’attache est désormais l’Europe et plus particulièrement Paris. Jusqu’au début des années 1920, il effectue également plusieurs séjours à Berlin en fonction des contrats qu’il décroche.
Nous ne retrouvons la trace que de deux voyages aux États Unis, en 1913 et en 1921 grâce aux demandes de passeport qu’il effectua auprès de l’Ambassade Américaine à Berlin. Il est d’ailleurs intéressant de noter que Woody est toujours parti via l’Allemagne et jamais directement de France.
Woody a la chance d’avoir un ami fidèle en la personne de Major Taylor. Chaque fois que ce dernier est venu courir en France, les deux hommes se sont vus et ils se sont souvent entrainés ensemble. On les retrouva réunis pour la dernière fois, lors d’un meeting qui se déroula à Roanne le 10 octobre 1909. Major Taylor y remporta son duel contre Victor Dupré, le champion du monde de vitesse en titre tandis que Woody enleva le prix de consolation.
Il est intéressant de noter que la notoriété dont jouissait alors Taylor lui permettait de ne pas toujours avoir la mention « nègre » ajoutée à son nom en lieu et place de sa nationalité alors que Woody en sera quasiment toujours affublé et ce jusqu’à la fin de sa carrière alors qu’il était présent depuis plus de vingt ans en France et que nul n’ignorait ses origines afro-américaines.
En dehors de Major Taylor, qu’il rencontra chaque fois que celui ci fut de passage en France, Woody n’avait que peu d’affinités avec les autres coureurs américains. Woody en avait croisé quelques uns dans son pays et quand ce n’était pas le cas, il savait, par son ami Taylor, comment certains pouvaient se comporter quand ils se trouvaient opposer à des coureurs de couleur. Pour ceux ci, de toute façon, Woody n’était pas vraiment leur compatriote et ils l’ignoraient ou même le méprisaient. Parmi les champions américains de passage à Paris, ceux que Woody a probablement chercher le plus possible à éviter, compte tenu de leur attitude face à Taylor, étaient les sprinteurs Owen Kimble, Iver Lawson et le spécialiste des Six Jours, Floyd Mac Farland.
Les mémoires de Taylor sont truffées d’anecdotes illustrant la façon dont certains coureurs lui mettaient des bâtons dans les roues, uniquement parce qu’ils ne voulaient pas qu’un afro-américain gagne face à un blanc. Selon lui, Owen Kimble était un coureur loyal. Il était incapable de commettre des coup bas pour battre un adversaire mais il ne supportait pas d’être battu par un coureur noir, il convenait donc de se méfier de la rage de vaincre qui l’animait face à un coureur Afro-Américain.
« Kimble estimait que, pour défendre les idéaux hérités de ses ancêtres, il était obligé de me haïr avec une véritable rancœur et de faire tout son possible pour me vaincre à chaque fois que nous nous rencontrions. »[39]
En février 1904, lors d’une épreuve se déroulant sur la piste du vélodrome de Melbourne en Australie, où il était en tournée en compagnie de Floyd Mac Farland, Iver Lawson provoqua intentionnellement la chute Taylor. Le coureur, d’origine Suédoise, était alors probablement très influencé par les propos de Mac Farland qui était véritablement très actif y compris en sous main pour faire battre Taylor. Dans le dernier virage de la course, Iver Lawson changea brutalement de trajectoire et accrocha la roue avant de Taylor qui demeura de longues minutes inconscient sur la piste. Interdit de compétition sur le territoire Australien à la suite de cet incident, Lawson devint malgré tout champion du Monde du sprint à Londres cette même année. Le 8 février 1908, Lawson et Taylor qui ne s’étaient plus rencontrés depuis Melbourne, s’affrontèrent au Park Square de Boston lors d’un match en trois manches. Chacun des deux hommes ayant remporté une manche, ils firent la paix des braves et se serrèrent la main avant de s’affronter dans la belle qui après bien des péripéties fut enlevée par Lawson. Ce geste symbolique fort, paraît surprenant de la part d’un coureur qui avait l’image d’un raciste convaincu. Cela laisse à penser qu’à Melbourne, le geste de Lawson a peut être été perpétré sous l’influence néfaste de Mac Farland. [40]
Floyd Mac Farland, descendant d’une famille de planteurs, était, lui ouvertement raciste et il était prêt à toutes les tricheries pour battre ou faire battre un coureur de couleur. Originaire de San José, ce grand gaillard de plus d’1 mètre 90, n’hésitait pas à insulter les autres coureurs blancs quand ceux ci avaient été battu par un Afro-Américain. De part son comportement agressif et magouilleur, Major Taylor voit en lui son pire adversaire :
« A chaque course dans laquelle le nom de Mac Farland et le mien étaient au programme, il se faisait un devoir de dresser un complot contre moi. Même quand il n'était pas inscrit dans la même série que moi, il intervenait auprès des autres coureurs de ma course et organisait des combinaisons qui visaient à m'empêcher de gagner. » [41]
Le racisme, stupide et profondément banal de nombreux coureurs américains se manifesta parfois d’une bien étrange manière. Le 5 février 1911, la finale du prix d’encouragement qui se déroule au Veld’Hiv opposa, fait rarissime, deux coureurs blancs Perraud et Gautier à deux coureurs noirs, les compères Woody et Germain. Remportée par Gautier devant Hedspath, la course est prétexte pour le journaliste de l’Auto, à quelques plaisanteries sans grand intérêt mais à la fin de son article, il évoque également la réaction totalement sauvage des Américains Jim Moran et Walter De Mara présents au Veld’hiv ce jour là. Vraie ou en partie inventée, cette anecdote montre bien le fossé qu’il y a alors entre deux Amériques, l’une progressiste et l’autre qui rêve du monde d’avant la guerre de sécession.
A la compagnie de ses compatriotes, et on le comprend, Woody préfère celle des expatriés. En Allemagne, comme en France, Woody fait partie de cette petite communauté de solitaires déracinés qui ont quitté leur pays natal, pour venir chercher fortune et gloire sur les pistes les plus en vogue. Quand on est l’unique représentant de son pays, ou de sa communauté, on recherche instinctivement la compagnie d’autres coureurs dans la même situation.
A Berlin, c’est avec le coureur tchèque Emmanuel Kudela, qu’il semble le mieux s’être entendu. Les deux hommes seront partenaires à plusieurs reprises en tandem ou à l’américaine et ils termineront notamment 2ème des 24 heures de Berlin en mai 1906. A Paris, Woody est apprécié de tous, mais c’est probablement avec le Russe Sergeï Outochkin, qu’il partagea le plus de choses. Les deux hommes, que pourtant tout sépare, s’entendaient parfaitement. Derrière un côté tourmenté et instable, Sergeï Outochkin était un homme sensible, un cœur pur qui ne supportait pas l’injustice. En 1905, à Odessa sa ville natale, il avait été grièvement blessé d’un coup de couteau en pleine poitrine en voulant défendre un commerçant juif que des émeutiers voulaient assassiner. Par principe, il était du côté des faibles et ce qu’avait vécu Woody aux États Unis ne le laissait pas indifférent. [42]
C’est lui, qui en 1905, emmena Woody et le frère cadet d’Edmond Jacquelin courir à Odessa. En 1908, toujours à l’initiative de Sergeï Outochkin, Woody effectua à nouveau une longue tournée à travers l’immense Russie et il participa à diverses épreuves à Saint Petersbourg, Moscou et Odessa. Durant ce périple, Woody était accompagné du géant Suisse Emil Doerflinger et d’un autre coureur Afro- Américain dénommé A. C. Spain qui était arrivé à Paris en avril 1907.
Parmi ses compatriotes américains de passage à Paris, Woody n’eut pas de véritable ami en dehors de Major Taylor. Deux autres coureurs Afro-Américains vinrent brièvement courir en Europe : Melvin T Dove, avec qui il avait fait équipe lors des Six jours de New York et A. C. Spain. Ses rapports avec les deux hommes n’étaient pas teintés d’amitié comme cela était le cas avec Taylor mais nul doute qu’ils s’entraidèrent chaque fois qu’ils le purent et qu’ils évoquèrent ensemble combien il était difficile d’être noir et coureur cycliste professionnel aux États Unis.
Woody était un coureur connu dans le milieu cycliste mais il ne devint jamais une vedette qui, sur son nom, pouvait attirer les foules comme c’était le cas de Taylor. Woody était seul et il devait se débrouiller avec les moyens du bord. Ce n’était pas parce que dans la presse, on le présentait volontiers comme un Taylor bis que l’on avait les mêmes égards pour lui.
Trop souvent comparé à son compatriote, Woody, faute de résultat probant au plus haut niveau, n’eut jamais le privilège, comme Taylor, d’être présenté aux artistes de couleur vivant dans la capitale. Ainsi Taylor fut invité le 13 mars 1901 par le journal l’Auto-Vélo, à assister, dans une loge qui lui avait été réservée, à une représentation du spectacle du Nouveau Cirque dans laquelle se produisait "Chocolat", le premier clown noir. Les artistes informés de la présence de Taylor dans la salle, s’évertuèrent même, selon le journaliste de l’Auto-Vélo à modifier en partie leurs rôles pour lui rendre hommage. Woody, en dehors de la piste où il a sa petite part de célébrité, restera toute sa vie un sans grade, un anonyme. C’est là toute la différence entre « le nègre n°1 et le nègre n°2 », comme on les présentait à l’époque.
S’il ne connut pas les fastes des grands hôtels et les réceptions organisées en son honneur, Woody est malgré tout très heureux à Paris. Avec le temps son français s’est amélioré. Son sourire et sa bonne humeur légendaire ne déplaisent pas à la gente féminine et en 1907, un article du magasine, The Bicycling World and Motorcycle Review nous apprend également que Woody se serait marié avec une femme, dont le journaliste n’omet pas de préciser, qu’elle était blanche pour bien signifier sa désapprobation. Aux États Unis, une union comme celle ci, était alors totalement inconcevable. Aucun mariage ne figurant dans les archives de la ville de Paris pour la période 1903/1912 au nom d’Hedspath, cette information est sujette à caution. Nous savons que Woody vécut en couple avec Rosalie Le Maître, une danseuse de cabaret. Le couple eu une fille, Geneviève Le Maître Hedspath, dont la date de naissance nous demeure inconnue. On peut toutefois penser que Geneviève est née beaucoup plus tard, entre 1915 et 1920, car au moment du décès de Woody en 1941, la jeune femme vivait encore avec sa mère. Rosalie Le Maître est présentée comme la mère de Geneviève mais pas comme l’ancienne épouse de Woody ce qui confirme l’hypothèse que le couple ait vécu simplement ensemble quelque temps avant de se séparer. Pour le journaliste américain le problème était le même, avec ou sans mariage officiel, il était choquant pour lui d’apprendre qu’un noir pouvait vivre avec une femme blanche.
Quand Woody se remémorait sa vie à Indianapolis, les difficultés qu’il rencontrait dès qu’il sortait des quartiers où vivait sa communauté, il ne doutait pas un instant d’avoir fait un bon choix en vivant en Europe et jamais en dehors de Taylor, il ne rechercha la compagnie de ses compatriotes.
Qu’ils soient d’Amérique ou d’ailleurs, c’est d’abord auprès des quelques coureurs noirs venus comme lui tenter leur chance sur les pistes européennes que Woody s’est toujours senti le plus à l’aise.
Le premier coureur de couleur qu’il a rencontré à Paris fut très probablement Hypolite Figaro, plus connu sous le nom de Vendredi. Ce surnom, dont on mesure bien la connotation péjorative et raciste, fait référence au « bon sauvage » converti au christianisme et compagnon fidèle de Robinson Crusoé dans le célèbre roman de Daniel Defoe. Celui qui avait affublé le pauvre Figaro de ce sobriquet, avait sûrement imaginé qu’il y avait là matière a aiguiser la curiosité d’un plus large public.
Né le 7 mars 1873 sur l’île Maurice, Hypolite Figaro qui possèdait la nationalité Britannique, débuta sa carrière en France au milieu des années 1890. On retrouve pour la première fois sa trace le 19 avril 1896, au Bois de Boulogne, lieu de départ du premier Paris – Roubaix. Loin, très loin même, du vainqueur Josef Fischer, il rallia l’arrivée avec près de quatre heures de retard.
Quand Woody débarque à Paris en 1903, Hypolite Figaro a déjà trente ans. Passé de la route à la piste, il ne participait qu’aux épreuves de fond et de demi-fond qui correspondaient mieux à ses qualités physiques. Il avait, dit on, prit la curieuse habitude d’attacher ses chaussures aux pédales et d’ensuite y glisser ses pieds. Ainsi lié très solidement à sa machine, il pensait à juste titre gagner en efficacité mais cette pratique faillit lui coûter la vie. En 1903, lors d’une course derrière moto à Cologne, en raison d’un problème moteur, il toucha, de sa roue avant, sa moto entraîneuse et fermement accroché à son vélo par ses chaussures, il se retrouva propulsé dans les gradins au milieu des spectateurs affolés. [43]
Les deux hommes se côtoyèrent quelques années car Vendredi semble avoir été actif au moins jusqu’en 1907 mais jamais ils ne firent équipe en compétition. [44]
Un autre coureur de couleur surnommé Adam fit un bref passage à Paris durant l’année 1902 mais il semble avoir définitivement quitté la capitale à l’arrivée de Woody au printemps 1903. [45]
C’est finalement en la personne du coureur français Germain qu’il trouva son double et ami. Germain Ibron dit Germain, ne doit pas être confondu avec Achille Germain dit Germain de la Flèche, né le 5 mai 1884 à Beaupréau avec qui Woody fit équipe lors des 6 heures à l’américaine qui se déroulèrent au Veld’hiv, le 28 janvier 1912.[46] - Germain Ibron était originaire de la Martinique qui était, et demeura, statutairement, une colonie française jusqu’à la loi de départementalisation du 19 mars 1946. Dans le dernier quart du 19ème siècle, l’État Français n’y assurait pas un suivi de la population comme il le faisait depuis déjà fort longtemps en métropole et Germain Ibron n’aurait selon les dires de la presse de l’époque, faute d’état civil organisé, jamais connu sa date de naissance. Germain Ibron n’aurait obtenu des papiers avec un état civil en bonne et due forme qu’au moment de la première guerre mondiale, quand l’État Français éprouva le besoin de recenser tous les hommes en age de porter les armes. Selon cette histoire rocambolesque, ce n’est qu’à ce moment qu’il lui aurait été établi des papiers en règle avec une date de naissance estimée.
Oubli volontaire de Germain, stratégie d’un manager désireux de faire parler de son poulain en lui inventant une histoire surprenante, difficile de connaître l’origine de ce mensonge mais tout ceci est absolument faux. Aux Archives de la Martinique, l’acte n° 825 nous apprend que Germain Canut Ibron est né le 19 janvier 1883 dans la ville de Saint-Pierre.
Pendant plus de vingt ans, les deux hommes vont, chaque fois qu’ils le peuvent faire équipe. Les organisateurs trouvent eux aussi intérêt dans cette association. Dans leurs programmes, ils peuvent rajouter aux équipes étrangères, qui souvent font la richesse du plateau proposé aux spectateurs, une équipe « nègre ». Nos deux compères sont bien forcés de s’accommoder de cette appellation. Ils ont, hélas, l’habitude de ne pas être présentés, comme les autres coureurs, en fonction de leur nationalité mais de la couleur de leur peau.
A deux reprises seulement sur une période de 25 ans, derrière le nom des deux hommes, nous avons retrouvé la mention américain et martiniquais.[47] - Pour Woody, ce mot , qui pour nous, claque comme une injure raciale, vaut mieux que d’être empêché de courir ou de faire sa course sous les insultes, les quolibets et même les crachats comme il l’a vécu dans son pays. Au contraire en France, il jouit d’une belle popularité dans le public et cette reconnaissance de la part d’hommes blancs qui le traitent peu ou prou comme leur égaux, lui procure d’immenses satisfactions. Il se sent accepté et apprécié pour ce qu’il est, et pour ce qu’il fait.
Woody et Germain formèrent une équipe homogène et efficace aussi bien sur un tandem que lors de course de relais à l’américaine. Quand ils étaient en forme tous les deux, ils réussissaient de belles performances. Le 12 juin 1904, ils remportaient, ce qui fut probablement leur plus beau succès, les 6 heures d’Amsterdam à l’américaine en devançant les meilleurs équipes Néerlandaises et Belges du moment. La publicité faite à cette victoire dont on parla même en Italie, dans le très sérieux journal « La Stampa », assura aux deux hommes une relative notoriété.
En août 1905, c’est à Lisbonne, qu’ils décrochent la victoire lors d’une épreuve de tandem, tout comme au vélodrome Karreveld de Bruxelles, le 22 mai 1910. Quand ils ne font pas officiellement équipe, les deux hommes apprécient de courir ensemble, à condition, bien sur, de ne pas se retrouver opposé dans un duel fratricide dès les séries éliminatoires. Le 28 mai 1905, au stade vélodrome de Marseille, battus en finale de la course de tandem, Woody et Germain se retrouvent en finale de l’épreuve individuelle sur trente kilomètres. Woody s’impose devant son compère Germain, au terme d’une course où les deux hommes n’ont pas couru l’un contre l’autre mais se sont plutôt épaulé pour disposer de leurs adversaires.
Unis et solidaires, les deux hommes courent ensemble et bien évidemment s’entraînent ensemble. Et quand, le temps d’une tournée, Major Taylor, de passage à Paris, arrivait sur la piste, c’était la fête. Aux cotés de leur leader naturel, ils s’entraînaient avec ardeur et se prêtaient avec enthousiasme à toutes les envies de Taylor. Dévoués, heureux de l’amitié que leur accordait leur idole, ils formaient naturellement une garde rapprochée. Taylor souhaitait faire de la boxe, Germain jouait le « sparring partner ». Il avait besoin qu’on lui fasse le train, Woody et Germain étaient les premiers à s’impliquer et, quand il travaillait les sprints, ils donnaient sans réfléchir le meilleur d’eux mêmes pour être à la hauteur de leur modèle…
En s’impliquant autant qu’ils le pouvaient dans les entraînements de Taylor, les deux compères partageaient, durant quelques heures, sa popularité et le respect dont il jouissait dans la capitale parisienne. Ce n’était peut être qu’un mirage, une sensation illusoire mais elle leur faisait du bien. Quel sportif n’a pas rêvé d’avoir, ne serait ce qu’une heure, d’avoir sa part de lumière. ?
Quand Major Taylor quitta définitivement la piste en 1910, Woody revendiqua le titre de champion cycliste des coureurs de couleur. Hélas pour lui qui avait toujours été le numéro 2 et qui rêvait d’être enfin le numéro 1, ce titre purement symbolique ne lui apporta strictement rien. Il était probablement le meilleur coureur de couleur en activité mais il était, contrairement à Taylor, loin d’être capable de battre les meilleurs coureurs mondiaux. Néanmoins la retraite de son compatriote fut une aubaine pour lui mais aussi dans une moindre mesure pour Germain. En effet jusqu’à la guerre, la plupart des grands meetings cyclistes européens souhaitèrent régulièrement avoir un coureur de couleur parmi leurs engagés et Woody en bénéficia largement.
L’entente entre Woody et Germain était plus qu’une alliance sportive, on peut dire, sans nul doute, qu’une profonde amitié unissait les deux hommes qui pendant plus de vingt ans, vont régulièrement travailler ensemble. Ils ne sont pas inséparables mais chaque fois qu’ils le peuvent, ils s’entraînent ensemble et faisaient équipe en compétition. Quand ils ne pédalent pas pour leur propre compte, ils ne dédaignent pas, pour gagner un peu d’argent, de mettre leurs forces au service de coureurs de demi-fond. Le 12 juin 1910, la paire Woody - Germain fait ainsi partie des nombreux tandems d’entraînement constitués pour une course de 50 km opposant Petit Breton, Passerieu, Berthet et Charpiot.
Les deux hommes, en raison de leurs engagements respectifs, se retrouvent régulièrement réunis avec d’autres coureurs sans que cela ne leur pose aucun problème mais ils n’appréciaient pas du tout d’être séparés arbitrairement quand ils désiraient participer à une épreuve ensemble comme ce fut le cas pour les 12 heures du Veld’hiv qui se déroulèrent le 18 février 1906.
Il est difficile de savoir ce qu’il s’est réellement passé au moment de l’inscription des équipes pour cette course. Selon le premier article relatant cette histoire, daté du 22 janvier, Germain souhaite pouvoir participer à cette épreuve en compagnie de Woody mais cela ne semble pas correspondre aux désirs des organisateurs. Dans le second article, diffusé le 9 février, c’est Woody qui veut courir l’épreuve avec Germain mais selon le journaliste, l’équipe ne peut se former car Germain se défilerait par paresse et mauvaise volonté. « Il a les pieds nickelés ». Le journaliste insinue ensuite que Woody ne veut en aucun cas composer une équipe avec un blanc mais cela est bien évidement faux. Woody a très souvent fait équipe avec des coureurs français au cours de sa carrière et jamais cela ne semble lui avoir posé un quelconque problème existentiel. En se retranchant derrière cette position de principe, il s’agit probablement pour lui de faire pression sur les organisateurs pour qu’ils acceptent d’engager l’équipe Hedspath/Ibron.
La paire formée par les deux hommes était certes homogène et efficace mais dans les grandes épreuves elle n’était pas toujours à la hauteur des meilleures. 13ème de la course de 6 heures à l’américaine le 22 janvier 1911, au Veld’hiv, Germain et Hedspath ont, malgré toute leur bonne volonté, montré leurs limites. Qu’à cela ne tienne, jusqu’à la guerre, étant désormais les seuls coureurs noirs en activité sur le continent européen, les engagements ne manquèrent jamais malgré des résultats en déclin.
Pour la petite histoire, il est amusant de noter que l’année suivante Woody Hedspath participa à nouveau à cette épreuve très cotée de 6 heures à l’américaine où l’on retrouvait quelques uns des grands noms du cyclisme mondial. Parmi les engagés on peut noter les américains Jimmy Moran, Joe Fogler et Eddy Root, l’italien Amedeo Polledri, le belge Alfons Spiessens, l’allemand Willy Bader, l’autrichien Richard Heller et les français Octave Lapize, Lucien Petit Breton, Gustave Garrigou, Maurice Brocco, Charles Crupelandt. A cette occasion, il fut associé à Germain...De la Flèche.[48]
Entre Woody et Germain, il n’y eu pas qu’une simple amitié et une parfaite entente en course. Jusqu’au bout leurs carrières respectives vont se ressembler. Tous deux, à partir de la guerre vont alterner les tentatives de reconversion et les retours à la compétition dans des épreuves de moins en moins cotées. Jusque dans leur retraite définitive en 1929, les deux hommes auront une communauté de destin surprenante...
Au delà du premier cercle de ceux qui comme Germain et Outochkine furent ses proches, Woody a su très vite se faire apprécier de tous. Humble, toujours de bonne humeur, courageux en course, il se prêtait volontiers à toutes les demandes des organisateurs mais aussi des journalistes. Il devint ainsi avec le temps l’une des figures inamovibles des vélodromes parisien. On l’y voyait régulièrement s’entraîner avec les autres coureurs demeurés à Paris durant l’hiver. Durant cette période de moindre activité, il aimait s’essayer à d’autres disciplines sportives pour préparer la saison. La préparation physique n’en était alors qu’à ses balbutiements et les coureurs ainsi que ceux qui se baptisaient « entraîneurs » sans titre ni qualification particulière, cherchaient et testaient différents exercices dans le but d’améliorer les performances physiques.
Pendant un temps, la boxe eu la faveur de nombreux coureurs. Woody, Germain et des sprinteurs comme J.B. Louvet furent des pratiquants réguliers. La discipline, utilisée par de nombreux coureurs américains et britanniques dans leur préparation, aurait été popularisée en France par le coureur Gallois, Tom Jenkins qui termina 3ème du Grand Prix de la République en 1903.
En 1906, « dans la plupart des cabines, entre deux cadres ou deux jantes pendus au mur on voit une belle paire de gants qui permet des assauts courtois ».[49]
Des champions comme Edmond Jacquelin et Charles Van den Born aimaient eux aussi se livrer à quelques engagements amicaux. Parfois, bien évidemment l’esprit de combat reprenait le dessus. De vieilles animosités nées sur la piste ressurgissaient et les coups pleuvaient sans retenu. Il fallait alors bien vite séparer les deux boxeurs avant que le combat ne dégénère...
Robert Coquelle fut aussi, durant de longues années, un véritable ami pour Woody. En mai 1905, par exemple, alors que Woody est encore loin de maîtriser suffisamment la langue française pour s’occuper du règlement d’un conflit avec la Ligue Vélocipédique Belge c’est Robert Coquelle qui s’en occupa. Le coureur américain, avait selon les observateurs de la Ligue, participé à des courses non autorisées et pour cette infraction, elle lui infligea une amende. Robert Coquelle se chargea de la correspondance. Il effectua l’envoi des documents et du règlement de l’amende à la Ligue. Hélas, une erreur administrative ou plus simplement du retard dans le courrier ne permirent pas à Woody de régulariser en temps voulu, une situation somme toute banale. Robert Coquelle, visiblement fâché de ce problème qui le mettait directement en cause et qui provoquait la suspension de Woody, rédigea un article pour informer les lecteurs de la bonne foi du coureur et des tracasseries administratives dont il était injustement victime.
Comme nous l’avons déjà évoqué, après quelques mois d’adaptation difficiles, Woody Hedspath a trouvé ses marques et il fait partie des coureurs les plus réputés tournant sur le circuit européen. Il ne possède pas la pointe de vitesse incomparable de Taylor, de Jacquelin ou d’Ellegaard mais sa constance, sa polyvalence et son respect du public lui valent une excellente réputation. Il connaît pendant quelques années les gros cachets et gagne relativement bien sa vie. Jusqu’au début de la première guerre mondiale, il est considéré comme un des rares coureurs polyvalents pouvant
« indistinctement s’aligner sur une épreuve de pure vitesse, dans une course exigeant un train rapide et soutenu, voire même dans une épreuve derrière motocyclette. » [50].
Ayant très vite compris qu’il n’aurait jamais le talent pour s’imposer face aux meilleurs sprinteurs mondiaux, Woody Hedspath eut l’intelligence de se rabattre sur des courses de moindre importance où la concurrence était beaucoup moins rude et les succès plus faciles. On le retrouve ainsi très souvent aux premières places dans les prix d’encouragement ou de consolation, compétitions ouvertes à ceux qui ne parvenaient pas à intégrer les phases finales des grandes épreuves.
Woody ne dédaigne pas non plus les vélodromes de province que ce soit en France, en Belgique, en Allemagne ou un peu partout en Europe. Il y obtient en tant qu’afro-américain plus facilement des contrats qu’un coureur européen d’un niveau équivalent au sien. Le public, qui n’a souvent jamais vu d’homme de couleur vient par curiosité et souvent il repart conquis tant Woody met du cœur à l’ouvrage.
Woody a également exercé, très régulièrement, ses talents à l’étranger et notamment en Allemagne où les archives sportives sont aujourd’hui quasi inexistantes. Pour toutes ces raisons, il est bien évidemment compliqué de reconstituer un palmarès avec précision.
En général, les tournées sont l’apanage de managers qui travaillent en lien direct avec des responsables de vélodromes mais parfois, les coureurs se regroupent et tentent d’organiser eux mêmes, une tournée en province ou à l’étranger. Grâce à des contacts noués lors de précédentes compétitions, ils s’établissent un programme de courses mais cela demande du temps et ce n’est jamais simple à mettre en place.
Ainsi le journal l’Auto du 5 mars 1912, évoque le projet de tournée dans le sud de la France et le nord de l’Italie d’un trio de coureurs composé du français Marcel Dupuy, de l’italien Angelo Gardellin et de notre américain. Durant la période de cette tournée, c’est à dire du 17 mars au 5 mai 1912, Woody disparaît effectivement des résultats des courses Parisiennes mais nous n’avons retrouvé aucun compte rendu des courses auxquelles Woody et ses partenaires devaient participer.
Présenté comme le « nègre numéro 2 », « le nègre volant », « le petit major Taylor », Woody engrange de nombreux succès. Durant la période allant de 1903 à 1913, nos recherches nous ont permis de constater, qu’il avait remporté chaque saison entre deux et quinze courses.
Ces chiffres constituent bien évidemment des minimums, probablement nettement en deçà des résultats réels du coureur américain. Les déplacements en province de Woody ne nous sont pas tous connus. Les résultats de ces épreuves de moindres importances étaient beaucoup moins présents dans la presse nationale que les épreuves parisiennes et faute d’une recherche systématique dans la presse régionale, bon nombre de résultats nous échappent.
Woody, comme nous l’avons déjà évoqué, participe très régulièrement à des épreuves de demi-fond mais il se cantonne le plus souvent sur des épreuves courtes, entre 10 et 50 kilomètres distances où il est le plus performant.
Comme tous les stayers, Woody connaît et accepte les risques de la discipline. Lors de la Coupe d’Or disputée à Brunswick, le 5 mai 1905, il vit la mort de très près. L’épreuve de dix kilomètres disputée derrière de grosses motos ne réunissait, ce jour là, que trois coureurs par souci de sécurité. Les allemands Willy Arendt et Hubert Sevenich étaient opposés à Woody. Sevenich n’était pas un inconnu pour Woody car les deux hommes auxquels il convient d’ajouter Keller, s’étaient affrontés peu de temps auparavant lors d’une course d’une heure disputée sur le vélodrome de la Séroule à Verviers, le 26 mars.
Plusieurs versions circulèrent dans la presse dans les jours qui suivirent le dramatique accident mais il semblerait qu’à la suite d’une rupture de sa selle, l’entraîneur d’Arendt soit tombé et que le pilote de la moto de Sevenich fit une embardée pour l’éviter et alla percuter violemment la balustrade entraînant dans sa chute le malheureux stayer. Immédiatement emmené dans le quartier des coureurs, Hubert Sevenich succomba quelques minutes plus tard. Il avait seulement 26 ans.[51]
Affable, serviable, Woody n’est pourtant pas homme à se laisser gruger par un organisateur malhonnête. Comme nous l’avons déjà évoqué, Woody était capable de remplacer honorablement un coureur absent dans quasiment n’importe quelle épreuve et chaque fois, il donnait le meilleur de lui même. Les organisateurs étaient rarement déçus de sa prestation et en général, ils en avaient pour leur argent. Honnête avec ses commanditaires et avec le public, il attendait le même comportement en retour. Quand cela n’était pas le cas, il était capable de jouer la comédie, pour récupérer son dû, comme en témoigne une anecdote racontée par Jack Plunkett, journaliste du quotidien « l’Intransigeant ».
Été comme hiver, quand il n’est pas en tournée, Woody fait partie des résidents du Parc des Princes, ces coureurs qui passent le plus clair de leur temps dans l’enceinte des vélodromes dans ce que l’on nomme « les quartiers ». Ces gagne-petit vivaient là au jour le jour, d’une prime enlevée de haute lutte et des services qu’ils rendaient aux cracks. Préparer la machine, nettoyer régulièrement la cabine de ceux qui menaient grand train, était, entre deux tours de piste, leur lot quotidien. Ces menus travaux complétaient leurs maigres revenus.
Ayant abandonné depuis longtemps leurs rêves de triomphes fabuleux, ils étaient heureux, chaque lundi, de retrouver leurs collègues pour leur narrer leurs exploits sur les pistes de province. Et quand ils ne triomphaient pas, les beaux parleurs, et ils étaient nombreux dans le milieu, trouvaient toujours quelques causes extérieures pour justifier leurs défaites et s’estimer le vainqueur « moral » de la course. Au final, il y avait toujours beaucoup plus de vainqueurs que de perdants !!! L’hiver, quand les courses se faisaient rares, pour occuper le temps, ils se regroupaient à quatre ou cinq dans une cabine pour de furieuses parties de manille, un jeu de cartes très en vogue à l’époque.
De ce confinement librement choisi, dans un espace connu qui était devenu leur domicile, les hommes du quartier sortaient finalement très peu en dehors des courses. Pour ceux là, plus que pour les autres, la reconversion, loin de cette ambiance de camaraderie et de ce petit cercle de solidarité, était un véritable casse tête, une plongée dans l’inconnu.
Ce petit monde vivait de peu, il avait ses rivalités, ses querelles mais il y régnait une esprit de corps et d’entraide remarquable. Woody comme tous ses camarades, essuya quelques chutes sérieuses tout au long de sa carrière et il eut alors l’occasion de bénéficier de la solidarité de ses camarades du quartier des coureurs. Les rivalités sur la piste aussi fortes qu’elles puissent être, disparaissaient en cas de coup dur. La communauté de destin réunissait alors ces hommes qui avaient comme unique ressource les prix gagnés en course. Chacun modestement, apportait sa contribution pour aider les proches d’un disparu ou plus simplement pour soutenir un collègue blessé qui, faute de pouvoir courir, se retrouvait dans la détresse.
Ainsi passèrent les années et la jeunesse de Woody, le gamin d’Indianapolis arrivé à Paris avec pour seul bagage son envie de vivre de sa passion et d’exercer dignement le métier de coureur cycliste professionnel. Après avoir connu les gros cachets, doucement mais inéluctablement les sommes offertes diminuèrent en l’absence de performances notables et Woody, après avoir vécu dans une certaine aisance avait désormais du mal à s’en sortir. Cigale plutôt que fourmi, il n’avait pas économisé durant les bonnes années pour préparer sa reconversion.
4) L’impossible reconversion
Quand la première guerre mondiale éclata, Woody avait déjà 33 ans et, depuis plus de dix ans, il sillonnait l’Europe pour gagner sa pitance. En quelques semaines, les frontières se fermèrent, la circulation entre les pays belligérants devint complexe. Les courses se raréfièrent. Des camarades partirent au front et l’on apprit très vite les premières disparitions. Pour Woody, cela aurait pu être le moment idéal pour tourner la page et commencer une autre vie. Oui mais que pouvait-il faire ? Étranger dans un pays en guerre, il n’avait appris aucun autre métier et en dehors d’entretenir des bicyclettes, il n’avait que sa bonne volonté pour réussir.
De mai 1914 à juillet 1916, Woody disparaît totalement des radars avant de revenir sur le devant de la scène pour la première édition du grand prix d’Auteuil, une épreuve de 50 kilomètres derrière moto disputée le 6 août. Désormais, les courses de vitesse ne sont plus pour lui. Woody sait bien qu’à son âge, il peut encore être performant sur des épreuves de demi-fond qui demandent plus d’endurance mais beaucoup moins d’intensité que les sprints. En dehors de Thorwald Ellegaard l’immense champion danois, et de Walter Rutt, les trentenaires sont rares au plus haut niveau des épreuves de vitesse et la relève est très fournie. Même dans les petites réunions de province, il a désormais bien du mal à sortir des séries. Pour les coureurs éliminés à ce stade des compétitions, les cachets sont trop maigres pour pouvoir espérer en vivre. Dans les courses derrière motos où la technique acquise est un atout indéniable pour bien figurer, des hommes comme Bobby Walthour, Paul Guignard ou Peter Gunther sont restés parmi les meilleurs bien au-delà de la trentaine. Les épreuves de demi-fond présentent un autre avantage indéniable pour Woody. La concurrence est moins dense et il n’y quasiment jamais de série ni de demie finale avant la course qui se résume le plus souvent à un match à trois ou quatre coureurs. Pour celui qui réussi à se faire engager par l’organisateur, c’est donc l’assurance d’un gain qui même pour le dernier de l’épreuve est en général plus important que pour les demis finalistes d’une épreuve de vitesse. En contrepartie, bien sur, les risques pris par les coureurs étaient sans commune mesure avec ceux encourus lors des épreuves de sprint.
Pour l’année 1916, le grand prix d’Auteuil est la seule course à laquelle Woody semble avoir participé. On le retrouve ensuite les 5 et 17 septembre officiant comme entraîneur de François Bardin dans le prix d’essai, une épreuve de demi-fond de 30 kilomètres réservée aux coureurs de « 2ème catégorie ». En saluant la performance de Woody Hedspath lors de la journée du 5 septembre, le journaliste de l’Auto évoque son passé et affirme que le coureur américain, avant d’être un champion reconnu, « avait été entraîneur et que c’était lui qui, en Amérique, avait maintes fois conduit jadis à la victoire le fameux Miller. »[52]
Charles Miller, dernier vainqueur des 6 jours de New York en solitaire en 1898, était un spécialiste des épreuves de grand fond, réputé aux États Unis comme en Europe. Citer son nom donnait du crédit aux aptitudes de Woody à jouer l’entraîneur mais jamais nous n’avons trouvé trace d’une éventuelle participation de Woody à une équipe d’entraînement de ce champion.
Ayant toujours conservé la nationalité américaine, Woody a durant plusieurs années déclaré que son adresse secondaire après Indianapolis, était le 30 rue Nollet à Paris dans le 17ème arrondissement entre la place de Clichy, le Square des Batignoles et le cimetière de Montmartre. Il était alors le voisin de l’anarchiste Eugène Dieudonné, qui vivait avec sa famille au numéro 45 avant d’être arrêté le 28 février 1912. Accusé à tort et condamné au bagne pour sa prétendue participation à la bande à Bonnot, Eugène Dieudonné réussira à s’en évader en 1926 et grâce au soutien du journaliste Albert Londres, il finira par être gracié.
La marque l’Albatros fondée à la fin du 19ème siècle par Henri Billouin,
équipa de nombreux autres champions tels Louis Darragon
A partir de 1907, si l’on en croit The Bicycling World and Motorcycle Review, Woody a vécu pendant une durée que l’on ignore totalement, en couple avec une danseuse de cabaret, Rosalie Le Maître. Le couple a eu une fille, Geneviève. La vie à deux puis la naissance de sa fille ont probablement poussé Woody a tenter de se reconvertir et à trouver un emploi stable. Pourtant Woody semble éprouver beaucoup de difficultés à s’adapter aux exigences d’un emploi régulier et, chaque fois, l’expérience tourne court et il fait son retour au vélodrome. Dans le quartier des coureurs, où il n’a pourtant pas habité très longtemps, il était littéralement chez lui. Emporté par l’ambiance qui y régnait, il était incapable de réfléchir mûrement à son avenir et à ses responsabilités vis à vis de sa fille. Nous possédons fort peu d’éléments permettant de cerner un peu mieux sa personnalité mais son comportement tout au long de ces années donne l’impression que pour lui tout cela n’est qu’un jeu et que, peu importe les travaux qui pouvaient lui être confiés, être là avec les copains, aux abords de la piste, suffisait à son bonheur.
Pendant près de quatre ans, de mars 1917 à janvier 1921 Woody arrête totalement sa carrière sportive et il occupe pendant une durée assez longue un emploi de chauffeur dont il semble très satisfait. Vit-il encore en couple, sa reconversion est-elle liée à sa volonté de s’occuper de sa fille. A ces questions il est hélas impossible d’apporter des réponses claires et précises.
La seule chose que nous savons c’est que le 30 rue Nollet où il demeura durant plusieurs années, fait partie des immeubles endommagés lors des bombardements perpétrés par des Zepellins allemands, le 8 mars 1918.[53]
En février 1921, Woody est de nouveau brièvement en selle. La disparition brutale de son ancien partenaire Emanuel Kudela le 22 septembre 1920 sur la piste Olympia de Berlin ne l’a pas découragé. Il effectue sa rentrée à Marseille au stade vélodrome avant de participer, associé au routier italien Giovanni Bassi, à une épreuve de 100 kilomètres disputée au vélodrome de Nice. Le journal italien « La Stampa » du 7 mars 1921 dans un article présentant la course surnomme Woody « le nègre volant » (il nero volante). Face à des cadors comme Costante Girardengo, Thorwald Ellegaard, Bob Spears le champion du Monde australien de vitesse, ou Léon Didier le champion de France de demi-fond, les vieilles jambes de Woody qui a désormais 40 ans, ne font pas de miracle et l’équipe ne pouvant soutenir le rythme des meilleurs, abandonna avant la fin de la course.[54] - Il s’agit là des seules épreuves auxquelles il semble avoir participé en France pour toute la saison.
Dans un article du 23 juin 1921, le Miroir des Sports oublie même ce come-back et affirme que Woody est toujours chauffeur automobile, au début de l’été 1921.
Un peu plus tard dans l’année, Woody semble avoir définitivement abandonné son job car on retrouve sa trace à l’ambassade américaine de Berlin où il effectue une nouvelle demande de passeport.[55] - Malheureusement nous ne connaissons pas la destination et la durée du voyage qu’il entreprit alors. Il est malgré tout intéressant de noter que Woody a effectué depuis son arrivée sur le continent Européen de nombreux séjours en Allemagne où, avant la montée du nazisme, il était accueilli tout aussi bien qu’en France.
Au mois de juillet de l’année suivante, Woody réapparaît sur les vélodromes parisiens. Son nom, ainsi que celui de son compère Germain, sont cités à plusieurs reprises dans la presse spécialisée parmi les coureurs s’entraînant les après midis sur la piste du Parc des Princes.
A compter du mois d’août 1922, et pour une durée d’environ dix mois, il disparaît à nouveau totalement de l’actualité. Est il de nouveau parti à l’étranger ou a-t-il effectué une nouvelle tentative de reconversion ?
A partir du mois d’avril 1923 et jusqu’à la fin de l’année, Woody, en compagnie de son ami Germain, est à nouveau très souvent remarqué par la presse spécialisée lors des séances d’entraînement du Parc des Princes. Assidu dans sa préparation, Woody ne participe pourtant qu’à deux épreuves durant l’année. Sa présence régulière à des séances d’entraînement peut s’expliquer par sa volonté de peaufiner sa forme afin d’effectuer des piges comme entraîneur lors des épreuves de demi-fond n’utilisant pas un entraînement motorisé. Cette activité, peu lucrative, était habituellement pratiquée par les seconds couteaux pour compléter leurs maigres revenus. Cela faisait peut être partie de son travail auprès de Victor Linart dont on sait qu’il fut pendant un temps, le mécanicien et l’assistant, après que celui ci eut obtenu son premier titre de champion du Monde de demi-fond en 1921.
Natif de la région de Namur, Victor Linart remporta à quatre reprises le championnat du Monde de demi-fond entre 1921 et 1927. Contrairement à Woody, qui bien qu’ayant désormais une fille en France, ne songea jamais à changer de nationalité, Victor Linart demanda et obtint en 1937, la nationalité française.
Si ces séances de préparation n’ont pas servi à Woody de préparation pour son job d’entraîneur, il faut donc en conclure que durant toute cette période, il a continué à rouler uniquement pour le plaisir d’être sur sa machine avec quelques amis comme Germain.
Pour vivre ou plutôt pour survivre, car le temps où il obtenait de gros cachets est désormais fort loin, Woody occupe tous les petits boulots existants dans le milieu de la piste. Entraîneur humain, assistant, soigneur, mécanicien, il est prêt à tout pour demeurer dans le milieu. Heureusement les vedettes de la piste avaient régulièrement besoin de ce genre de menus services et il était habituel qu’ils les fassent exécuter par des seconds couteaux, redistribuant ainsi une petite partie de leurs gains auprès de ceux qui n’avaient pas, comme eux, la chance de vivre largement de leur métier de coureur.
Pourtant les ambiances chaleureuses et détendues de l’âge d’or de la piste n’étaient hélas plus que de lointains souvenirs. La guerre avait fait de nombreux morts parmi les coureurs et bon nombre de ceux qui avaient eu la chance d’en réchapper étaient désormais trop âgés pour reprendre la compétition.
Une nouvelle génération plus individualiste mais aussi plus professionnelle avait définitivement remplacé les anciens d’avant 14. Le monde de la piste y perdit de son humanité. Le quartier des coureurs, qui avant guerre, était toujours animé, se vida peu à peu. La porte fermée pour ne pas qu’un adversaire découvre leurs petits secrets, les nouveaux coursiers ne faisaient que passer dans leur cabine, le temps de se changer et de préparer leur matériel. Une fois l’entraînement terminé, ils réintégraient rapidement leur domicile. La chaude ambiance qui régnait avant guerre n’était plus qu’un lointain souvenir.
Woody toujours joyeux, était connu et apprécié de tous dans le quartier des coureurs. Installé dans la capitale depuis plus de vingt ans, il était, par certaines de ses attitudes, un parisien plus authentique que beaucoup d’autres. Pour un afro-américain, écarté, dénigré et parfois même agressé dans son propre pays, Paris avec sa douceur de vivre, sa tolérance son animation nocturne et ses dancings où le jazz était omniprésent, figurait un havre de paix. Ici, il pouvait rêver et se construire une vie comme n’importe quel individu. Il a toujours souhaité demeurer américain mais la France est définitivement son pays d’adoption. En pleine crise monétaire en 1926, il n’hésita pas par exemple, à s’investir pour soutenir le Franc. Outre sa participation à un gala destiné à récolter des fonds, Woody est également un des premiers coureurs « parisiens » à faire un don à la Caisse Autonome d’Amortissement créée par Raymond Poincaré pour résorber la dette publique. On retrouve son nom aux cotés de ceux de Gabriel Poulain, Victor Linart, Georges Sérès, Germain Ibron, Maurice Schillès, Maurice Brocco, Lucien Michard, Georges Paillard ou d’un autre parisien d’adoption Thorvald Ellegaard.
De sa personnalité très obscure en l’absence d’interview et d’écrits de sa part, deux traits de caractère émergent systématiquement dans les articles de presse, évoquant le personnage : sa gentillesse et son humour.
Ses plaisanteries et son sourire « aurifié » étaient désormais devenus légendaires. Les anecdotes à ce propos ne manquent pas dans les journaux et l’on s’aperçoit que Woody avait beaucoup d’autodérision.
A chacun de ses retours sur la piste, les possibilités de gagner sa croûte uniquement à la force de ses jambes allaient s’amenuisant. Les engagements étaient rares, en général fort mal payés, et dans tout les cas, insuffisants pour nourrir son homme. Par solidarité et peut être aussi un peu par pitié, les coureurs de renom lui confiaient pour quelques francs, de menus travaux qu’il exécutait sans jamais se départir de sa bonne humeur légendaire comme en témoigne l’article paru dans le Miroir des Sports du 1er mai 1924.
Woody Hedspath aimait également beaucoup conduire et parfois il se faisait également embaucher pour piloter un véhicule lors de compétitions sur route comme Bordeaux – Paris. Robert Coquelle, qui l’avait fait venir en France pour la première fois en 1903, ne l’abandonna jamais à son triste sort. Quand le temps des vaches maigres fut venu, il le fit travailler à plusieurs reprises comme chauffeur pour ses déplacements professionnels et notamment pour suivre et commenter des courses sur route. Lors d’une étape du Tour de France en pays Breton, les deux hommes, probablement pour s’amuser, et en pensant plaire ainsi aux spectateurs, se couvrirent d’un de ces grands chapeaux de velours typiques de la Bretagne. Hélas, quelques régionalistes passablement racistes s’offusquèrent du fait qu’un afro américain comme Woody puisse porter le chapeau traditionnel de leur province et les deux hommes durent enlever leur couvre chef et s’excuser pour ne pas être passé à tabac. Cet incident rappela probablement à Woody de tristes souvenirs, naïvement, il avait cru que ce genre d’acte raciste était impossible dans le pays où il avait choisi de vivre et de travailler.
La bêtise et la méchanceté n’auraient décidément jamais de frontière...
Après avoir couru en Amérique, en Europe, après s’être entraîner en Afrique, en 1924, Woody va découvrir un quatrième continent grâce à sa bicyclette. Il est en effet retenu aux cotés d’Ernest Védrine et de Lucien Faucheux pour une tournée en Australie. Le moins que l’on puisse dire en regardant ce trio choisi par l’organisateur, c’est que celui ci n’a pas effectué sa sélection en fonction du niveau des coureurs mais plutôt en fonction de son portefeuille.
Comme Woody, Ernest Védrine n’était plus depuis longtemps un espoir de la piste, il fait même figure de revenant. Après quelques résultats encourageants en 1911, alors qu’il n’avait que 18 ans, Ernest Védrine s’était fait remarqué en mai 1912, en triomphant, dans un match au meilleur des trois manches de Julien Pouchois, pourtant auréolé de sa médaille de bronze acquise aux championnats du Monde de vitesse de Rome, l’année précédente. Demi finaliste du Grand Prix de Paris en juillet 1912, vainqueur de quelques épreuves relevées comme une américaine avec Octave Lapize en octobre de la même année, il était alors considéré comme un coureur en devenir et figurait parmi les meilleurs sprinters français. Il entama même une carrière internationale en participant à des épreuves en Allemagne et en effectuant durant l’été 1913, une tournée aux États Unis. En octobre 1913, incorporé au 7ème régiment d’infanterie, basé au fort de Tourneville à proximité du Havre, Védrine pensa revenir rapidement sur les pistes mais comme beaucoup d’autres coureurs de sa génération, sa carrière fut stoppée brutalement et pour longtemps par la guerre. Ce n’est qu’à la fin de 1923, après dix ans d’arrêt qu’Ernest Védrine, désormais trentenaire annonça son retour à la compétition. En décembre 23, il apparaît d’abord en tant qu’entraîneur d’un certain Porcher, avant de reprendre sans grand succès, la compétition en mai 1924.
Des trois coureurs partant pour cette lointaine tournée, seul Lucien Faucheux semblait à même d’obtenir des résultats face aux champions australiens. Celui qui fut, plus tard, surnommé Lulu les gros bras, venait tout juste de franchir le Rubicon et de passer professionnel. Champion de France amateur de vitesse en 1921 et surtout vice champion du Monde en 1924, Lucien Faucheux n’avait contre lui que sa jeunesse et son manque d’expérience dans le monde impitoyable du professionnalisme. La suite de sa carrière, auréolée notamment de trois titres de champion de France et de deux podiums lors des mondiaux en 1927 et 1928, tout comme son surnom montre bien qu’il n’était pas homme à s’en laisser compter. Encore peu expérimenté par rapport à Woody qui a dix huit ans de plus que lui, il est probable que lors du long voyage qu’ils firent ensemble, il eut l’occasion de l’écouter parler de son immense expérience. Woody n’était jamais à court d’anecdotes et de judicieux conseils. Un ancien comme lui connaissait probablement quelques astuces, quelques trucs dont il pouvait faire bénéficier un coureur d’une autre génération.
Pour deux des trois coursiers, ce périple était avant tout une question d’argent. Woody tout comme Védrine, qui n’avait pas obtenu de résultats probants depuis son retour sur la piste, ne pouvaient, en France, prétendre qu’à de très modestes cachets. Le manager/organisateur de ce voyage n’eut vraisemblablement pas trop de difficulté à les convaincre de tenter l’aventure. Partir c’était pour eux, la garantie d’un revenu, certes modeste mais sur toute la durée de la tournée, soit environ six mois. Lucien Faucheux, quand à lui, était dans une situation sensiblement différente. Régulièrement dominé chez les amateurs par Lucien Michard qui, en 1924, avait remporté les titres de Champion Olympique et de Champion du Monde de vitesse amateur, il se retrouvait à nouveau face à sa bête noire chez les pros. Face à ce champion d’exception qui, rappelons le, enleva chez les pros huit titres de champion de France et quatre mondiaux, Lucien Faucheux éprouvait un sentiment d’infériorité. Il avait envie de changer d’air, de voir du pays et de gagner des courses pour relancer sa carrière. Probablement beaucoup mieux payé que ses deux compagnons de voyage, il n’avait pas encore un palmarès suffisant pour obtenir un gros cachet. L’envie de se frotter à des coureurs de bon niveau mais inconnus en France pour progresser et pour revenir mentalement et physiquement encore plus fort, constituait sa principale motivation.
Des épreuves que disputèrent les trois hommes en Australie nous ne savons quasiment rien. Un seul entrefilet dans le journal "Le Radical" du 12 février 1925, nous apprend qu’à Sydney, Lucien Faucheux et le Britannique Baiby ont pour leurs débuts, triomphé face à des champions locaux comme Harris Horder, vainqueur du grand Prix de l’UVF en 1921 et des coureurs étrangers comme l’Américain Willie Spencer.[56]
Bien des années plus tard, Lucien Faucheux, devenu directeur du Parc des Sports de Bordeaux, raconta à Fernand Héric alors journaliste de Paris Soir, une anecdote qui en dit l’on sur la difficulté d’être un homme de couleur en Afrique du Sud. Plus de vingt ans avant la mise en place officielle de l’apartheid, la ségrégation y était déjà très forte.
Profitant d’une escale un peu longue au Cap pour descendre du bateau, les trois coureurs voulurent dîner en ville mais aucun restaurant n’accepta de les servir. D’abord surpris par ces refus, ils finirent par comprendre qu’ils étaient motivés par le fait que l’un d’entre eux n’était pas blanc… Le pauvre Woody, qui était pourtant la victime de ce racisme ordinaire, fut probablement le plus désolé des trois, car ses camarades par solidarité, revinrent à bord avec lui, sans avoir goûter aux spécialités locales.
De retour à Paris, à la fin du mois de mai 1925, Woody ne renoua pas immédiatement avec la compétition comme le fit Lucien Faucheux. Fort de ses succès australiens, le sprinteur voulait continuer sur sa lancée mais probablement à cause de la coupure occasionnée par le voyage du retour, il mit un peu de temps avant de retrouver le chemin de la victoire. Alors qu’Ernest Védrine, qui n’a finalement jamais pu retrouver un niveau suffisant, a décidé, dès son retour d’Australie, de jeter définitivement l’éponge, pour Woody, ce n’est encore une fois, que partie remise. Certes, il tente bien de s’éloigner des vélodromes et d’entrer une nouvelle fois dans la vie active, mais les sirènes de la piste le ramènent bien vite à ses premiers amours. En avril 1926, on le retrouve inscrit dans un meeting de province où il est désormais présenté comme « africain et recordman du monde des 26 miles » par le journal "La dépêche du Berry", du 10 avril. Cette appellation fait référence à la distance en miles qu’il a parcouru quand il a battu le record du monde de l’heure, 24 ans auparavant à Dayton… Le journaliste local faute de connaître notre homme, déduit de sa couleur de peau, son continent d’origine et il se contente de cela ne relevant même pas l’incohérence de son texte. Dans son esprit, un Américain devait obligatoirement être un homme blanc !!!
Pour ce meeting, Woody retrouva à nouveau son ami et compère Germain Ibron, qui comme lui, était bien incapable de mettre au clou sa bicyclette. Dans deux équipes différentes pour l’américaine, ils ont le plaisir d’être à nouveau associés pour un match omnium intitulé « noirs contre blancs ».
A l’issue de cette épreuve, mais peut être y en eut-il quelques autres en province, Woody qui a désormais 45 ans, disparaît à nouveau pendant longtemps des radars de l’actualité sportive. Ce qui est surprenant dans la carrière de Woody après guerre c’est cette alternance de brèves voire très brèves phases de compétition et de longs arrêts pour lesquels nous ne retrouvons quasiment aucune information. Certes les méthodes d’entraînement étaient beaucoup plus rudimentaires qu’elles ne le sont aujourd’hui mais elles avaient déjà beaucoup évoluées depuis la fin du siècle précédent. Il ne suffisait pas désormais de quelques tours de piste et d’un peu de culture physique pour pouvoir faire bonne figure y compris chez les amateurs. Atteindre un niveau acceptable pour courir face à des professionnels demandait un entraînement régulier et s’inscrivant dans la durée. Parvenu à un âge avancé pour un sportif, Woody, ne pouvait se contenter de quelques heures de selle pour retrouver des jambes et tenir son rang même dans les meetings de province. Tout cela laisse à penser qu’il a du, y compris durant certaines périodes d’arrêt, continuer à rouler très régulièrement. En 1922 et 1923, sa présence est attestée à de nombreuses reprises dans les groupes de coursiers qui tournent sur la piste du Parc des Princes mais quasiment jamais son nom n’apparaît dans la liste des engagés d’une épreuve parisienne. Certes on peut penser qu’il a pu participer à quelques épreuves mineures en province mais l’absence quasi totale de traces, indiquerait plutôt qu’il ait continué à pédaler pour le plaisir pendant les périodes d’inactivité. Un emploi à plein temps sauf à ce qu’il soit en horaire décalé, ne lui aurait pas permis de s’entraîner de manière assidue comme cela semble avoir été le cas pour une bonne partie de l’année 1923.
En dehors des petits boulots effectués dans le monde du cyclisme : assistant de coureur, conducteur de voiture de presse, nous ne savons rien ou presque de ses tentatives de reconversion quand elles furent effectuées hors milieu, en dehors d’un poste de conducteur d’une arroseuse municipale que Woody occupa apparemment peu de temps avant de reprendre encore une fois le chemin des pistes.
Au printemps 1929, Woody tente un ultime retour sur la piste. A 48 ans, il doit probablement être dans une situation financière difficile pour remonter ainsi sur sa bicyclette et risquer sa vie derrière une moto lancée à pleine vitesse. Face à des adversaires qui auraient pu être ses enfants, avec des réflexes forcément émoussés par les années, il lui fallait une sacré dose de courage, ou d’inconscience pour se risquer ainsi dans des épreuves de demi-fond dont la dangerosité était connue de tous les pistards. Bien évidemment, il retrouve, sur la piste, son ami et désormais compagnon de galère Germain Ibron que l’on surnommait parfois Siki. On peut se demander lequel les deux a convaincu l’autre de revenir une fois encore sur la piste. Germain, qui lui aussi par le passé avait beaucoup couru en Allemagne, avait réussi à se faire embaucher, en 1927, dans l’équipe sur route Opel.[57] - Compte tenu de ses aptitudes de pistard de vitesse, et de son âge, l’expérience avait très vite tourné au fiasco. Lui, qui sur piste, ne montait que rarement dans des épreuves de plus de 50 kilomètres, ne pouvait pas réussir dans des courses de 200 voir 300 kilomètres. Sa carrière de routier fut brève et ses employeurs qui l’avait engagé au fixe, le limogèrent très vite.
L’histoire paraît abracadabrante car les qualités mais aussi les limites de Germain étaient bien connues dans le milieu et il n’était pas difficile de savoir qu’il n’était pas fait pour les courses sur route, lui qui n’en avait jamais fait auparavant. Pourtant, l’objectif de son directeur sportif était autre. Il connaissait parfaitement les limites de Germain mais il voulait seulement avoir un homme de couleur dans son équipe pour participer à Berlin-Kottbus-Berlin, une des plus grandes courses allemandes de l’époque et ceci pour satisfaire un public avide de voir et probablement aussi de se moquer d’un noir sur une bicyclette.[58]
En 1927, la situation était bien différente d’avant guerre en Allemagne. La tolérance, le respect de l’autre que Woody et Germain avaient connu et qui les avaient incité à revenir à maintes reprises, étaient dans une part de plus en plus importante de la population remplacés par un sentiment d’hostilité et parfois de haine de l’étranger.
Le nazisme infestait de plus en plus les esprits et l’influence politique d’Hitler dans le pays était désormais considérable.[59]
Il n’est pas sur que Germain ait beaucoup apprécié d’avoir été utilisé comme un bête de cirque par son directeur sportif mais il en avait vu d’autres au cours de sa carrière et il parvint dit-on à sauver l’essentiel en réussissant à récupérer son salaire.
De retour France, Germain Ibron, qui comme Woody, avait alterné durant les années passées, les tentatives de reconversion et les come-back, remonta en selle. Pour compléter ses revenus, il s’occupa de menus travaux pour les champions du moment. Siki, surnom qui semble lui avoir été donné tardivement et que l’on ne retrouve qu’au milieu des années 20, était un personnage à part. Gaston Bénac, dans un article paru dans le journal l’Intransigeant du 6 octobre 1927 évoque Germain en ces termes :
«Siki, qui passa comme un anachronisme dans une société trop sage, comme un excentrique à moitié dément dans un monde équilibré »
Alors que Woody était plutôt volubile, Germain lui était plutôt un taiseux. Il appréciait les facéties de son ami mais c’est plutôt par son attitude qu’il aimait à se faire remarquer.
« Germain, lui plaisante rarement. Mais il aime assez « paraître ». Alors il se moule avec désinvolture dans un vieux maillot de champion du monde que Linart lui a donné, et fait modestement des effets de torse à l’ombre des marronniers en fleurs ».[60]
Si l’on en croit le journal Ouest-Eclair, en date du 26 mai 1929, Woody venait lui aussi de rentrer en France après un long séjour à l’étranger. Était il, tout comme Germain parti en Allemagne où nous savons qu’il avait, avec le temps noué, de solides relations dans le milieu cycliste ou était il retourné aux États-Unis ? Nous perdons totalement sa trace durant les années 1927 et 1928 et il nous est impossible de savoir où il se trouvait et comment il gagna sa vie. La seule chose que l’on peut dire sans trop de risque de se tromper, est que les nombreux voyages qu’il a effectué durant cette période (1921, 1924 - 1925, 1927 - 1928), sont dignes d’un célibataire sans attache et cela nous conduit à penser qu’il ne vivait probablement plus avec sa femme et avec sa fille.
Les deux amis, qui ensemble, avaient connu la gloire et maintenant partageaient les mêmes galères et la décadence, étaient de retour « au bercail ». Dans l’adversité, ils se serraient les coudes et se soutenaient mutuellement chaque fois que cela était nécessaire. A Paris où ils faisait quasiment partie des meubles, ils furent bien accueillis. En dehors de quelques dirigeants et de membres du personnel technique, ceux qui les avaient connus avant guerre, du temps de leur splendeur, n’étaient plus là. Thorvald Ellegaard en 1925, Gabriel Poulain en 1926, avaient été les derniers grands champions d’avant guerre à raccrocher.
Finalement Woody et Germain détenaient un sacré record. Ils étaient les deux seuls coureurs ayant débuté leur carrière avec le siècle encore en activité et en même temps ils se trouvaient être les seuls coureurs de couleurs, professionnels sur le continent européen depuis 1914 !
Dès son retour, Woody demanda une loge dans le quartier des coureurs du Parc des Princes. Installé dans la première cabine à l’entrée du quartier, Woody est idéalement placé pour bavarder et faire le pitre. Installé là, il a le sentiment de retrouver une famille. Il est heureux de pouvoir discuter et de rendre de menus services à ceux qui le lui demande. Il oublie la misère et le temps qui passe...
« Or, l’ineffable, l’ineffaçable Hedspath s’est vu attribuer la première cabine après la porte d’entrée du quartier des coureurs. Quelle imprudence !… Ce n’est plus une cabine, c’est une loge de concierge.
En entrant, tout le monde s’arrête un moment devant la « case » de l’oncle Woody pour l’entendre baragouiner une de ces bonnes histoires dont il a le secret.
- Comment fais-tu pour être si rigole ? Lui demande-t-on.
Et lui, avec un rire impayable aggravé d’une voix de rogomme :
- Tchi oui ! Of Course, pâsque je souis comme oune mouche dans dou lait. By golly.
Pourtant l’oncle Woody, aux yeux des enfants des coureurs, fait un peu figure de loup-garou. Ainsi, l’autre jour, le fils d’Humblot, en extase devant une moto restait sourd aux appels de son papa. Soudain, Hedspath sortit de son antre. L’effet fut immédiat ! Affolé par le sourire aurifié du nègre made in U.S.A., l’enfant ne fit qu’un bond pour se réfugier dans la cabine paternelle. »
L’Intransigeant, 5 juin 1929
Dans la nouvelle génération, des hommes de talent comme Victor Linart ou Lucien Faucheux, connaissent bien les deux compères et grâce à un réseau informel de solidarité qui unit encore les plus forts et les plus faibles, ils trouvèrent sans trop de difficulté quelques menus travaux pour gagner leur maigre pitance.
Les deux inséparables, à qui finalement personne n’arrivaient réellement à donner d’age, furent, un jour, gentiment moqué par Lucien Faucheux dont la gouaille de « titi parisien » était légendaire. N’obtenant pas de réponse de leur part sur leur date de naissance, Faucheux, réussit à les faire gentiment se disputer quand il leur demanda lequel des deux avait eu l’honneur de remporter le premier une course… Pour clore un débat fort animé entre les deux comparses qui revendiquaient haut et fort ce titre, Lucien Faucheux heureux de son effet, décida avec beaucoup d’à propos de les baptiser « les jumeaux »...
Pour Woody, 48 ans, l’heure de la retraite a pourtant sonné. Quoi qu’il fasse, il n’est plus capable désormais de figurer honorablement dans les courses et cette fois ci, malgré le capital de sympathie dont il jouit dans le milieu, les contrats sont bien trop rares et maigres pour espérer en vivre même en se contentant du minimum. Pour la dernière épreuve à laquelle Woody semble avoir participé : un omnium se déroulant sur la piste du Muttenz à Bâle, le 14 juillet 1929, les résultats parlent d’eux mêmes. Dans ce match opposant quatre coureurs, au meilleur des quatre manches, il termina trois fois quatrième et une fois troisième, loin derrière Germain qui, avec deux années de moins au compteur, conservait quelques forces supplémentaires pour s’en tirer honorablement dans des épreuves de second rang...
Cette fois ci, Woody a bien compris qu’il n’y aurait plus d’autre come-back. Physiquement il n’a plus la force de se battre face à des coureurs qui pourraient sans problème être ses fils. L’envie de continuer est toujours vive mais la lassitude prend le dessus et il ne se sent plus capable de lutter. Trop d’efforts et trop de fatigue pour de maigres résultats. La mort dans l’âme, il repense à ses débuts, trente ans plus tôt dans sa ville natale d’Indianapolis, ses premières victoires, son amitié avec Major Taylor, puis son arrivée en France, sa rencontre avec Germain et tous ses succès obtenus avant guerre… Fort de ses souvenirs, il a compris qu’il lui faut maintenant vivre sans sa bicyclette, loin du cocon douillet du vélodrome.
Il parla bien évidemment de sa décision de raccrocher à son ami Germain. Lui aussi se sentait las, proche de la sortie mais il préféra poursuivre encore quelques mois sa carrière, le temps d’organiser l’après. Durant l’automne 1929, Germain Ibron est ainsi très actif sur les pistes parisiennes, on le retrouve régulièrement dans le peloton des sprinteurs à l’entraînement[61] et il prend par à plusieurs compétitions. Il fait partie des inscrits à une réunion se déroulant au vélodrome Bugatti de Rueil le 1er septembre. Le 22 octobre, associé à Rebour, il remporte au Veld’hiv, un match contre le tandem Roudy – Exbrayat et le 13 octobre il est membre d’une des triplettes entraînant René Hournon lors de la troisième manche de l’omnium d’ouverture du vélodrome d’hiver.[62]
Germain prend les choses du bon côté car son avenir professionnel est tout tracé, il sera masseur. Il attend simplement pour démarrer son activité qu’une cabine de soigneurs se libère enfin dans le quartier des coureurs. Ce n’est plus qu’une question de jours, alors il en profite jusqu’au dernier instant. Sa présence sur la piste est signalée pour la dernière fois le 21 novembre. Le 26, le journal l’Auto annonce sa reconversion.
Arrivé en métropole, au tournant du siècle en tant que domestique d’une famille aisée, si l’on croit les histoires évoquant le début de sa vie, Germain n’envisagea pas un seul instant, et on le comprend aisément, de reprendre son premier métier. Habile de ses mains à soulager un coureur aux muscles contractés, il choisi de persévéré dans cette voie, encouragé par quelques coureurs de renom ayant profité de ses services alors qu’il était encore officiellement coureur. Devenir masseur lui parut la meilleure solution pour obtenir des revenus plus surs et plus réguliers que ceux que ses vieilles jambes pouvaient lui apporter. La plupart des grands champions avaient un masseur attitré et cela comptait beaucoup dans la réputation du soigneur. Germain eut la chance d’avoir comme client Victor Linart, qui, avait fait travailler Woody quelques années auparavant. Quand un ancien champion du monde encore en activité, affirme sur la place publique qu’il est très satisfait de vos massages, votre réputation est faite et cela permet de se constituer un socle de clientèle assez facilement. En effet, après chaque séance d’entraînement, les coursiers de second rang, comme les champions éprouvaient le besoin de se faire « tripoter les muscles » comme cela se disait alors dans le métier. Ils n’avaient pas toujours les moyens de se payer une séance de massage mais chaque fois qu’ils le pouvaient, ils s’octroyaient un moment de relaxation, choisissant l’un ou de l’autre des masseurs au gré des potins circulant dans le quartier des coureurs.
Parmi les masseurs, depuis longtemps on retrouvait d’anciens coursiers reconvertit. Parmi les plus célèbres on peut citer Lucien Lesna, ancien vainqueur de Paris-Roubaix et de Bordeaux-Paris qui après avoir suivi une formation, avait ouvert un cabinet en ville tout comme Emile Peyre surnommé « Lou Pastaïre » dont la réputation était telle qu’il avait dans sa clientèle de nombreuses personnalités du Show Bizz comme nous l’avons évoqué dans l’article que nous lui avons consacré sur le site http://www.lepetitbraquet.fr.
En 1929, au vélodrome les principaux rivaux de Germain avait pour nom Georges Gatier l’ancien tour de France et Domain surnommé « la chouette » qu’il ne faut pas confondre avec le pistard Léon Domain décédé bien avant guerre. Ces hommes, le plus souvent sans qualification particulière, faisait profession de masseur car ils estimaient avoir un don pour ce travail d’assouplissement et de décontraction musculaire. Chacun avait sa méthode, ses trucs qu’il cherchait jalousement à garder secret pour ne pas perdre sa clientèle car la concurrence était rude. Le prix des séances était peu élevé, entre 10 et 30 francs de l’époque, ce qui correspond à une somme comprise entre 6 et 18 euros de 2013.[63] Marié le 05 novembre 1931, dans le 17ème arrondissement de Paris, avec Mathilde Gustavie Laquérie, Germain avait besoin de revenus réguliers pour faire vivre son couple et il était à l’affût de tout nouveau client potentiel.
Durant les années 1930, Germain fut ensuite pendant quelques temps, l’homme à tout faire d’Albert Richter,[64] le grand sprinter allemand qui disparaîtra lâchement assassiné par les nazis le 2 janvier 1940. Vainqueur du Grand Prix de Paris amateur en 1932, avant de monter 7 fois consécutivement sur le podium de la vitesse professionnelle sans jamais parvenir à enlever le titre suprême, Albert Richter a couru suffisamment longtemps en France pour apprendre le français et pour y croiser Germain Ibron, désormais installé dans sa cabine de massage. C’est probablement au Parc des Princes, dans le quartier des coureurs ou sur le bord de la piste que les deux hommes se sont rencontrés et qu’ils ont très vite sympathisé. Ayant eu la douleur de perdre sa femme, le 1er mars 1935, Germain Ibron aurait accepté, peu de temps après, d’accompagner Albert Richter en Allemagne pour l’assister dans la préparation des courses.
Photo de Lucien Michard, Albert Richter et Germain Ibron prise à Paris en février 35, pour la victoire de Richter sur Michard en finale du Grand Prix de l’UVF
Photo aimablement transmise par Renate Franz, biographe d’Albert Richter [65]
En 1933, l’Allemagne comptait dans sa population quelques 2500 à 3000 noirs ou métis. Il s’agissait essentiellement d’immigrés en provenance des colonies perdues par le pays en 1918. Lors du traité de Versailles, l’Allemagne avait en effet du renoncer à son empire colonial qui comprenait le Cameroun, le Togo, l’Afrique Orientale Allemande (Tanzanie, Rwanda, Burundi) ainsi que le Sud Ouest Africaine (Namibie). A ces hommes et ces femmes s’ajoutaient quelques anciens prisonniers de la première guerre mondiale et les enfants de soldats des troupes françaises qui avaient occupé la Rhénanie jusqu’en 1930, avaient eu avec des Allemandes, et qui étaient surnommés les « bâtards de Rhénanie ». Quelques dizaines de musiciens et comédiens de pays divers, séjournaient également dans le pays. Bien que les lois raciales de Nuremberg, adoptées le 15 septembre 1935, aient été essentiellement conçues contre les juifs, les « gens de couleur » tombèrent également dans leur champ d’application sans pour autant qu’ils subissent la haine absolue dont seront victimes les Juifs. Un arrêté du Ministère de l’Intérieur du Reich en date du 26 novembre 1935 marqua strictement la séparation des races en spécifiant que « les mariages de personnes de sang allemand avec des Tziganes, des Nègres ou leurs bâtards » n’étaient pas autorisés.
Pour Albert Richter, qui refusait de faire le salut nazi et qui, au maillot du Reich orné d’une croix gammée, préféra toujours l’ancien maillot arborant l’aigle allemand, embaucher un homme de couleur, était une véritable provocation. Malgré la volonté farouche de Richter de s’opposer au régime, l’expérience tourna court. Devant la vive réaction du pouvoir nazi, le sprinteur Allemand ne put que s’incliner et laisser repartir Germain Ibron en France.
Plus tard, Germain se serait établi comme bijoutier dans le 17ème arrondissement où il mourut durant le premier semestre de l’année 1963.
Le retrait définitif à quelques mois d’intervalle de Woody Headspath et de Germain Ibron mît au grand jour, le caractère profondément européen et nord américain du cyclisme de compétition. Pour l’écrire en des termes plus directs, le cyclisme est alors un sport pratiqué par des blancs pour un public de blancs. Aux États Unis, les instances dirigeantes longtemps dominées par les États de Sud, n’avaient jamais chercher, et cela dura encore fort longtemps, à favoriser le développement du cyclisme chez les Afro-Américains. Malgré d’importants changements dans les mentalités depuis une trentaine d’années, on peut dire que le cyclisme américain porte, encore aujourd’hui, les traces de cet héritage peu glorieux et les noirs demeurent largement sous représentés dans le cyclisme de haut niveau.
Dans les pays d’Europe, la population était, dans les années 30, quasiment exclusivement composée d’Européens et le problème ne peut pas se poser dans les mêmes termes. Le cycliste était devenu un sport populaire, finalement peu prisé des élites et les rares coureurs de couleur ayant fait carrière sur les pistes européennes, y avaient reçu un accueil plutôt favorable. Dans les pays d’Afrique ou dans les Antilles, qu’il s’agisse de colonies ou de territoires sous administration d’États Européens, la pratique du sport, de manière générale, n’était pas encouragée ni soutenue. Il était donc difficile pour un coureur venant de ces territoires d’émerger et de devenir professionnel. Quand aux États Indépendants, leurs préoccupations étaient bien évidemment autres : développement économique, renforcement du pouvoir politique, de l’armée et de l’administration…, et leurs moyens financiers, souvent faibles, étaient affectés à d’autres priorités.
En 1929, les journalistes français firent ainsi le constat amer, qu’avec la retraite de nos deux compères, il n’y avait désormais plus de coureurs de couleur sur les pistes européennes. Ali Neffati, le coureur tunisien ayant, lui aussi, mis un terme à sa carrière peu après Woody et Germain, c’est également l’Afrique dans son entier qui disparaissait pour quelques années, de la géographie du cyclisme professionnel. Les quelques articles de presse évoquant la retraite de nos deux compères se plaignent de la disparition des coureurs de couleurs mais aucune analyse n’est faite pour tenter d’expliquer les raisons de leur impressionnante sous représentation. En 1941, au moment de la disparition de Woody, dans un contexte particulier, avec une presse aux ordres d’un gouvernement collaborationniste, la présentation des choses est encore bien pire. Les difficultés rencontrées aux USA par les Afro-américains pour pratiquer le cyclisme sont totalement niées. De plus l’absence d’Asiatiques et d’Africains dans le gotha mondial est évoquée comme un état de fait totalement logique laissant entendre que dans cette discipline, « l’homme blanc » était le plus fort.
Alors que son ami Germain resta dans le milieu du cyclisme, pendant quelques années Woody semble avoir choisi une toute autre voie. Entre la fin définitive de sa carrière et sa disparition prématurée, il va s’écouler douze années pendant lesquelles nous ne savons quasiment rien de sa vie. Quand le rêve s’éteint, il ne reste que la réalité triste et nue. Difficile de croire qu’après tant de tentatives de reconversion infructueuses Woody ait soudain trouvé une situation stable et bien rémunérée. Sans véritable métier dans les mains, il est probable qu’il a mené jusqu’à la guerre une vie simple, difficile, peut être même dans un profond dénuement.
Après la défaite de la France, Paris est occupée à partir du 14 juin 1940 par les troupes allemandes. Environ les deux tiers de la population sont partis en direction de la France Libre et il ne reste qu’un million d’habitants dans l’ancienne Lutèce. Le gouvernement français a lui aussi quitté la ville pour Bordeaux. Paris n’est plus la capitale officielle du pays, mais à la place, elle devient le siège du commandement militaire allemand en France. Le drapeau à croix gammée flotte sur la tour Eiffel et sur la plupart des monuments officiels. Affichant d’emblée sa force, pour tuer dans l’œuf, toute tentative de rébellion, l’occupant allemand cherche avant tout maintenir la paix civile. Si la ville paraît vivre au ralenti, le métro est opérationnel. En dehors de quelques véhicules fonctionnant au gazogène, c'est à peu près le seul moyen de locomotion motorisé disponible pour les Parisiens qui ont aussi ressorti leurs vélos et même de vieux fiacres tirés par des chevaux. Les rares voitures qui circulent sont les autos militaires ou officielles. Des panneaux en allemand sont posés un peu partout pour guider les soldats mais aussi des allemands en villégiature, venus découvrir la ville. Alors que le marché noir se développe et que la population a souvent du mal à trouver les denrées de base, les commerces de luxe qui faisaient depuis longtemps déjà, la renommée internationale de Paris, survivent grâce à une clientèle allemande importante. En octobre 1940, les écoles de la capitale ré-ouvrent et la vie en apparence semble reprendre un cours presque normal. Mais, derrière cette apparente tranquillité, la Gestapo travaille activement et surveille tout en détail. Pour Woody, la situation va devenir au fil du temps, inconfortable et même dangereuse. Les ressortissants américains coincés dans la capitale étaient peu nombreux mais ils étaient regardés par les autorités militaires allemandes comme des espions potentiels qu’il convenait de surveiller étroitement. Afro-américain, comme son compatriote Jess Owen qui, aux Jeux Olympiques de Berlin en 1936, avait largement dominé les athlètes du troisième Reich, Woody avait, en plus, à craindre le racisme de l’occupant.
Durant les années 1930, les États-Unis s’étaient à nouveau engagés dans une politique isolationniste et quand la seconde guerre mondiale éclata, il n'était pas question pour le Congrès Américain de s'impliquer dans la guerre aux cotés des Alliés, malgré la volonté du président Roosevelt. Cependant, en décembre 1940, la loi « Lend-lease » ou loi prêt-bail, en favorisant l'exportation de matériel à destination du Royaume-Uni, rompit de fait la neutralité affichée. Certes il faudra attendre l'attaque-surprise du port de Pearl Harbor par l'aviation japonaise, le 7 décembre 1941, pour que les États-Unis déclarent la guerre au Japon et aux puissances de l'Axe mais, dès qu’elles eurent connaissance du soutien américain aux Britanniques, les autorités allemandes se préparèrent à combattre les USA. Partout, dans les territoires conquis, ils firent surveiller étroitement tous les expatriés américains par la Gestapo en les considérant comme des espions potentiels.
Les Américains qui étaient restés dans la capitale pour une raison ou une autre, ont, comme les Parisiens, subi la pénurie et les difficultés inhérentes à l’occupation mais, dans l'ensemble, pendant près d'un an et demi, ils ne furent pas emprisonnés ni agressés par les autorités d'occupation allemandes en raison de leur nationalité. Les Afro-Américains, comme Woody, ou les Juifs américains, coincés dans la capitale subirent globalement des contrôles plus stricts et un traitement plus dur que leurs compatriotes blancs mais il n’arriva rien de dramatique pour eux. Certes Woody était séparé de sa femme et de sa fille depuis longtemps, mais il avait de nombreux amis à Paris, où il vivait quasiment en permanence depuis 1903. Il était clair pour tous le monde, qu’un jour où l’autre, les États Unis entreraient en guerre aux cotés des alliés et qu’à ce moment là, rester à Paris deviendrait beaucoup trop dangereux mais retourner aux États Unis était pour lui un choix par défaut.
Nous ne savons pas précisément comment les choses se sont déroulées pour Woody mais d’une manière générale, pour beaucoup de ressortissants américains coincés à Paris, l’Hôpital Américain administré par le Général Français Aldebert de Chambrun fut d’un grand secours. Pour leur rapatriement, la seule solution envisageable nécessitait de se rendre à Lisbonne, et pour cela d’obtenir auprès des autorités allemandes, les documents nécessaires pour passer en zone libre puis pour franchir la frontière espagnole. Sur tout le continent Européen, seule la ville de Lisbonne possédait encore des liaisons régulières avec les USA, grâce à The American Export Lines Inc. seule compagnie maritime à maintenir un service hebdomadaire ouvert à des passagers.[66] Durant l’été 1940, l’Hôpital, dont le personnel soignant était toujours américain, organisa, en coopération avec la Croix-Rouge américaine, un service d’assistance aux soldats retenus dans les camps de prisonniers. Durant toute cette période, le gouvernement de Vichy paya directement l'hôpital pour les militaires français qui y étaient soignés, et l'ambassade britannique en Espagne remboursa l'hôpital via les banques américaines. Les Allemands étaient informés de ce fonctionnement et l’approuvèrent sans difficulté particulière. Ils mirent du temps avant de s’apercevoir que le Docteur Jackson soutenait la résistance notamment en permettant à des prisonniers militaires de « s’évanouir dans la nature ».
« L'hôpital s'occupait généralement d'une centaine de blessés français et de trente à quarante britanniques. Lorsque les blessures des soldats guérissaient, la plupart d'entre eux ne pouvaient s'attendre qu'aux camps de prisonniers allemands, aux Stalags pour les officiers et aux Oflags pour les hommes. Une minorité chanceuse a disparu dans le métro vers la Grande-Bretagne, envoyée secrètement en civil par le Dr Jackson. ».[67]
Américain natif du Maine, engagé volontaire dans l’armée Britannique en 1916, le Docteur. Sumner Waldron Jackson, chirurgien en chef de l’Hôpital Américain sera déporté avec sa femme et son fils en 1944 pour faits de résistance. Sa femme et son fils survivront mais lui disparaîtra tragiquement quelques jours avant la fin de la guerre.[68]
Tout en s’occupant de prisonniers de guerre français et britanniques, le staff de l’Hôpital continua à prendre en charge les civils américains nécessitant des soins. Woody, malade, affaibli par une tuberculose intestinale est ainsi probablement passé par l’Hôpital Américain avant d’être inscrit sur une liste de personnes évacuées par la Croix Rouge en direction de la capitale Lusitanienne. Il fait ainsi partie du groupe de rapatriement numéro 14 organisé par la Croix Rouge. Nous n’avons pas pu retrouver les dates précises du trajet effectué par les évacués, encadrés par des bénévoles de la Croix Rouge mais à son arrivée à Lisbonne, Woody Headspath était en possession d’un passeport Américain portant le numéro 3419, délivré à Paris, le 4 février 1941.[69]
Effectué dans des conditions particulièrement pénibles pour des personnes malades ou convalescentes, le voyage eut raison des dernières forces de Woody. Soigné à l’hôpital Curry Cabral de Lisbonne, il rendit son dernier souffle le 16 avril aux alentours de 13 heures.[70] L’acte de décès nous apprend qu’il a été emporté par le typhus et une tuberculose intestinale. L’extrême dénuement dans lequel Woody a vécu les derniers mois de son existence, est également confirmé dans ce document qui précise que le défunt était sans ressource, et que ses effets personnels étaient anciens, usés et sans valeur.
« Personnal effects were old, mostly in poor condition, and almost valueless. Deceased was destitute »[71]
Dans un pays qu’il connaissait un peu, pour y avoir effectué quelques courses, trente ans auparavant, Woody est mort seul et loin des siens. Il fut inhumé au cimetière de Benfica, le 21 avril. Trois personnes furent informées de sa disparition par l’Ambassade Américaine de Lisbonne : Rosalie Le Maître, son ancienne compagne, Geneviève Le Maître Headspath, sa fille et un américain dénommé Jim Gibson. Il est intéressant de noter que Gibson dont on ne sait absolument rien, a été averti du décès de Woody, dès le 19 avril alors que sa fille et son ex femme ne furent contactées que trois jours plus tard. Geneviève et sa mère étaient au moment de son décès, domiciliées à Rostrenen dans le département des Côtes du Nord (aujourd’hui Côtes d’Armor). Les deux femmes se sont probablement réfugiées là quand la guerre a éclaté. Dans la liste nominative de la population pour l’année 1911, qui est la dernière année consultable en ligne à ce jour pour la commune de Rostrenen, on retrouve un foyer portant le nom de Le Maître, composé d’un couple et de trois enfants.[72] - Y-a-t-il un lien de parenté entre Louis Le Maître, artisan maçon, né en 1868 et Rosalie, l’ancienne compagne de Woody dont on peut penser qu’elle est née entre 1880 et 1885. Certes Le Maître est un nom relativement commun mais ce n’est probablement pas le fait du hasard si Rosalie Le Maître a choisi de s’installer dans cette petite commune de moins de 2500 habitants en plein cœur de la Bretagne plutôt que de rester à Paris.
Malgré cette triste fin loin de Paris, la presse sportive française n’a pas oublié le champion mais aussi l’homme affable qu’avait été Woody, comme en témoigne plusieurs articles évoquant son parcours et sa disparition.
Encore une fois, Woody est comparé à son illustre compatriote, Major Taylor, disparu lui aussi dans la misère en juin 1932. Qualifié de meilleur coureur noir après Taylor, Woody aura finalement toujours été dans l’ombre de celui-ci. Jamais sa carrière n’aura été appréciée autrement qu’à l’aulne de celle de Taylor
Surnommé le nègre numéro 2, Woody Hedspath aura durant toute sa carrière subit la comparaison avec l’immense champion que fût Major Taylor. Des liens d’amitié existaient entre les deux hommes et à son arrivée à Paris, Woody bénéficia de la collaboration de Taylor pour se faire connaître et être payé à sa juste valeur. Originaires tous deux d’Indianapolis, les deux hommes ont vécu l’enfer dans leur pays où les instances du cyclisme et notamment la NCA n’admettaient pas qu’un afro-américain puisse devenir coureur professionnel. Seul le talent hors du commun de Taylor parvint à faire bouger les lignes. Comment refuser une licence professionnelle à un champion détenant de nombreux records mondiaux et que le monde entier adulait ? Pour les autres coureurs afro-américain, la NCA n’accorda pas, pendant de nombreuses années d’exception sur son territoire. Pour ceux, qui comme Woody avait le talent pour vivre de leur passion, une seule solution existait : éviter le plus possible de courir sur le sol national. Melvin T. Dove et Spain tentèrent d’imiter Major Taylor en s’essayant à de longues tournées sur le continent Européen mais ils baissèrent bien vite les bras devant les contraintes que cela représentait. Seul Woody réussit à se construire une carrière dans la durée en choisissant l’exil. Installé à Paris mais séjournant également à de nombreuses reprises en Allemagne durant ses premières années européennes, Woody trouva, sur le vieux continent, une douceur de vivre qu’il n’imaginait pas. Loin des insultes et des vexations racistes qu’il avait subi dans son propre pays, Woody pu pratiquer son métier, vivre de sa passion comme n’importe quel autre individu. Le coté paternaliste des français, que l’on qualifierait, sans nul doute à juste titre de raciste aujourd’hui, était sans commune mesure avec la violence physique et verbale que pouvaient subir les afros-américains dans leur pays.
Toujours affable et souriant dans sa tenue bicolore, Woody s’accommoda des moqueries et des plaisanteries de mauvais goût sur sa couleur de peau. Stupides et désobligeantes ces réflexions étaient exemptes de haine et elles ne s’accompagnaient pas de loi ou de règles différentes selon la couleur de peau. Arrivé à Paris sans un sou en poche, il apprécia immédiatement cette douceur de vivre qu’il ne connaissait pas. Ici pas de ségrégation, pas de course interdite, les coureurs s’entraînaient ensemble et le dimanche au gré de leurs engagements respectifs, certains s’affrontaient en course sans autre critère que la performance. En l’absence d’interview de Woody, laissons à ce propos, la parole à un autre exilé de couleur, Alfonso Teófilo Brown, boxeur professionnel Panaméen plus connu sous le nom de Panamá Al Brown.
« Où serais je mieux qu’à Paris, tout le monde y fut charmant pour moi. Ici je suis un homme, là-bas on songe trop que mes ancêtres furent peut être esclaves. Et puis j’aime la vie Parisienne qui compte tant d’attraits, tant de possibilités. »
Durant une demie douzaine d’années, Woody, pas très loin des meilleurs sprinteurs mondiaux, gagna très correctement sa vie. Il était demandé partout en Europe par des directeurs de vélodrome soucieux d’apporter une « touche d’exotisme » à leurs meetings. Beaucoup moins cher que Taylor, sa présence était très appréciée à la fois pour son sérieux, son respect du public mais aussi par sa polyvalence et sa capacité à bien figurer dans de multiples épreuves. Engagé Woody était la certitude d’avoir du spectacle. Avec son double et ami, le coureur Martiniquais, Germain Ibron, il forma pendant vingt ans une paire homogène, d’excellent niveau comme en témoigne leur succès en 1904, lors des 6 heures d’Amsterdam à l’américaine. Leurs parcours pendant près de trente ans sont profondément liés dans le succès comme dans le déclin et il est impossible d’évoquer la carrière de Woody sans parler de celle de Germain.
Au fil du temps, Woody devint, par la force des choses, un coureur de second rang, se produisant sur les petits vélodromes de province pour de minces cachets qui suffisaient à peine pour vivre. La naissance de sa fille puis la diminution de ses capacités physiques en raison de l’âge, l’incitèrent maintes fois à se reconvertir. Robert Coquelle, avec qui il avait signé son premier engagement en France, tenta bien de l’aider en l’employant comme chauffeur, mais comme à chaque autre tentative, au bout de quelques mois, il revint sur la piste, incapable de quitter ce milieu et cette ambiance qu’il aimait tant. Soutenus par des coureurs de renom comme Victor Linart ou Lucien Faucheux qui leur confiaient régulièrement de menus travaux, Woody et Germain s’accrochèrent à leurs rêves pendant de longues années et ce n’est qu’en 1929 qu’ils finirent par pendre au clou, leur petite reine. De cette partie là de la vie de Woody, il reste encore beaucoup à découvrir.
Leur retrait des pistes, sonna la fin d’une époque. Pendant près de trente ans, Major Taylor, puis nos deux compères et quelques rares autres coureurs avaient entretenus l’illusion d’un cyclisme noir, certes modeste mais présent à un haut niveau. Désormais et durant plusieurs générations, l’absence de coureurs de couleur capables de briller dans les rangs des professionnels allait renvoyer l’image pas très reluisante d’un cyclisme, sport de blancs, arc-bouté sur ses habitudes et ses certitudes.
Les dernières années de sa vie, Woody, qui avait pourtant garder la nationalité américaine, les passa à Paris, la ville où il avait pu s’épanouir en tant que coureur cycliste mais aussi en tant qu’homme. Nous ne savons quasiment rien de cette période mais ces années, vécues dans un relatif dénuement ne semblent pas avoir été les plus belles de sa vie. Pourtant, sans la pression de plus en plus forte de l’occupant allemand qui exécrait les afro-américains comme lui, il est probable que Woody n’eut jamais abandonné Paris. Sa santé se dégradant, il finit pourtant par se résoudre à partir dans le cadre d’un rapatriement organisé par la Croix Rouge. Épuisé par un trop long voyage, loin de son pays et de sa terre d’accueil,Woody rendit son dernier souffle à Lisbonne, ville où il s’était distingué, 34 ans auparavant, en remportant une épreuve de tandem avec son compère Germain. Sur son lit d’hôpital, c’est probablement la douceur de vivre parisienne et ce souvenir teinté de gloire et d’amitié qui accompagnèrent ses derniers instants.
J'ai deux amours
Mon pays et Paris
Par eux toujours
Mon cœur est ravi
Ma savane est belle
Mais à quoi bon le nier
Ce qui m'ensorcelle
C'est Paris, Paris tout entier
Le voir un jour
C'est mon rêve joli
J'ai deux amours
Mon pays et Paris...
« J'ai deux amours » paroles de Georges Koger et Henri Varna
1899
1er d’une épreuve d’un mile réservée aux hommes de couleur, Newby Oval d’Indianapolis, le 4 juillet (The Indianapolis News, 5 juillet 1899)
3ème d’un handicap, piste de Ravenswood, Chicago, ( The Indianapolis Recorder, 21 octobre 1899)
1er de plusieurs courses lors du Kentucky Colored Fairs, Louisville août
( The Indianapolis Recorder, 21 octobre 1899)
1901
Passe professionnel en mai ou juin (cf Indiannapolis Journal, 06 juin 1901)
2ème d’une course d’un mile, au Newby Oval d’Indianapolis, le 7 juin
3ème d’une épreuve 1 mile pursuit race, au Newby Oval d’Indianapolis, le 4 juillet
1er des 6 jours de Springfield, Spring Grove Park du 20 au 26 septembre
Battu lors d’un match de 15 miles derrière moto par Jimmy Hunter, Coliseum de Springfield, le 1er octobre
1902
11 victoires au total, jusqu’au mois d’août selon le site https://thecabe.com/
Vainqueur d’un 5 et d’un 10 miles derrière moto au Pabst Park de Milwaukee en septembre
Participation aux Six Jours de New-York, associé à Alexander Peterson, abandon sur chute, fracture de la clavicule, The Waterbury Democrat, 8 décembre 1902
Record de l’heure sans entraîneur, 41,921 km dans l’heure à Dayton, le 31 juillet
1903
Première course en France au vélodrome de Roubaix, (L’Auto, 25 mai 1903)
4ème d’une course de primes, vélodrome Buffalo, 31 mai
1er d’un handicap au vélodrome de Prague, 29 juin
3ème d’une internationale, vélodrome de Rennes, le 14 juillet
3ème d’une course-match, Vélodrome Buffalo, le 31 juillet
3ème d’une course de primes, Vélodrome Buffalo, le 1er août
1er d’un 25 km derrière moto, vélodrome de Remiremont, le 2 août
2ème d’une course de 10 milles avec entraîneur,Vélodrome Buffalo, le 6 août
Vainqueur associé à Major Taylor d’un match en quatre manches contre Bourotte et Jue, Vélodrome Buffalo, 13 août
2ème d’une épreuve de 10 km, vélodrome de Mayence, le 7 septembre
1er d’un 10 km, vélodrome de Francfort sur le Main, le 14 septembre
Vainqueur d’un match contre Moeser, vélodrome de Darmstadt, le 20 septembre
2ème d’une épreuve de 100 km, vélodrome de Cologne, le 11 octobre
Participation aux Six Jours de New York associé à Melvin T. Dove, décembre
1904
Retour en France le14 mai
Vainqueur associé à Germain des 6 heures d’Amsterdam à l’américaine, le 12 juin
1er d’un 10 km avec entraîneur, vélodrome de Remiremont, le 21 août
2ème d’un 25 km derrière moto, vélodrome de Dijon, le 28 août
3ème ex æquo du tour de piste pro (500 mètres) Londres, vélodrome de Crystal Palace, le 4 septembre en marge des Championnats du Monde,
1er du prix d’encouragement, veld’hiv, 11 décembre
1905
8ème associé à Germain d’une épreuve de 100 km, veld’hiv
3ème d’un handicap, veld’hiv, 29 janvier
3ème d’une course de primes, veld’hiv, le 16 février
3ème d’une course par élimination, veld hiv, le 20 février
3ème d’une course de primes, veld’hiv, le 8 mars
2ème d’une épreuve de tricycle, vélodrome du Parc des Princes, le 19 mars
1er d’une course d’une heure, vélodrome de Verviers
Vainqueur d’un match contre Collin, 2ème de la course de tandem associé à Germain et 3ème de l’Internationale (crevaison), vélodrome de Marseille, le 28 mai
1er d’un 30 km devant Germain Ibron, vélodrome de Marseille, le 28 mai
1er de l’Internationale, vélodrome de Bourg, le 1er juin
3ème d’un grand prix de vitesse, vélodrome Buffalo, le 12 juin
2ème du grand prix de Mayence, le 19 juin
3ème d’un handicap, vélodrome Buffalo, le 9 juillet
2ème d’un grand prix de vitesse, vélodrome des Alliers à Angoulême, le 14 juillet
2ème d’une course de primes, vélodrome Buffalo, le 27 juillet
Vainqueur des deux manches d’un match contre Wouvres à Groningue, le 31 juillet
1er associé à Germain d’une épreuve de tandem, vélodrome de Lisbonne, le 13 août
2ème d’une épreuve de demi-fond, vélodrome de Lisbonne, le 13 août
1er d’une course de 10 verstes, vélodrome d’Odessa le 24 septembre
2ème d’une Internationale, vélodrome d’Odessa le 25 septembre
1906
1er du Prix d’encouragement lors du meeting d’ouverture du Veld’hiv, 11 février
Vainqueur d’un match à trois contre Koulitchenko et Benoot et 3ème d’une épreuve de demi-fond à Saint Petersbourg, le 25 mars
1er d’une épreuve de vitesse, vélodrome de Berlin, le 16 avril
1er d’un handicap, 3ème d’un 10 km et 3ème d’une course d’une heure, vélodrome de Brandenburg le 7 mai
2ème associé à Emmanuel Kudela, d’une épreuve de 24 heures, vélodrome de Berlin Treptow, le 24 mai
1er d’une internationale, Millenaris Sporttlep de Budapest le 17 juin
1er d’un scratch et 2ème d’une épreuve de 50 kilomètres, vélodrome de Coblence, 1er juillet
3ème sur 10 et 40 km à Duisbourg, le 30 juillet
1er d’une course de vitesse, vélodrome de Plauen, le 6 août
1er de la vitesse, d’un handicap et d’un 20 km derrière moto vélodrome de Berlin Treptow, le 1er octobre (source The Bicycling world and motorcycle review vol 54)
2ème d’un 20 km derrière moto, vélodrome Buffalo, le 4 octobre
2ème du prix d’encouragement, veld’hiv, le 1er novembre
1er du prix d’encouragement, veld’hiv, le 2 novembre
1er d’une épreuve de demi-fond sur 25 km, veld’hiv, le 06 décembre
1er d’un handicap, veld’hiv, le 9 décembre
1er d’un handicap sur 850 mètres, vélodrome d’hiver, le 10 décembre
3ème d’une course de 25 km au Veld’hiv, le 13 décembre
1er d’une épreuve de vitesse, vélodrome de Marseille, le 16 décembre
1er d’un scratch au veld’hiv, le 27 décembre
1907
2ème d’un 25 km, veld’hiv, le 3 janvier
2ème du prix Walter (40 km), veld’hiv, le 7 janvier
4ème d’une course poursuite à l’australienne, veld’hiv, le 27 janvier
1er du prix de l’Union des Commerçants, vélodrome de Saint Pierre sur Dives
1er du grand prix de vitesse, vélodrome de Menton, le 12 mars
3ème d’une Internationale au vélodrome de Tarbes, le 17 mai
3ème d’une épreuve de tandem associé à Jacquelin, vélodrome de Tours
2ème de la vitesse et 3ème du handicap, vélodrome de Bourg en Bresse, le 2 juin
Vainqueur d’un match contre Mouthier et 1er d’une course derrière moto, vélodrome de Bourg en Bresse, le 9 juin
2ème d’une Internationale à Fougères, le 17 juin
2ème de la Roue d’Or, vélodrome de Marseille, le 23 juin
2ème d’un scratch vélodrome de Montceau-les-Mines, le 28 juin
Vainqueur des deux premières manches du match international et 3ème du handicap, vélodrome de la Cambre, Bruxelles, le 8 juillet
Vainqueur associé à Halgin des 200 km à l’américaine de Nancy le 14 juillet
1er d’une épreuve de vitesse vélodrome du Montet, Nancy, le 15 juillet
2ème d’un match de demi-fond et 3ème de l’international, vélodrome de Senlis, le 4 août 2ème d’un handicap, vélodrome Buffalo, le 8 août
1er d’une épreuve de vitesse, vélodrome de la Cambre, Bruxelles, le 13 août
2ème d’une épreuve de demi-fond, vélodrome de Lisbonne, le 17 août
Vainqueur d’un match contre Garin sur 20, 40 et 50 km, vélodrome de la Cambre, Bruxelles, le 25 août
2ème d’un 50 km, vélodrome de la Cambre, Bruxelles, le 2 septembre
3ème du Grand Prix de la Revue Sportive (50 km derrière moto), vélodrome de la Cambre, Bruxelles, le 3 septembre
Vainqueur des trois manches d’un match de vitesse à 4, et d’une épreuve de tandem associé à Trelb, vélodrome de la Cambre, Bruxelles, le 9 septembre
Vainqueur en deux manches d’un match contre Van Den Born, vélodrome de la Cambre, Bruxelles, le 22 septembre
Vainqueur à Mons-Crotteux d’un match contre Wilmots, le 14 octobre
1908
3ème du prix d’encouragement, veld’hiv, le 1er mars
1er d’un scratch au manège Michel, Saint Petersbourg, le 28 mars
2ème d’une course d’une heure, vélodrome de la Junction, Genève, le 31 mai
1er du kilomètre et 2ème du mille anglais au manège Michel, Saint Petersbourg, le 2 avril
2ème d’un scratch au manège Michel, Saint Petersbourg, le 7 avril
2ème d’une course d’une heure sans entraînement, vélodrome de la Junction, Genève, 31 mai
2ème d’une Internationale à Fougères le 16 juin
3ème de la course de repêchage du Grand Prix de l’UVF, vélodrome Buffalo, le 4 juillet
3ème d’un handicap derrière Friol et Shilling, vélodrome d’Anvers, le 27 juin
1er de l’Internationale de vitesse, vélodrome vélodrome de la Loire à Saumur, le 5 juillet
3ème d’un scratch, vélodrome du Bel Air, Montceau-les-Mines, le 15 juillet
1er de l’épreuve de vitesse à Bruxelles, Karreveld, le 20 juillet
1er de l’Internationale de Senlis, le 1 août
1er d’une épreuve de demi-fond à Moorslede, le 11 août
2ème de la course de consolation, vélodrome Buffalo, le 15 août
2ème d’une course de primes, vélodrome Buffalo, le 16 août
2ème des 12 heures de Toulouse associé à Vanschoonhoven, le 12 septembre
3ème du Grand Prix d’Italie de demi-fond, vélodrome de Milan, le 20 septembre
2ème d’un handicap et 3ème du course internationale en 3 manches, Campo Sportivo de Turin, le 27 septembre
2ème d’une épreuve de vitesse, vélodrome de la Cambre (Karreveld), Bruxelles, le 22 octobre
6 décembre inscrit pour la réunion d’ouverture du vélodrome de Tunis
1909
Participation aux 6 jours de Berlin, associé à Louis Darragon
1er de l’Internationale de Charleroi, le 12 avril
Vainqueur des trois manches d’un match de demi-fond à Verviers, le 19 avril
3ème d’une épreuve de vitesse à Zuremborg, le 22 juillet
2ème associé à Amiaux du grand prix de l’UVF, 1/2 heure à l’américaine et 3ème de l’épreuve de tandem, Parc des Princes, 26 septembre
1er du prix de consolation, vélodrome de Roanne, 10 octobre 1909
1910
1er associé à Germain d’une épreuve de tandem, vélodrome Karreveld, Bruxelles, le 22 mai
3ème d’un 15 km derrière moto au veld’hiv, le 9 juin
2ème d’une course de primes, vélodrome Buffalo, le 13 juin
3ème d’une internationale et 3ème du Grand Prix de l’UVF, vélodrome d’Agen, le 19 juin
1er du Grand Prix de Bourg en Bresse, le 10 juillet
2ème d’un handicap, vélodrome Buffalo, le 14 juillet
3ème d’une course de primes, vélodrome Buffalo, le 19 juillet
3ème d’une course de 15 km derrière moto, vélodrome Buffalo, le 24 juillet
3ème d’une internationale et 3ème d’un 30 km, vélodrome d’Angers, le 31 juillet
2ème de l’Internationale de consolation, vélodrome de Rennes, le 10 octobre
3ème d’une course de 10 km avec entraîneurs, vélodrome Buffalo, le 17 octobre
2ème du prix des abonnés, veld’hiv, le 13 novembre
2ème d’une course de primes, veld’hiv, le 20 novembre
2ème du prix de consolation du Grand Prix de Noël, veld’hiv, le 25 décembre
1911
2ème du prix d’encouragement, veld’hiv, le 5 février
2ème du prix des abonnés, vélodrome d’hiver, le 5 mars
1er du prix des abonnés, veld’hiv, le 16 avril
2ème du grand prix de Saumur, vélodrome de la Loire, le 23 avril
1er du Prix d’ouverture, vélodrome de Niort, le 8 mai
3ème d’une course de demi-fond (1 heure) entraînement par tandem humain, vélodrome de Montluçon, 28 mai
2ème d’un handicap Parc des Princes, le 11 juin
3ème d’une course de 50 kilomètres, Parc des Princes, le 25 juin
1er du Grand Prix du Boucau, le 17 juillet
2ème du prix Tomaselli, vélodrome Buffalo, le 20 août
3ème du Grand Prix du Syndicat (vitesse) au vélodrome Buffalo, le 2 octobre
1er d’un handicap, prix des abonnés, vélodrome d’hiver, le 22 octobre
1912
1er du prix des abonnés et d’une course de primes, Parc des Princes, le 27 mai
3ème du Grand Prix de la ville du Mans, le 28 juillet
4ème d’un scratch, vélodrome Buffalo, le 19 août, (Germain termine 2ème )
4ème d’une internationale, vélodrome de Lodz, 15 septembre
1er du prix d’honneur des abonnés de la réunion de clôture, Parc des Princes, le 21 octobre
1913
Du 14 au 20 janvier fait partie des soigneurs de l’équipe Fogler – Goullet, lors des 6 jours de Paris
4ème associé à Palutias de la course des 6 heures au vélodrome de Marseille, le 9 février
2ème du prix de S. A. S. le prince de Monaco, 3ème du Grand Prix de la Ville de Menton et 4ème du Prix du Conseil Municipal,vélodrome de Menton, les 8 et 9 mars
1er associé à Hervé d’une épreuve de tandem et défaite en deux manches sèches lors d’un match de demi-fond contre Bourmeyer sur 20 et 30 km, vélodrome d’Angers, le 6 avril
2ème associé à Fournous d’une épreuve de tandem, vélodrome d’Angers, le 27 avril
1er associé à Bournac du Prix Frédéric Pincemin (50 km à l’américaine), vélodrome de Saint Brieuc, le 15 juin
2ème de la petite finale du Grand Prix d’Angoulème, le 13 juillet
Septembre, de Berlin où il réside, demande de passeport pour se rendre en Russie pour affaires
3ème d’une course de fond sur 10 kilomètres, vélodrome de Strasbourg, le 12 octobre
4ème d’un scratch au veld’hiv, le 7 décembre
1914
Éliminé en série lors plusieurs épreuves au veld’hiv, 15 février, les 1er, 8 et 15 mars, 3 mai et le 22 juin
2ème du course de primes, Parc des Princes, le 12 avril
3ème d’un scratch, Parc des Princes, le 17 mai
3ème d’une course de primes, vélodrome Karreveld de Bruxelles, le 31 mai
1915
Aucune course, ni aucune présence signalée lors des séances d’entraînement du Parc des Princes
1916
3ème du Grand Prix d’Auteuil sur 50 km, le 6 août
On le retrouve jouant un rôle d’entraîneur pour Bardin lors du prix d’essai du 17 septembre ainsi que pour une épreuve se déroulant le 3 septembre
Participation associé à Martin à l’épreuve des 400 tours à l’américaine, au veld’hiv, le 19 novembre. L’équipe abandonna avant l’arrivée
1917
Participation à une course à l’australienne, veld’hiv, 14 janvier
Participation au match des 4 Nations, le 24 février au veld’hiv
1918, 1919, 1920
Retraite sportive
1921
2ème d’une course poursuite sur 10 kilomètres, stade vélodrome, Marseille, le 20 février
Participation à une course de 100 km à l’américaine, associé à l’italien Bassi (abandon). On retrouve parmi les engagés Girardengo, Ellegard, Spear, vélodrome de Nice, 6 mars
De Berlin où il réside, demande de passeport pour un voyage. Vers les Etats Unis ?
1922
Apparaît en compagnie de Germain lors de plusieurs séances d’entraînement au Parc des Princes cf l’Auto du 20 et du 29 juillet
1923
2ème d’une internationale au vélodrome de Laval, le 21 mai
Apparaît en compagnie de Germain lors de plusieurs séances d’entraînement au Parc des Princes cf : l’Auto du 20 avril, du 16 mai, du 21 juin, du 3, du 9 et 30 août, du 13 et du 15, du 26 et du 29 septembre, du 7 et du 10 novembre et du 29 décembre
Éliminé en série d’une course scratch au vélodrome Buffalo, le 1er septembre
1924
Éliminé en 1/2 finale après avoir remporté sa série lors du Prix d’Auteuil sur 750 mètres, veld’hiv, 21 septembre
1925
Tournée en Australie avec Védrine et Faucheux de novembre 1924 à mai 1925
1926
Participation au meeting de Vierzon, Américaine associé à Julien Loisel et omnium avec Germain
1929
Retour en France après un long séjour à l’étranger (?)
3ème d’une course derrière moto, vélodrome de Rennes, le 9 juin
4ème d’un omnium professionnel, piste de Muttenz, Bâle, le 14 juillet
(Journal de Genève, 16 juillet 1929, Woody est cité comme coureur sud africain…).
Ce palmarès non exhaustif a été réalisé principalement par la consultation des journaux disponibles sur les sites suivants :
The Road to Civil Right, Richard F. Weingroff, consultable à la page suivante : http://citeseerx.ist.psu.edu/viewdoc/download?doi=10.1.1.455.1309&rep=rep1&type=pdf
Life in the Slipstream : The Legend of Bobby Walthour de Andrew M. Homan, Potomac Books Inc., 2011
Major Taylor: The Extraordinary Career of a Champion Bicycle Racer de Andrew Ritchie, The Johns Hopkins University Press, 1996.
Ethnicity, Sport, Identity: Struggles for Status de Andrew Ritchie
The World's Fastest Man: The Extraordinary Life of Cyclist Major Taylor, de Michael Kranish, Hardcover, 2019
The American Hospital of Paris during the two World Wars, Brave Volunteers & Heroes of the Resistance, Charles Glass, www.american-hospital.org
Americans in Paris: Life and Death Under Nazi Occupation, Charles Glass,
Notes :
[1] - Le Petit Marseillais, 10 mars 1913
[2] - https://thecabe.com/forum/threads/professional-racer-woody-hedspeth-1903.60898/ : orthographe utilisée lors du mariage de Woody en 1899
[3] - Voir à ce propos le census de 1900 pour la ville de Chicago et les deux demandes de passeport que Woody a effectuées en 1913 et 1921
[7] - https://medium.com/@ahanson8842/how-marshall-taylor-became-the-first-african-american-world-champion-in-cycling-93e3ce3b3909 - Article du New-York Times du 27 septembre 1897
[8] - The Indianapolis News, 22 juillet 1899
« Woody Hedspeth, the colored rider, is also entered in the professionnal races. He has been working on the track all season. »
[9]- The Indianapolis Recorder, 21 octobre 1899, cf https://newspapers.library.in.gov/
[11] -Source: 1900 U.S. Federal Census, cité par http://nkaa.uky.edu/nkaa/items/show/3040 et https://thecabe.com/forum/threads/professional-racer-woody-hedspeth-1903.60898/
[12] - The Indianapolis Journal, 6 juin 1901
[13] - La Vie au Grand Air, N°247, 5 juin 1903
[14] - Voir à ce propos The Lake County Newspapers ainsi que The Indianapolis News, 21 septembre 1901
[15] - The Evening Telegram New-York, 1er mars 1902
[16] - The Indianapolis News, 6 juin 1901
[17] - The Syracuse Evening Herald, 5 mai 1902
« the new colored wonder ressembles Major Taylor to a market degree »
[18] - Le record de l’heure de Woody Headspath est également mentionné dans Wikipédia
Le record est également évoqué dans :
Le vélo, 28 février et 10 mai 1903
Le Figaro, 16 septembre 1903
[19] - The Brooklyn Daily Eagle, 2 décembre 902
[20] - Voir à ce propos ce que nous avons écrit dans le mystère Doerflinger,
[23] - Voir à ce propos The Savannah morning news, 23 Dec. 1902, The Waterbury Democrat, 31 décembre 1902 ainsi que les articles ci dessous.
[24] - The Evening Telegram, New York, 26 décembre 1902
[25] - La Vie au Grand Air, 5 juin 1903
[26] - L’Auto, 11 avril 1907
[27] - Le Petit Journal, 28 octobre 1903
[28] - L’Auto, 25 mars 1903 article d’A. Leroy
[29] - On pourrait traduire ainsi cet article :
« Toutes nos champions cyclistes de couleur sauf deux sont maintenant en France. Pour une raison inconnue, un cycliste basané n’éprouve aucune difficulté pour obtenir les faveurs populaires des Français, et l'enthousiasme manifesté à l'origine envers Major Taylor s'étend désormais à Hedspeth, Germain, Vendrele (ndlr il s’agit de Vendredi) et A.C. Spain. Le bourrelet de M. F. Ivy est presque assez gros pour lui permettre de traverser et quand il aura navigué, Ike Lindsay sera sans doute si seul qu'il décidera de rejoindre ses compatriotes de l'autre côté. »
[30] - L’Auto, 10 novembre 1908
[31] -
[32] - On retrouve les résultats de ce match dans la presse française :
Le Petit Parisien, 15 août 1903 mais également dans la presse américaine : The Bicycling World 1903 et The Sun, 26 août 1903
[33] - L’Auto, 30 décembre 1904
[34] - www.historicalstatistics.org/
[35] - L’Auto, 10 décembre 1903
[36] - L’Auto, 25 mars 1903
[37] - ] L’Auto, 30 décembre 1904
[38]- Cf les journaux Le Figaro et L’Humanité en date du 5 septembre 1904
[39] - The World's Fastest Man: The Extraordinary Life of Cyclist Major Taylor, de Michael Kranish, Hardcover, 2019, page 146
« Kimble felt that in order to uphold those inherited ideals of his forefathers, he was obliged to hate me with a genuine bitterness and do his utmost to defeat me every time we met. »
[40] - Voir à ce propos :
« The Wheelmen », n° 24 mai 2019,
- « Massachusetts Troublemakers: Rebels, Reformers, and Radicals from the Bay State » de Paul Della Valle, Rowman & Littlefield, 13 janv. 2009
[41] - Major Taylor: The Extraordinary Career of a Champion Bicycle Racer de Andrew Ritchie, The Johns Hopkins University Press, 1996. Page 189
« At every race in which MacFarland’s name and mine appeared on the programm, he made it a point to sitr up a conspiracy against me. Even when he was not scheduled to compete in a heat with me he would get busy among the other riders in my heat and organize combinations which aimed to prevent me from winning »
[42] - Voir le coup de chapeau que nous avons consacré à Sergei Utochkin
http://www.lepetitbraquet.fr/
[43] - https://stuyfssportverhalen.com/
[44] - Cf articles parus dans les journaux L’Echo de Paris, le 1er mai 1907 et Gil Blas, le 30 avril 1907
[45] - L’Auto, 8 mai 1902 et 1er décembre 1929
[46] - La Liberté, 23 janvier 1912
[47] - Cf La Croix du 19 janvier 1911 et La Lanterne du 29 octobre 1911
[48] - Le Figaro, 24 janvier 1912
On retrouve également cette liste dans le journal La Liberté du 23 janvier 1912
[49] - La Vie au Grand Air, 17 novembre 1906
[50] - L’Indépendant du Cher, 10 août 1913
[51] - L’Eclair, 18 mai 1905
[52] - L’Auto, 6 septembre 1916
[53] - Voir la liste des lieux touchés lors des bombardements allemands dans le dossier en format PDF
[59] - A propos de l’expérience malheureuse de Germain Ibron au sein de l’équipe Opel voir également Paris-Soir, du 3 avril 1927
[60] - L’Intransigeant, 5 juin 1929
[61] - La présence de Germain Ibron à des séances d’entraînement au Parc des Princes est notamment mentionnée dans les numéros du journal l’Auto du 30 août, du 5, du 7, du 19, du 25, du 26 et du 28 septembre, du 2 et du 19 octobre, du 1er, du 13, du 20 et du 22 novembre...
[64] - Voir le coup de chapeau que nous avons consacré à Albert Richter sur le site www.lepetitbraquet.fr
[65] - Renate Franz, « Der vergessene Weltmeister. Das rätselhafte Schicksal des Radrennfahrers Albert Richter », Covadonga, 2007.
[66] - United States of America, Congressional Record: Proceedings and Debates of the 77th Congress, first session, volume 87, part 3 : 19 mars - 1er mai 1941
[67] - Voir « The American Hospital of Paris during the Two World Wars : Brave Volunteers and Heroes of the Resistance, » Charles Glass,
Téléchargement gratuit sur simple demande par courriel auprès de l’auteur.
https://www.charlesglass.net/book/the-american-hospital-of-paris-during-the-two-world-wars/
[68] - A propos du docteur Jackson voir notamment « Doctor to the Resistance: The Heroic True Story of an American Surgeon and His Family in Occupied Paris » de Hal Vaughan