L’histoire de Sergei Isaevich Utochkin est celle d’un homme passionné et attachant, coléreux, fier mais aussi généreux. Un homme qui a tout fait pour aller au bout de ses rêves et cela au péril de sa vie. Aventureux, globe trotter qui nous montre qu’il y a un siècle l’internationalisation du cyclisme était déjà une réalité. A Paris, lors de sa longue carrière, lui qui fut durant de longues années, l’un des meilleurs sprinteurs russes affronta outre les français, des allemands, des américains, des australiens, des belges, des italiens, des néerlandais, des danois et d’autres coureurs venus comme lui se frotter au gratin mondial et tenter de vivre de sa passion. Pendant près de quinze ans, on le retrouve ainsi partageant sa vie entre son pays natal et la France où il aimait venir courir notamment durant les longs hivers peu propices à la pratique du cyclisme. Prophète en son pays, il n’a jamais réussi de brillantes performances au niveau international mais sa hargne, son courage lui ont quand même permis de s’octroyer quelques victoires face aux plus grands. Sergei Isaevich Utochkin détestait l’injustice et sans préjugé de race ou de couleur il a montré lors des émeutes qui ont secoué Odessa en 1905.
A la fin de sa carrière, Sergei Utochkin, comme beaucoup d’autres coureurs fut tenté par l’aviation. Le coup du risque, la passion de la vitesse sont pour ces hommes avides de sensation, le moteur de l’existence. Rien, pas même la peur de la mort ne pouvaient les arrêter. Voler, découvrir le monde vu d’en haut, éprouver la sensation grisante d’être un pionnier, un explorateur des airs nécessitait une prise importante de risques que tous acceptait sans état d’âme. A Paris où il vint régulièrement pendant plus de dix ans, Sergei Utochkin découvrit l’aviation aux cotés de ceux qui allaient la faire. Dans les vélodromes, il côtoya ainsi Maurice Farman et son frère Henri mais également Edouard Nieuport, Taddeus Robl, Charles Van den Born, Alessandro Anzani et peut être même Léonce Erhmann. Compte tenu du passé cycliste de nombreux constructeurs et pilotes, les liens avec le milieu de la piste étaient importants et Sergei Utochkin n’a probablement rien raté des exploits de ses anciens adversaires et pour lui devenir pilote représentait une forme de continuité dans sa vie sportive pour ne pas dire aventureuse.
I - Une enfance tourmentée
Le nom Utochkin s’écrit Уточкин en russe et Уточкін en ukrainien. On le trouve traduit de multiples façons en Français : Utochkin, Utotchkin, Outotchkine, Outochkine ce qui complexifie considérablement les recherches. Par souci de simplification, nous utiliserons une seule orthographe Utochkin.
Issu d’une famille de marchands plutôt aisée, Sergei Isaevich Utochkin est né 12 juillet 1876 dans la ville d’Odessa qui faisait alors partie de l’Empire Russe. Le domicile de ses parents était situé au 23 rue Ouspensky dans un bâtiment qui existe encore aujourd’hui. Son père Isaie Utochkin Kuzmich possédait une entreprise de construction florissante et faisait partie de la deuxième guilde marchande. Sa mère se nommait Austyniya Stefanovna. Les Utochkin font partie de la communauté chrétienne orthodoxe de la ville. Les premières années de Sergei se déroulent dans un milieu urbain, plutôt bourgeois, épargné par la misère et les famines qui frappent régulièrement les campagnes de l’Empire Russe.
Pourtant en quelques années tout va basculer et le destin va frapper durement les Utochkin. En 1881, la mère de Sergei, Lustina Stefanovna décède en couche peu après la naissance de son frère cadet. Son père atteint de la tuberculose, disparaît lui aussi rapidement. Au départ les enfants du couple : Sergei ses frères Nicolas et Leonid sont pris en charge par des parents. C’est un cousin de leur père qui assume au début la charge de leur éducation mais très vite pour une raison que l’on ignore, les trois enfants se retrouvent placés chez des particuliers moyennant finance. Les conditions matérielles dans lesquels se retrouvent les enfants ne sont pas mauvaises et ils vivent dans un milieu qui ne connaît pas la pauvreté mais il leur manque l’affection et la tendresse que seuls les parents peuvent apporter. Ballottés d’une famille à l’autre, ils sont apparemment séparés et Sergei qui est l’aîné est ainsi pris en charge par le gardien nommé Krause du gymnase Richelieu de la ville. Selon une autre version, il s’agirait d’un professeur du lycée Richelieu [1]. Ce nom bien connu en France peut nous surprendre pourtant la ville d’Odessa doit beaucoup à un membre de la famille de l’illustre Cardinal.
En 1803, Alexandre le Grand, Tzar Russe a nommé Armand-Emmanuel-Sophie-Septimanie de Vignerot du Plessis, duc de Richelieu, gouverneur de la ville d’Odessa et de la Nouvelle Russie (sud de l’Empire). En poste jusqu’en 1814, le Duc de Richelieu, petit fils du célèbre Cardinal est considéré comme le principal responsable du développement et du rayonnement d’Odessa. Aujourd’hui encore plusieurs lieux dans le port Ukrainien portent son nom.
Pour Sergei cette période n’est pas la plus heureuse de sa vie mais il commence doucement à se faire à sa nouvelle vie quand un nouveau drame va hélas l’atteindre et le marquer à jamais. Le gardien du gymnase alcoolique et mal dans sa peau, finit, un jour de déprime par se pendre dans son grenier. Sa femme lorsqu’elle découvre le corps, est prise d’un coup de folie et elle tue ses enfants avec un couteau. Sergei est en partie témoin du drame mais il réussi à s’enfuir mais ce meurtre sanglant va profondément le traumatiser et il en demeura bègue toute sa vie. Malgré toutes les performances sportives qu’il accomplira dans l'avenir et qui feront de lui un homme célèbre et adulé, il aura toujours un caractère sensible, tourmenté et instable [2]. Sur toutes les photos où apparaît Sergei Utochkin son mal être est visible. Il donne l’impression d’être ailleurs, de ne pas être à l’aise et de fuir l’objectif.
Placé dans une nouvelle famille sans histoire, il continue à suivre des cours dans la réputée école de commerce de la ville, le collège Saint Paul. Peut être y croise-t-il en 1888, un jeune garçon nommé Liova Davidovitch Bronstein qui passera à la postérité sous le surnom de Trotski. A quinze ans, Sergei Utochkin arrête sa scolarité et il s’intéresse a à peu près tous les sports qui se pratiquent dans la capitale de la province d’Ukraine. A sa mort, le père de Sergei a laissé à ses fils un capital conséquent mais afin que tout ne soit pas dilapidé en quelques mois, il a prévu auprès d'un homme de loi le versement de rentes annuelles. C'est avec cet argent que Sergey a acheté son premier vélo
Dans une petite autobiographie intitulée « Ma confession »qu’il a rédigée en 1913, Sergei déclare qu’il a pratiqué au total 15 disciplines différentes dans sa jeunesse [3]. Il essaie la boxe, l’escrime, la lutte, la natation, le tennis, la voile, l’escrime, le patinage sur glace, la course à pied et surtout le football [4]. Ainsi il est, à 17 ans, le premier non anglais à faire partie de l’Odessa British Athletic Club [5]. Les britanniques de l’époque Victorienne appréciaient l’effort physique et ils sont à l’origine de la création et de la diffusion de sports tels que le cricket, le football, le rugby, le tennis, et la boxe un peu partout dans le monde. Fondé en 1878, par des expatriés britanniques, « the Odessa British Athletic Club » propose à ses membres de nombreuses activités ludiques et sportives mais c’est le football qui suscite très vite le plus grand engouement. Au départ réservés à la communauté Britannique forte de quelques milliers de personnes, les matchs opposaient la sélection du club à des équipes constituées de membres des équipages des navires anglais en mouillage au port de la ville. Fiers de leur culture mais aussi un peu de leurs propres personnes au point de ne pas vouloir affronter des équipes qui ne sont pas composées exclusivement de sujets de sa Gracieuse Majecté, avaient trouvé ce système pour organiser des compétitions réservées aux sujet de sa gracieuse majesté. Avec le temps, la communauté britannique finira par accepter des autochtones au sein du club et Sergei Utochkin à l’honneur d’être le premier Ukrainien à jouer dans l’équipe de foot de l’Odessa British Athletic Club. Ce sont très probablement des qualités physiques et techniques bien supérieures à la moyenne qui lui ont valut ce privilège pourtant ce n’est pas dans cette discipline que Sergei va tenter de faire carrière. Certes le jeune Utochkin est bien intégré à l’équipe mais son esprit indépendant le pousse vers l’effort solitaire et les sports individuels.
Après avoir cherché sa voie dans de nombreuses disciplines sportives, Sergei Utochkin décide de se consacré uniquement à la bicyclette. Après quelques mois de pratique, il est déjà l’un des meilleurs amateurs de la province d’Odessa. Plus particulièrement à l’aise dans les épreuves dites de vitesse, Sergei est également capable de briller lors de courses beaucoup plus longues comme en témoigne sa victoire lors du championnat du sud de la Russie sur 100 verstes soit 106,600 kilomètres en 1894. Accumulant de nombreuses victoires chez les amateurs en 1894, il passe professionnel dès l’année suivante alors qu’il n’a pas encore 19 ans [6].
II L’éternel voyageur
Coureur râblé, nerveux et puissant comme le montre les photos de l’époque, Sergei Utosckin est réputé pour la qualité de son emballage final. Il est dit-on alors, difficile à battre sur les 500 derniers mètres. Sergei Utochkin aime sa ville d'Odessa où sa silhouette aux cheveux roux est connue de tous mais il n'y a pas assez d'épreuves professionnelles pour remplir une saison et très régulièrement il effectue de longs déplacements au sein de l'Empire pour courir. En dehors de Kharkov qui est distante d'un peu moins de 700 kilomètres, les deux villes dotés d'infrastructures pouvant accueillir des courses importantes sont Moscou éloignée d'un peu plus de 1300 kilomètres et Saint Petersbourg à plus de 1700 kilomètres. Compte tenu de ces distances qui engendraient des déplacements coûteux et pénibles, de la nécessité de se loger sur place, cela n'avait d'intérêt pour Sergei Utochkin qu'à la condition de pouvoir enchainer consécutivesment plusieurs semaines de compétition. On peut facilement imaginer les difficultés qu'il pouvait rencontrer et combien il fallait aimer la bicyclette pour vivre ainsi pendant de longues années. Sergei Utochkin est d'ailleurs quasiment le seul coureur russe professionnel répertorié pour la période 1895/1909 [7]. Théoriquement la règlementation interdit alors aux amateurs de courir avec les professionnels, on peut donc imaginer qu'il y a d'autres pistards russes qui possèdent un statut de coureur professionnel dans leur pays mais seul Sergei s'expatrie régulièrement pour se mesurer aux meilleurs mondiaux et c'est pourquoi il est quasiment le seul coureur Russe à être répertorié. Utochkin ne choisit pas la facilité mais cette méthode lui permet, au contact de l'élite mondiale de progresser sur de nombreux points : entraînement, technique, tactique. On comprend mieux ainsi pourquoi pendant quinze ans, il demeura l'un des meilleurs sprinteurs de l'Empire. Durant cette période de 1895 à 1909, on ne dénombre que cinq autres coureurs Russes qui ont eu un statut professionnel et le plus souvent pour des périodes très courtes (de 1 à 3 ans).
En 1897, Diakoff Dimitri tente lui aussi l'aventure et il effectue une partie de sa saison en Europe, tout comme Boutilkine en 1900. On le retrouve ainsi à Paris mais aussi à Roubaix et à Genève où il participe au Grand Prix International [8]. En 1901, Andrew Pogoshev est lui aussi répertorié comme cycliste professionnel [9] puis de 1905 à 1909 c'est au tour d'Iwan Nedela et enfin de Nicolas Kostromitinoff en 1908 et 1909. Seul Iwan Nedela, vainqueur de nombreuses épreuves sur les pistes allemandes entre 1905 et 1909 et qui figure également dans la liste des partants du Giro 1909 s'est fait réellement connaître au niveau international.
Le talent de Sergei Utochkin fait de lui le meilleur coureur de l'Empire et sa réputation amène bien vite l'organisation de confrontations avec des coureurs étrangers. Les premiers pistards européens à l’avoir affronté sur ses terres à Odessa, à Moscou ou à Saint Petersbourg ont souvent été battus. A leur retour, ils ont vanté ses qualités et ils ont fait sa réputation auprès des directeurs de vélodromes Européens.
Le premier grand coureur à s’être rendu à Odessa pour y affronter la star locale est probablement Paul Bourrillon [10]. Champion du monde en titre, il accepta, durant l’été 1896, une tournée passant par Moscou et Odessa, en échange d'un important cachet. Les choses ne se déroulèrent pas comme il l'avait escompté notamment quand il réclama la somme d'argent promise. Dans une interview qu’il accorda bien des années plus tard au magazine « La vie au grand air », l’intéressé expose les conditions rocambolesques de cette tournée qu’il effectua en compagnie de Marius Thé [11]. A Odessa, victorieux d’Utosckin lors de l’Internationale et d’une épreuve de 5 verstes* derrière entraîneur, Paul Bourrillon est battu par celui-ci lors de l’épreuve individuelle du tour de piste. Au delà de la haute opinion qu’il a de lui même et qui lui fait trouver des circonstances défavorables pour expliquer cette défaite, il nous montre l’enthousiasme quelque peu fanatique du public et des médias tout acquis à la cause des coureurs locaux. Il se déclare ainsi victime de nombreuses vexations :
« J’étais agoni de sottises dans les journaux où, suprème injure, j’étais accusé de prendre chaque matin , à l’hôtel, un bain de Champagne.
Le résultat de cette campagne fut qu’un groupe de sportsmen se constitua offrant une prime de 100 roubles d’abord, puis de 200 et enfin de 300 au coureur qui me battrait, ce qui ne se produit pas. Les Russes se vengèrent sur ce pauvre Marius Thé qui, dans une course derrière entraîneurs, comptait sur moi pour lui mener les deux derniers tours. Au moment où j’arrivai pour prendre ma machine, je constatai que les pneus de ma machine avaient été crevés par une main charitable. Et mon pauvre camarade fut ainsi battu par le coureur qu’entraînait mon rival direct, Outochkine.
Les coureurs russes, pas plus que le docteur Troyano, n’étaient satisfaits de notre venue. La jalousie est de tous les pays. Aussi essayèrent-ils dans toutes les épreuves de m’enfermer, mais je réussis à déjouer leurs calculs. »
« Mon véritable ennemi était le Russe Outochkine, qui ne me pardonnait pas de lui infliger ses premières défaites dans un pays où il avait la réputation d’être invincible. Il avait même battu le célèbre amateur Diakoff, au moment où celui-ci était en pleine forme. L’orgueil d’Outochkine étant poussé à l’extrème, vous devinez s’il me voyait d’un bon œil. Avant mon arrivée, il s’était flatté de me battre à plates coutures, grâce à son 100 mètres très rapide et à ses finesses en course.
Après cet essai, auquel je n’avais attaché qu’une importance relative, (l’épreuve du tour de piste où il fut battu par Outochkine, ndlr) mon plus rude adversaire y était allé de sa rodomontade, déclarant qu’il se jouerait de moi. Grande fut sa déception le lendemain quand je le battis. Lui qui bégayait énormément, pouvait à peine articuler une parole. » [12].
Les propos de Paul Bourillon quand il se moque de l'infirmité de Sergei Utochkin ne grandissent pas l'homme bien au contraire, néanmoins on découvre quelques informations intéressantes dans cette longue interview. Sergei Utochkin est la vedette incontestée de la piste à Odessa et devant son public qui est prêt à beaucoup de choses pour le soutenir, il semble jouer volontiers les gros bras. Cette fierté et cette outrance dans les propos qui nous sont souvent présentés comme des traits caractéristiques du caractère du peuple Russe ne sont chez Sergei Utochkin que de l'emphase. Cela fait partie du spectacle. Utochkin est trop gentil par nature pour y mettre de l'agressivité et de la fourberie.
En décembre 1896, alors qu’il est à juste titre considéré comme le meilleur sprinteur de l’Empire Russe ou pour le moins de la partie sud de celui ci, Sergei Utochkin vient tenter sa chance à Paris. Si le climat d’Odessa est tempéré et permet la pratique du cyclisme quasiment toute l’année à Moscou, à Saint Petersbourg le froid glacial de l’’hiver russe ernd difficile les déplacements et interdit toutes compétitions en dehors des vélodromes couverts. Pour Sergei qui aime par dessus tout la compétition, la possibilité de faire une partie de la saison hivernale à Paris est une réelle opportunité.
Du 5 au 9 octobre 1896, a eu lieu en France la visite du jeune couple impérial, l'Empereur Nicolas II de Russie et l'Impératrice Alexandra Fiodorovna Romanova. Quatre mois après le sacre de Nicolas II, c’est aux Parisiens que le couple a réservé sa première visite officielle à l’étranger, et elle fut un triomphe. La venue de Sergei Utochkin à Paris intervient donc dans un contexte particulièrement favorable. Deux cyclistes russes qui ont parcouru une grande partie de l’Europe sur leur tandem sont de passage dans la capitale et la presse en profite pour réunir les coureurs et pour s’intéresser au cyclisme dans l’Empire.
Les entrainements de Sergei sont observés par la presse et on peut lire ces quelques lignes sous la plume de l' « abbé Cane » dans le journal "Gil Blas" du 4 décembre 1896 :
"Le Russe Outochkine s’est entraîné hier au Vélodrome d’Hiver. C’est un petit coureur, bien musclé, dont la silhouette n’est pas impressionnante, mais qui paraît avoir de l’énergie."
Le journal « le véloce sport » du 12 décembre nous en dit un peu plus sur ses premiers tours de piste dans la capitale.
« Est-ce une des conséquences de la visite du Tsar à Paris ? Jusqu’ici les coureurs russes, car il y en a d’excellents, comme on en a pu juger dimanche auVélodrome d’Hiver où Outotschkine, bien qu’insuffisamment préparé a fait, une bonne impression sur le public, s’étaient abstenus de venir prendre par à nos luttes. »
« Voici le signalement du coureur russe Outotschkine qui a fait ses débuts dimanche au Vélodrome d’Hiver. Vingt ans, roux, taille moyenne, poitrine développée, épaules se terminant en arêtes vives, bras longs et musclés, l’air très crâne, Outotschkine paraît intelligent ; mais il est affligé de bégayement.
A peine sorti du gymnase d’Odessa, il se met à pratiquer la bicyclette et à courir, ce qui ne l’empêche pas de faire de l’escrime, du patin et du yachting.
Sur piste, il n’a pas rencontré en Russie d’adversaires dignes de lui... »
* 1 verste = 1066 mètres
Hélas ses débuts ressemblent plus à un long chemin de croix qu’à un triomphe. Adulé et considéré comme quasiment invincible dans un pays qui à lui seul est beaucoup plus grand que le reste de l’Europe, il tombe de haut. A Paris, le niveau est très relevé et il ne peut rien faire contre les meilleurs mondiaux qui sont là pour gagner de l’argent et sont sans pitié pour les petits nouveaux comme lui. A tout juste vingt ans, sans expérience internationale réelle, il trouve face à lui pour ses premières courses les stars de la discipline. Paul Bourillon, le champion du monde, Edmond Jacquelin, Ludovic Morin, Emile Bouhours, mais également des étrangers de grand talent comme George A. Banker l’américain, vice champion du monde 1895, le Belge Robert Protin champion du monde 1895 et d’autres comme le Britannique Charles Frederik Barden, les italiens Federico Momo, Gian Fernando Tomaselli, les belges Louis Grogna et Charles Van den Born, les néerlandais Jaap Eden, Harry Meyers et l’allemand Willy Arendt. Des coureurs étrangers moins connus effectuent également une partie de leur saison à Paris durant la période 1896 / 1898. Parmi eux, on peut citer le Portugais José Pessoa, les Suisses Jean Gougoltz, Théodore Champion et Henri Henneberg. Probablement très déçu par ses performances, Utochkin repart très vite dans son pays et dans son numéro du 31 décembre « le Véloce-sport » signale son retour en Russie. Sergei Utochkin a mesuré l’écart de niveau qu’il y avait entre les épreuves russes et les compétitions organisées dans les vélodrome Parisiens. Dépité plus que découragé, il est retourné sur ses terres avec un seul objectif : s’entraîner plus fort pour progresser et revenir courir en France.
Si les résultats ne sont pas au rendez vous, force est de constater que Sergei Utochkin sait se faire apprécier des autres coureurs et des directeurs de vélodrome. Il passe pour un homme instruit, sensible au comportement agréable en société. Coureur puissant, courageux, sur sa machine mais aussi d'un tempérament noble et chevaleresque, il sera régulièrement invité en France où il reviendra courir en 1897, 1898, 1903, 1906, 1907 et 1909.
En 1903, le célèbre journaliste Robert Coquelle confirme la réputation de Sergei sur son territoire national mais il ne considère pourtant pas comme un coureur de tout premier rang :
« Parmi les autres étrangers, actuellement au travail à Paris notre photographe a saisi la curieuse physionomie du joyeux russe Outochkine, dont les exploits jusqu’ici ne dépassèrent pas la mer Noire. On sait que Outochkine est originaire d’Odessa. Outochkine a parait-il une certaine qualité. Tous les coureurs qui sont allés en Russie en sont toujours revenus en nous disant que le crack d’Odessa est réellement bon, qu’il a 500 mètres d’enlevage dans le coffre, etc. Nous qui ne l’avons connu à l’oeuvre qu’aux Arts Libéraux, au temps du fameux vélodrome d’hiver, nous ne lui avons jamais vu accomplir que des exploits tout à fait ordinaires. Attendons de le voir acclimaté parmi nous pour le classer définitivement [13]. »
La carrière de Sergei Utochkin coincide avec le profond engouement populaire que connait le cyclisme sur piste dans l'Empire Russe entre 1895 et 1907. A Odessa, à Moscou et à Saint Petersbourg, principalement, les réunions sur piste se développent et attirent une foule importante. Pour séduire un public de plus en plus nombreux, les organisateurs vont chercher à l'étranger des coureurs pour affronter Sergei Utochkin et d'autres stars locales. Les spectateurs viennent voir leurs champions et les soutenir de toutes leurs forces face à des coureurs étrangers. Le sentiment nationaliste est alors très fort dans l'Empire et chaque victoire d'un coureur russe est saluée par une ovation de la foule. Soutenu, poussé même par son public, Sergei Utochkin arrive souvent à se transcender et il est difficile à vaincre pour celui qui se laisse impressionner par l'ambiance électrique qui règne dans les vélodromes russes. A l’étranger, sans le soutien de son public, Utochkin n’a pas le même rendement et ses résultats sont moins prestigieux.
Ci-contre à gauche :
Portrait de Sergeya Isaevicha Utochkina,
Pastel de N. Kuznetsov 1902 Musée d'Odessa
http://odessaart.narod.ru/jivopis.htm
Après Paul Bourillon en 1896, de nombreux autres sprinteurs de talent vinrent en Russie se mesurer au coureur d'Odessa et à ses meilleurs compatriotes. On note ainsi la présence de l'Italien Frederico Momo et de l’Autrichien Maxime Lurione n 1897, des Allemands Willy Arendt et Paul Mundner et des Italiens Vincenzo Lanfranchi et Gianfranco Eros en 1899. En 1900, la saison à Odessa est très animée avec les passages de Mundner, Arendt, du Tchèque Emmanuel Kudela puis des italiens Gianfranco Eros et Umberto Ferrari.14 Willy Arendt et son compatriote Willy Bader reviennent encore l'année suivante en compagnie du Néerlandais Gustav Schilling affronter Utochkin sur ses terres. En 1902, Utochkin s'impose chez lui dans une internationale face à l'Italien Umberto Dei et au Français Emile Maitrot, champion du Monde amateur l'année précédente. Gianfranco Eros et à nouveau à Odessa en 1904. En 1905, Arendt et Bader effectuent en compagnie d'Edmond Jacquelin une nouvelle tournée dans l'Empire. Bader reviendra encore l'année suivante. En 1908 c'est au tour du Suisse Emil Doerflinger et des Américains Spain et Woody Hedspath, de venir se mesurer aux sprinteurs Russes. De part la proximité géographique entre les deux pays, les pistards allemands sont ceux qui ont le plus couru en Russie avant guerre. Le plateau proposé au public Russe est bien évidemment beaucoup moins dense que celui des vélodromes parisiens mais comme on peut le constater avec cette liste non exhaustive, à Moscou, à Saint Petersbourg et à Odessa, les coureurs locaux ont désormais très régulièrement en face d'eux des adversaires d'un très bon niveau.
Cette vie quelque peu bohème, faite de longs déplacements et de revenus très alléatoires n'empêche pas Sergei Utochkin de fonder un foyer. En 1898, il épouse Mademoiselle Lidviskaïa, fille d'un avocat réputé d'Odessa [15]. Ce mariage avec une représentante de la bourgeoisie locale est significatif de la position sociale qu'occupe Sergei Utochkin. Issu lui aussi d'une famille bourgeoise, il semble qu'il possède toujours quelques rentes pour compléter ses revenus et subvenir aux besoins de son ménage. Notons également que sa popularité acquise dans un sport que certains bien pensants rapprochaient du cirque dans toute sa connotation péjorative n'a pas été un frein à cette union.
Sergei Utochkin a transmis la passion de la petite reine à ses frères avec lesquels il semble être resté très liés. En effet, l'un d'entre eux fera une brève carrière de pistard à la fin des années 1890. On retrouve à ce propos une amusante anecdote racontée par le journal "La justice"du 2 novembre 1897. Un des frères de Sergei se lance lui aussi dans la compétition et pour éviter d'être confondu avec Sergei, il choisit modestement de se faire appeler Protin tout comme le coureur Belge, champion du Monde de vitesse en 1895 [16].
Loin de son pays natal, Sergei Utochkin est un bon coureur mais ce n'est pas une star. Assez régulièrement, il parvient à accrocher des adversaires que l'on peut considérer comme faisant partie des 10 meilleurs mondiaux et il arrive parfois à se hisser en demi-finale ou en finale de tournois relevés mais au delà de ces coups d'éclat, il lui manque la régularité dans l'excellence pour percer sur la scène internationale. Ne figurant pas parmi les ténors de la discipline, Sergei ne s'enrichit pas sur la piste. Il doit se contenter de peu pour vivre sa passion. Selon certaines sources, il aurait puisé dans ce qu’il lui restait de son héritage pour compléter les maigres revenus que lui apportait sa carrière sportive. Selon d’autres sources, au début du siècle, il aurait peut être avec un de ses frères, ouvert une boutique de cycles à Odessa pour complèter ses revenus.
Sergei Utochkin aime tellement la compétition et l'ambiance des vélodromes qu'il va durant quinze ans, malgré des conditions de vie difficiles et usantes, exercer ses talents sur la plupart des pistes européennes. Durant sa longue carrière, Sergei Utochkin aura finalement croisé la route de plusieurs générations de sprinteurs. Il aura ainsi affronté la plupart des champions du Monde de la discipline, de Robert Protin, 1er champion du monde de vitesse de l’histoire à Victor Dupré en 1909 en passant par Paul Bourrillon, Major Taylor, Emile Friol, Thorwald Ellegaard, Willy Arendt, Gabriel Poulain ou Edmond Jacquelin.
De sa carrière et de son palmarès nous ne connaissons finalement assez bien que la partie qui s’est déroulée en France. En dehors de la vieille Europe et des Etats Unis, il reste aujourd’hui fort peu de traces des courses de cette période. Certaines compétitions se déroulant dans l’Empire Russe nous sont relatées par la presse Française mais cela ne constitue probablement qu’une faible part des compétitions auxquelles il a prit part. En ce qui concerne la Russie, ne sont alors présentées aux lecteurs que les épreuves où sont engagés des champions Européens connus. Nous n’avons quasiment pas retrouvé de traces des courses où seuls des coureurs russes participaient, on peut donc raisonnablement envisager que Sergei a remporté beaucoup plus d’épreuves que celles que nous avons compilées dans son palmarès.
Ci-contre à gauche,
Utochkin en action
Oeuvre de Kousnitzow, Musée d'Odessa
http://odessaart.narod.ru/
1905, constitue probablement un tournant dans la vie et dans la carrière de Sergei Utochkin. Il est dans sa ville quand éclate la révolution russe, le 22 janvier 1905. [17] Le mouvement a débuté quand l’armée du Tsar Nicolas II tire sur une foule de manifestants pacifiques, venue réclamer des réformes sociales et politiques devant le palais d'hiver de Saint-Pétersbourg. Ce « dimanche rouge » fait près d’un millier de morts. La répression sanglante provoque des grèves dans tout l'Empire, de janvier à octobre 1905. Des mutineries éclatent, dont celle de l'équipage du cuirassé Potemkine à Odessa au mois de juin..Cette rebellion donna lieu en 1925 à un film très célèbre de Sergueï Eisenstein : « le Cuirassé Potemkine. » Le mouvement se radicalise encore durant l'été, lorsque se confirme la défaite de la Russie dans la guerre contre le Japon. En octobre, une grève générale paralyse le pays. A Odessa la situation est très tendue, des manifestants saccagent et pillent de nombreux magasins et ils s’en prennent plus particuièrement à la communauté juive de la ville. C’est un véritable pogrom qui se déroule dans la ville du 18 au 22 octobre et le bilan est très lourd. On relève entre 300 et 400 morts et plusieurs milliers de blessés parmi les juifs habitants la ville. Environ 1600 maisons et commerces appartenants à des membres de la communauté juives ont également été endommagés. Aucune autre ville de l’Empire ne connaît des pogroms aussi violents et meurtier qu’Odessa [18].
Dans ce contexte de quasi guerre civile, Sergei Utochkin est du coté des faibles. En voulant défendre un commerçant juif que des émeutiers voulaient assassiner, il est grièvement blessé d’un coup de couteau en pleine poitrine.
Utochkin sur son lit d’hôpital - http://rys-strategia.ru/publ/
Cet évènement intervient une semaine à peine avant l’arrivée prévue de Sergei Utochkin à Paris pour y effectuer la saison d’hiver. La nouvelle est largement relayée par la presse française qui suit très attentivement les évènements révolutionnaires qui secouent l’Empire Russe. On retrouve également un article évoquant l’agression d’Utochkinet dans « The Bicycling world and motorcycle review », revue américaine publiée à New-York... [19].
Fort heureusement, la blessure de Sergei n’est pas aussi grave qu’annoncée. Le gaillard est solide, jeune et sain et il se rétablit rapidement. Dès la mi novembre, Sergei confirme par lettre au Directeur du Vélodrome d’Hiver sa volonté de venir courir la fin de la saison d’hiver en France. Son arrivée, reportée de trois mois, est prévue pour le début du mois de février 1906.
En apparence, il y a eu selon l’expression consacrée « plus de peur que de mal ». Pourtant les choses sont loin d’être aussi simple pour lui. Cette blessure n’est pas uniquement physique, elle n’est pas liée à une chute ou à un quelquonque accident. Une nouvelle fois, Sergei a vu la mort de près du fait de la folie des hommes. Pour cet homme sensible et tourmenté, c’est un profond traumatisme qui fait écho aux douloureux souvenirs de son enfance. Il est blessé dans sa chair mais aussi dans son coeur. A Odessa, la ville qu’il aime tant et où tous le monde le connaît, des habitants s’en sont pris sauvagement à d’autres sous le seul prétexte qu’ils étaient juifs. Pour Sergei, c’est un drame. Toutes ces personnes qui se sont combattus et entretués, étaient peut être, il y a peu, toutes ensemble, spectatrices de ses exploits au vélodrome. Il ne se sent plus à sa place dans ce monde de haine et de conflit. La compétition sur piste demeure un exutoir mais elle ne lui suffit plus pour s’exprimer, il rêve d’un ailleurs, d’une autre vie.
III) Le regard tourné vers d'autres horizons
Dès que son état de santé le permet, Sergei remonte sur sa machine et il reprend l’entraînement. Il n’a pas encore trente ans et il se sait capable de faire encore de belles performances. Dès qu’il est rétabli, il revient à Paris. Comme Joséphine Baker, Sergei aurait pu fredonner la célèbre chanson de Géo Koger et Henri Varna :
«J'ai deux amours
Mon pays et Paris
Par eux toujours
Mon cœur est ravi »
Ayant repris l’entrainement depuis plusieurs semaines Sergei est déjà en forme à son arrivée à Paris. Après quelques jours de préparation sur l’anneau parisien, il signe une fort belle performance en atteignant la finale du Prix Thibaudin au vélodrome d’hiver, le 25 février. 1906. Il est battu et termine seulement 4ème mais le podium est digne d’un championnat du monde : 1er Emile Friol, 2ème Charles Van Den Born, 3ème Thorvald Ellegaard.
Avec cette magnifique performance, Sergei Utochkin semble reprendre le cours de sa carrière comme si rien ne s’était passé. Pourtant il a désormais le regard tourné vers d’autres horizons. A la recherche de sensations fortes qui lui permettent, ne serait ce que quelques minutes, de fuir ce monde, il s’intéresse de plus en plus aux nouveaux moyens de locomotion qui se développent. Il a découvert sur les pistes parisiennes, dès 1897-1898, le premier tandem à moteur électrique de Clerc et Pingault. Au début du XXème siècle, les motocycles à pétrole comme ont les appelaient alors, ont peu à peu remplacé l’entraînement humain lors des épreuves de demi-fond. Sergei a été séduit par ces nouveaux engins et il aurait piloté à de nombreuses reprises une moto à Odessa. L’histoire ne nous dit pas si Sergei a fait l’acquisition d’une machine ou s’il s’agit d’une moto qui lui a été prêtée. L’automobile est peut être son premier véritable coup de cœur depuis sa découverte de la bicyclette. Au volant d’une voiture, il s’amuse comme un fou et il cherche sans cesse à dépasser ses limites. Un jour, il réalise une performance complètement folle, en descendant au volant d’une auto, le célèbre escalier Richelieu. Doté de 192 marches et de 9 paliers intermédiaires, l’escalier Richelieu que l’on nomme depuis 1955 escalier Potemkine est probablement le lieu le plus célèbre d’Odessa et l’exploit audacieux de Sergei Utochkin ajoute encore à sa popularité. Selon certaines sources, Sergei n’en est pas à son coup d’essai. Il aurait déjà réalisé cette performance au guidon d’un vélo et aussi d’une moto... [20]. Sur ce point il convient toutefois d’être prudent car la popularité de Sergei Utochkin atteignit après sa disparition un tel niveau que son existence a depuis été entourée de légendes et d'anecdotes.
La sensation de bien être et de plénitude qu’il a éprouvé avec la vitesse ne dure qu’un temps et assez vite il ne s’en satisfait plus. Il regarde le ciel. Il se dit que le monde vu d’en haut est sûrement autre, que se doit être un plaisir immense d’imiter les oiseaux et de pouvoir voler. Sergei est à Paris, où l’on se passionne de plus en plus pour la conquête de l’air quand le 18 mars 1906 à Montesson dans le département des Yvelines, un jeune ingénieur Traian Vuia réussit à voler avec un appareil plus lourd que l'air autopropulsé sur une distance d'environ 12 mètres à une altitude d'un mètre. Bien que s’étant terminé par un accident, ce vol a un retentissement considérable dans la presse Française. Quelques mois plus tard, le 23 octobre 1906, c’est au tour du Brésilien Alberto Santos-Dumont, dans le parc de Bagatelle de réussir à décoller sur soixante mètres à une altitude de deux à trois mètres. Quelques semaines plus tard, Sergei est à nouveau à Paris au vélodrome d’hiver et il a forcément connaissance de ce nouvel exploit mais cela ne fait pas écho en lui . L’aviation n’est alors qu’à ses tous premiers balbutiements, il n’imagine pas en cet instant y avoir une place. A son retour à Odessa dans le courant du mois de mars, il n’a plus qu’une idée en tête : voler. Il fait l’acquisition d’un ballon et après plusieurs tentatives infructueuses, le 2 octobre 1907, il réussit son premier vol au dessus de la ville. Selon certaines sources, il aurait alors atteint l’altitude de 1200 mètres.
Désormais il partage son temps entre la piste et les vols en ballon. Au cours de l’année 1908, il réalise de nombreuses démonstrations à Odessa et un peu partout dans le pays. Avec quelques amis il aurait même effectué plusieurs vols en Egypte. [21]
Quelques semaines après avoir mis un terme à sa carrière cycliste, le 26 septembre 1909, Sergei Utochkin réalise un nouveau vol avec son ballon au-dessus d'Odessa. Il emmène avec lui deux journalistes et son ami Alexandre Ivanovič Kuprin. Fil d’une princesse tartare, né le 7 septembre (26 août) 1870 à Narovtchat Kuprin est un écrivain russe et aventurier qui est notamment connu pour son roman Le Duel publié en 1905. Considéré comme le Kipling Russe par l’écrivain Wladimir Nabokov, Kuprin trouve l’inspiration dans l’observation du monde qui l’entoure ses personnages sont le plus souvent vulnérables, déracinés et même pathétiques. Il a rencontré Sergei en 1904 à Odessa à la grande fontaine, quartier situé en bord de mer, à l’époque où il était journaliste. Après la disparition de Sergei il évoquait ainsi son ami :
« Je l'ai rencontré à la grande fontaine en été 1904 et depuis lors, n'a jamais été en mesure d'imaginer Utochkin sans Odessa et Odessa sans Utochkin » [22]
Au début de sa carrière en 1896, Sergei Utochkin a peut être croisé sur les pistes parisiennes, les frères Henri et Maurice Farman qui formaient alors une équipe redoutable en tandem. Après s’être lancé avec succès dans la course automobile, Henri Farman se consacre désormais à l’aviation et le 26 octobre 1907 il établit le record de vitesse aérien à Issy-les-Moulineaux, sur un Voisin-Farman. Le 30 octobre 1908 à bord d'un aéroplane Voisin il effectue la liaison Bouy-Reims : 27 km en 20 minutes avec un passager à bord. A partir de 1908, les progrès de l’aviation sont très rapides et d’autres cyclistes songent à suivre l’exemple des Farman. Un des premiers à franchir le pas est Charles Van den Born que Sergei a affronté à de nombreuses reprises et qu’il côtoie sur la piste depuis plus de dix ans. De deux ans son ainé, le coureur Belge raccroche lui aussi en 1909 et dès le mois d’août avec l’appui d’Henri Farman il apprend à piloter. [23] - Dans le petit monde de la piste, les exploits des anciens et les projets des coureurs en activité sont connus et de tous et Sergei en vieil habitué ne peux pas ne pas avoir eu connaissance de ces informations. Les liens entre l’aviation les coureurs cyclistes sont plus étroits que pour n’importe quel autre sport. En 1900, comme chaque année la commission sportive de l’UVF a établi une classification des coureurs. 7 coureurs sont considérés hors catégorie (Bourrillon, Jacquelin, Major Taylor, Grogna, Meyers, Tommaselli et Bald) et 39 coureurs sont classés en 1ère catégorie. Parmi eux, il y a, Sergei Outochkine, Léonce Erhmann, Charles Van den Bron et Edouard Nieuport qui tous quatre allaient devenir des pilotes reconnus. 9 % des pistards de haut niveau répertoriés en 1900 figurent donc, dix ans plus tard, parmi les pionniers de l’aviation. [24]
http://odessa-memory.info/index.php?id=151
C’est probablement d’une oreille attentive qu’il écoute toutes les informations qui circulent autour de lui d’autant que les vols en ballon ont été pour lui une véritable révélation. En l’air, il se trouve mieux que nulle part ailleurs. « Je veux voler, défier la nature » écrit-il alors.
Un des premiers clubs d’aviation voit le jour à Odessa le 21 mars 1908. [25] - En 1909, les premiers vols de démonstrations réalisées par des pilotes étrangers ont lieu en Russie suscitant un grand intérêt au sein de la société Russe. Le pilote français Albert Guyot, qui fut l’un des premiers à voler sur un appareil Blériot, effectue plusieurs démonstrations à Saint Petersbourg les 14 et 16 novembre puis à Moscou le 21 novembre. Guyot souhaite effectuer d’autres vols mais des températures comprises entre moins 15 et moins 20 degrés, l’oblige à rentrer en France. Il prévoit cependant d’effectuer une nouvelle tournée à Bakou et sur les rives de la Volga avec cette fois ci trois appareils à sa disposition. [26] - Hélène Dutrieu, elle aussi ancienne championne cycliste, devenue elle aussi pilote, est présente à Odessa en mai 1910 pour effectuer des exhibitions devant 10 000 spectateurs. Dans un article publié dans le journal « Gil Blas » du 25 mai elle confirme la passion de la population d’Odessa pour l’aviation et parle du Président de l’aéro club de la ville qui dès cette période est possesseur de deux appareils : « un monoplan Blériot et un biplan genre Wright ». [27] -Des vocations naissent parmi les jeunes issus de la bourgeoisie en quête d’aventures et de gloires... Quelques uns partent à l’étranger, essentiellement en France afin d’apprendre à piloter. Parmi eux on retrouve Mikhail Yefimov, un modeste employé des télégraphes d’Odessa, membre du club d’aviation de la ville dont le voyage aurait été financé par un homme d’affaires et banquier d’Odessa passionné d’aviation nommé S. Ksidias. Par son passé et par les connaissances qu’il possédait parmi les pionniers de l’aviation, Sergei Utochkin aurait pu sans difficulté venir se former en France. Pourtant il choisit une autre voie. Il pense avoir accumulé suffisamment d’informations sur le fonctionnement des appareils et le pilotage pour être capable d’y arriver seul. Avant de repartir en Russie durant l’été 1909, au moment où s’achevait sa carrière de coureur, il a probablement prit le temps d’observer et peut être même de rencontrer Farman et consorts sur les différends terrains d’entraînement situés en région Parisienne. Un article paru dans le journal « Dunkerque Sports » en date du 20 février 1910 qui reprend une information du Journal de Saint Petersbourg affirme qu’Utochkin a construit son propre avion en s’inspirant des créations de Louis Blériot et d’Hubert Latham. Pour la motorisation de son engin, il fait confiance à Alessandro Anzani [28] - dont la fiabilité des moteurs de motos et d’avions est reconnue de tous. Anzani est lui aussi un ancien pistard que Sergei a très probablement rencontré au cours de sa carrière. Les quelques données techniques fournies par cet article nous indique que Sergei a déjà beaucoup travaillé pour la réalisation de son appareil en s’inspirant du travail de concepteurs comme Blériot et Latham.
Au printemps l’avion de Sergei n’est pas opérationnel. Il semblerait qu’en fait ce soit plutôt d’un appareil type Blériot qu’UItochkin se soit inspiré. Sa création étant sensiblement plus lourde que son modèle, le moteur Anziani se révéla finalement insuffisant pour permettre à l’appareil de décoller. C’est finalement sur un Farman IV qu’il va effectuer son premier vol, le 13 avril 1910. Utochkin est le deuxième pilote russe a avoir obtenu son brevet alors qu’il espérait bien être le premier. Il a été devancé par Mikhail Yefimov, de cinq ans son cadet, qui a appris à voler en France à l'école d’Henri Farman et qui détient le 31ème brevet délivré au monde, le 15 février 1910. Sergei Utochkin voulait être le premier russe à voler et pour ne pas être encore devancé sur le fil, par d’autres pilote. Il ne peut plus attendre car il sait probablement qu’un autre russe, Wladimir Lebedeff est en France et qu’il sera lui aussi bientôt officiellement diplômé (brevet n° 98 obtenu le 6 juin 1910, le même jour qu’Edouard Nieuport). Il décide sans attendre que son appareil soit prêt, de tenter l’aventure. Le Farman 4 n’appartient pas à Sergei Utochkin mais au banquier d’Odessa, S. Ksidias. Passionné d’aviation, celui ci après avoir financé l’apprentissage d’Efimov a acheté un appareil avec l’idée d’organiser de lucratives exhibitions dans tout l’Empire. Il a convenu avec Yefimov que celui ci, piloterait l’appareil le temps nécessaire pour rembourser le coût de sa formation.
Efimov est un excellent pilote. Après des études à Smolensk, il s’installe à Odessa où il exerce le métier d’électrotechnicien et sa passion pour la conquête aérienne l’amène à rencontre celui qui financera sa formation en France. Le 31 janvier 1910, à Châlons il réalise sur son biplan Farman, un vol avec passager de 98,11 miles en 1 heure 48 minutes et 50 secondes. Charles Van den Born partit lui aussi avec un passager ne parcourt que 93,77 miles dans le même temps. Lors du meeting de Nice en avril 1910, il se distingue face à quelques uns des meilleurs pilotes internationaux et remporte plusieurs épreuves : Prix de la totalisation des distances (130,716 km), Prix du lancement sans passagers (80 m), Prix du lancement avec passagers (100 m) et Prix du tour de piste (source : www.air-journal.fr/). Il est également à partir de 1910 un des premiers instructeurs de l’école Impériale
Russe d’aviation à Sébastopol. Efimov disparaitra tragiquement en 1920, tué près d’Odessa, par l’armée des « Russes Blancs » qui mène alors une lutte désespérée contre les Bolchéviks. Sa tombe n’a jamais été retrouvé.
Environ une semaine après le premier vol d’Efimov, Utochkin, avec l’accord de Ksidias, s’élance seul sans avoir jamais prit aucune leçon de pilotage au préalable ce qui ajoute encore à sa légende et montre également la confiance que Ksidias lui portait. Sans vouloir minorer sa performance, il convient de préciser que, selon certaines sources qu’il nous a été impossible de vérifier, Sergei aurait, en 1908, effectué plusieurs vols en planeur ce qui lui a probablement beaucoup servi une fois en l’air. Cette expérience, si elle a bien eu lieu, permet de mieux comprendre la volonté d’Utochkin de se débrouiller seul. [29] - Si l’atterrissage est loin d’être parfait, Sergei réussi un véritable exploit qui va changer définitivement le cours de sa vie. Comme une drogue dure, ce premier vol a imprimé dans son sang des sensations enivrantes dont il ne pourra plus désormais se passer. Voler encore et encore. Utochkin est accroc. Dès qu’il réussit à réunir l’argent nécessaire, il achète un appareil avec lequel il entame, une tournée d’exhibition dans les principales villes de l'Empire russe.
Au printemps, Sergey Utochkin a commencé sa grande tournée de démonstration dans les villes du pays. Kiev est la première ville à son programme. Le 21 avril 1910, au champ de course de la ville, une foule immense - près de cinquante mille personnes assiste à ce spectacle unique pour l’époque, le vol d’un plus lourd que l'air. Après le premier vol, de nombreuses personnes demandèrent à Sergei de voler avec lui. Le Farman IV ne pouvant acceuillir qu’un second passager en plus du pilote, Sergei ne parvint pas à satisfaire tous les amateurs. [30]
De mai 1910, à la fin de l’année 1912, Sergei Utochkin effectue environ 150 vols vers 70 villes en Russie et à l'étranger. On le retrouve ainsi à Moscou, Kiev, Varsovie, Lodz, Rostov-on-Don, Chisinau (Moldavie), Tbilissi, Jitomir, Kharkov et Nizhni Novgorod.
Cette passion viscérale fait de lui un autre homme, « il est né pour voler » diront même de lui ceux qui assistent à ses exhibitions. Il a une vision poétique et insouciante de cette activité pourtant à haut risque. Un jour évoquant sa vie, il déclare « parce que le sort m’a frappé sur le dos avec un marteau, je cultive des ailes sur mes épaules... ».
Durant cette période faste, il accumule les premières et les performances sportives. Il est ainsi le premier aviateur russe à voler au dessus de Moscou. En Avril 1910 à Kiev, il reçoit la médaille d'argent de la Société de l'aéronautique Kiev « Pour la popularisation de l'aéronautique en Russie ». Il réussit également le 17 juillet 1910 à effectuer pour la première fois, la traversée du golfe d’Odessa soit environ 22 kilomètres qu’il parcourt en 18 minutes. [31] - Les vols d’Utochkin suscitent de nombreuses vocations. Parmi les spectateurs de ses meetings, on retrouve quelques uns de ceux qui feront le succès de l’industrie aéronautique russe de XXème : Nikolai Polikarpov, Pavel Sukhoi, Alexandre Mikulin, par exemple.
En septembre 1910, se déroule à Moscou la première fête nationale d’aviation à l’initiative de l’Aéroclub Impérial. Outre de jeunes officiers de l’armée Russe, on y retrouve des pilotes qualifiés de professionnels comme Efimoff et Utochkin.. Tous ont en commun un indomptable courage qui impressionne fortement la foule.
« Si violentes que soient les bourrasques, ils ne songent qu’à les attaquer de front, à se mesurer avec la colère du ciel. Il faut littéralement les retenir de force. Ils sont capables de toutes les audaces, et leur héroïsme n’est pas tarifé. Ils se moquent de la recette et même des prix…. Aucun des aviateurs de la fête nationale, même parmi les professionnels de l’aéroplane, n’est à proprement parler un commerçant. Pas une trace de calcul : rien que de l’intrépidité, réfractaire aux chiffres. Personne n’est obsédé par la préoccupation de monnayer les risques encourus…
Un autre exemple de l’audace russe est offert par Outochkine. A Odessa, avec quelques têtes folles, il a lancé son automobile à toute vitesse sur l’immense escalier qui mène vers les quais. Ce devait être une catastrophe inévitable. Mais Outochkine est resté sain et sauf. Et il continue, dans l’air, à jouer avec la mort... ». [32]
Le « Journal des débats politiques et littéraires », du 7 octobre 1910, évoque également le prestige et le succès des aviateurs. « Et la foule se presse au champ d’aviation, où l’on admire les exploits d’Efimof, d’Outotchkine, de Drevnitsky, du lieutenant colonel Oulianine, des capitaines Matziovitch et Roudneffe, du lieutenant Podgoursky. Ces noms sont aujourd’hui devenus très populaires et c’est à qui, parmi les dames, se fera inscrire pour entrer dans la nacelle... » Le Tzar a très vite compris l’intérêt de l’aviation qu’il considère comme une « nouvelle branche de l’art militaire » et le « Comité de la flotte aérienne » décide à l’issue du meeting, l’achat immédiat de vingt aéroplanes. Le Comité insiste auprès du ministre de la guerre pour obtenir trente officiers afin d’en faire des aviateurs éprouvés. [33] - Parmi tous les pilotes présents, Sergei est probablement celui qui impressionne le plus. Le célèbre Professeur Nikolay Egorovich Joukovski, que Lénine surnomma le père de l’aviation Russe a noté que Sergei possédait des compétences innées pour l’aviation.
Voler n’est pas à l’époque une mince affaire, les appareils sont fragiles, rudimentaires et les accidents sont nombreux. Sergei comme les autres pilotes de l’époque, risque sa vie à chaque vol mais c’est probablement la période la plus heureuse de sa vie. En octobre 1910, lors de la semaine de l’aviation qui se déroule à Bakou à partir du 20 octobre, Sergei Utockin échappe par miracle à un accident grave. Alors que le premier jour du meeting, les conditions météorologiques avaient été très favorables, à partir du deuxième jour un vent violent balaye la région, rendant les vols difficiles sans pour autant décourager les pilotes. Alors qu’il effectue une nouvelle sortie, son appareil part soudainement en chute libre. Dans un dernier coup de rein, Utochkin réussit à redresser son appareil. Ovationné par la foule de près de 20000 personnes qui scandent son nom et qui lui jettent des fleurs, Sergei a vu la mort de près mais comme tous ses camarades, cela n’arrête pas ses ardeurs. [34]
En mars 1911 Sergei est de nouveau en Egypte à Misr al-gidīdah, l’Héliopolis moderne. Cette ville avait été créée de toutes pièces à partir de 1905 par « the Cairo Electric Railways and Heliopolis Oases Company » du baron Empain, le grand industriel belge. Pour créer cette ville nouvelle, la compagnie a acheté à bas prix un immense morceau de désert situé à dix kilomètres au nord-est du Caire dans son extension de l’époque. Une ligne de chemin de fer électrique ainsi que deux lignes de tramway sont construites pour relier la cité à la capitale. Des plantations et divers monuments dont un hippodrome et un aérodrome sont réalisés pour embellir ce qui est conçue comme une station climatique de luxe. Durant quatre jours, sous l’oeil attentif de nombreuses personnalités, Sergei Utochkin va multiplier les vols malgré des conditions climatiques souvent difficiles. [35]
En à peine un an, Sergei Utochkin s’est fait un nom parmi les pionniers de l’aviation. C’est un pilote connu et apprécié pour son audace et pour sa volonté de faire partager sa passion au public.
La célébrité de Sergei Utochkin est telle qu'il a l'honneur d'être le "héros" du tout premier film jamais réalisé en Estonie. Intitulé " Les vols de Sergueï Outotchkine au-dessus de Tartu " (Utotskini lendamised Tartu kohal), ce documentaire réalisé en 1912 par Pääsuke présente les prouesses de l’aviateur russe arrivé d’Odessa peu de temps auparavant. Aucune copie de ce film n’a hélas été conservée. [36]
A la fin de l'été 1910, les ateliers Dux de Moscou qui produisent également des bicyclettes et montent sous licence des appareils Blériot font appel à Sergei comme pilote d'essai. Dans le même temps, il poursuit ses activités de constructeur et à l'automne il a terminé la construction de son propre biplan, inspiré d’un « Farman ». L’appareil est capable de voler c’est donc un véritable succès pour lui.
Quand la course d’aviation Saint Petersbourg – Moscou est annoncée, il est bien évidemment l’un des premiers à s’inscrire et sur son appareil, un Blériot, il fait figure de favori. «Je vais à Moscou pour boire du thé !" déclare-t-il avec son insouciance habituelle un peu avant le départ.
C’est au total 8 aviateurs sur les 12 inscrits, qui s’élancent pour cette folle épopée à l’aube du 23 juillet 1911. Aux cotés de Sergei on retrouve d’autres pilotes talentueux. Il y a tout d’abord le Polonais aux lointaines origines Italiennes, Michal Scipio Del Campo, qui après une brillante carrière de pilote d’essai devint ingénieur en thermodynamique spécialisé dans la construction des hauts fourneaux. Polyglotte, parlant 12 langues, ayant obtenu son brevet à Paris (n° 211), il utilise pour cette course un Farman VII. On trouve également Georgy Viktorovich Yankovski (ou Jankowsky, Janowski) un Polonais qui intégra l’aviation russe du Tsar et qui devint par la suite pilote d’essai pour Sikorski. Sont également au départ Alexander Vassiliev ou De Wassilieff, brevet de pilote n° 225 qui remportera l’épreuve, Boris Maslennikov,(ou Naslennikoff) brevet n° 325 qui fonda la première école de pilotage russe à Moscou, Von Lerche (ou Lerche, brevet de pilote russe n°25), et Nicholas Kostine, un ancien chauffeur de Petrograd, brevet n° 223, qui se rendit célèbre grâce à ses loopings et aux nombreuses acrobaties qu’il fut l’un des premiers à exécuter. [37]
Non cité dans la presse de l’époque, parmi les concurrents au départ, Wladimir Sluzarenko accompagné d’un passager nommé Shimanskiy (ou Shimanski, Shenansky) participe également à l’épreuve.
Des conditions climatiques inappropriées et une organisation quelque peu défaillante aboutirent à une véritable catastrophe. Le journal « Gil Blas » daté du 26 juillet évoque à ce propos le mécontentement des participants à l’épreuve :
« Tous les aviateurs déclarent que l’épreuve présente une grande difficulté, tant à cause du vent et du brouillard que du manque de signaux suffisants et de l’absence de dépôts d’essence. »
Selon certaines sources et cela est bien dans son caractère, Utochkin aurait aidé un de ses adversaires qui après un accident avait besoin de matériel. Sans hésiter, il aurait remonté le moral à son camarade et il lui aurait donné ce qu’il pouvait lui offrir afin qu’il puisse repartir.
Victime d’un premier accident sans gravité survenu un peu avant la ville de Novgorod, Sergei Utochkin redécolle le lendemain après avoir effectué les réparations nécessaires. Mais hélas la météo n’est pas favorable et bientôt une forte rafale de vent envoie son « Blériot » au sol. Peu après Novgorod, l’hélice de son appareil aurait été endommagée l’obligeant à se poser en catastrophe. L'avion a percuté une rive escarpée de la rivière. Peu avant le choc, Sergei réussi à sauter hors du cockpit mais il est alors touché par l'aile et il est tombé inconscient dans l'eau. Sergei doit sa survie à des paysans qui réussirent à le repêcher avant qu’il ne se noie. Cette fois ci l’accident est sérieux et Sergei est emmené à l’hôpital le plus proches. Les médecins qu'il l'examine constatent de nombreuses blessures graves : fracture de la jambe, du bras, de la clavicule ainsi que des plaies graves à la poitrine et à la tête. [39] - Lui qui aimait, selon son expression « ne manger que de l’air et de l’essence » se retrouve alité pour de nombreux mois.
Pour Sergei rien ne va plus désormais. Son épouse le quitte peu après l’accident pour vivre avec Arthuro Anatra. Banquier d'Odessa d'origine italienne, Arturo Antonio Anatra est un passionné d’aviation. On peut d’ailleurs se demander si le banquier nommé Ksidias qui a soutenu Efimov et prêté un appareil à Sergei pour son premier vol et lui ne sont pas une seule et même personne. En 1913 Arthuro Anatra crée à Odessa, la société Anatra qui commence par construire sous licence des appareils d'origine étrangère. La première commande porte sur cinq Farman IV puis ce sont d’autres Farman, des Morane, des Nieuport et des Voisin qui sont fabriqués sous licence. Par la suite l’entreprise fabrique ses propres appareils. [40]
Victime de maux de tête sévères, et d'insomnie chronique Sergei ne va pas bien. Pour soulager ses douleurs il utilise sans respecter une posologie adaptée des médicaments analgésiques contenant de la morphine. Il semble qu’il consomme également de la cocaïne et du haschich, produits qu’il avait découvert en 1908 en Egypte quand il effectuait des démonstrations de vol en ballon. Il se remet donc très difficilement de son accident. Son utilisation abusive de drogues n’aide pas à son rétablissement. Malgré le soutien de quelques amis fidèles qui subviennent à ses besoins et qui règlent ses soins et on hospitalisation, son comportement lui vaut peu à peu la triste réputation de fou. Sergei Utochkin développe une manie de la persécution, et partout il voit des ennemis cachés. Il s’échappe à plusieurs reprises de l’hôpital où l’on tente de le soigner. Pour ceux qui le rencontrent alors, il apparaît complètement méconnaissable, les cheveux grisonnants, agité et tenant souvent des propos délirants. Il est loin l’homme élégant, sportif, insouciant et intrépide qui aimait à parler de manière poétique de ses vols. Finalement sa santé s’améliore lentement est au début de 1914 et il semble avoir retrouvé une grande partie de ses moyens. Sans ressource, il tente alors de trouver du travail mais son comportement lors des années précédentes ne plaide pas en sa faveur. Il espère pouvoir voler de nouveau mais ni l’armée, ni les constructeurs comme Dux à Moscou ou Anatra à Odessa n’ose lui confier un appareil.
Plusieurs versions existent sur la fin de sa vie marquée hélas par la résurgence de troubles mentaux.
Si l’on en croit la version officielle, durant la première guerre mondiale, Sergei Utochkin aurait finalement été promu sous officier et il aurait fait partie d’un corps d’armée basé à Ligovodans la banlieue de Petrograd, (Saint Petersbourg de 1914 à 1924). A l’automne 1915, il aurait, lors d’un vol, dont il était passager, pris froid et contracté une pneumonie qui provoqua sa mort le 13 janvier 1916. L’honneur est sauf, Utochkin n’est certes pas mort au combat mais il servait son pays au moment de sa disparition. Ainsi il est un exemple à montrer au peuple Russe.
Selon une autre explication, très proche de la précédente, après une longue période de convalescence et d’errance, Sergei aurait à la fin de l’année 1915 obtenu un poste d’instructeur à l’école d’aviation de Petrograd. Environ une semaine après sa prise de fonction il aurait lors d’un vol pris froid avant d’être emporté par une pneumonie quelques jours plus tard.
Selon une dernière version, Sergei Utochkin aurait eu beaucoup de mal à reprendre une vie normale après son accident. N’ayant pas suivi la voie classique pour devenir pilote, ne faisant pas partie de l’armée et malgré ses exploits il demeurait peu crédible en matière de techniques aéronautiques. Persuadé qu’il pouvait être utile à son pays en apportant ses connaissances et ses idées en matière d’aviation, Sergei aurait tenté de prendre contact avec Alexandre Mikhaïlovitch le grand Duc de Russie, fondateur de l’armée de l’air impériale Russe. N’ayant pas obtenu de réponse du Grand Duc, Sergei se serait rendu au Palais d’Hiver afin d’y obtenir une audience auprès du Tsar. Expulsé par les gardes, il vécu la fin de sa vie dans un grand état de pauvreté malgré le soutien de quelques amis.
Il ne reste plus rien de la fortune familiale et sans argent, sans travail, Sergei vit dans la rue à Saint Pétersbourg. Durant l’hiver 1915 qui est particulièrement glacial et neigeux, il attrape un rhume qui se transforme en pneumonie. Envoyé à l’hôpital psychiatrique où il déjà séjourné à cause de ses troubles mentaux, Sergei Utochkin est mort en pleine guerre, dans l’indifférence générale, des suites d’une hémorragie cérébrale.
Sergei Utochkin a été enterré au cimetière de Saint Nicolas, qui est situé sur la célèbre perspective Alexandre Nevsky à Saint Petersbourg.
Longtemps oublié, Sergei Utochkin est aujourd’hui considéré en Russie comme un athlète aux multiples talents et surtout comme un pionnier de l'aviation. Avec le temps et dans une période où les nationalismes s’exacerbent, il est devenu un véritable héros national. A Odessa, une statue évoque son souvenir et un cinéma, qui aurait à l’époque été ouvert par son frère, porte toujours le nom d’Utochkin. En 1962, en pleine guerre froide, les dirigeants de l’URSS ont même favorisé la réalisation d’un film pour glorifier le modèle de l’homme Russe au service de la gloire de son pays, qu’était devenu Sergei Utochkin. [41] - Plusieurs livres ont été édités à partir des années 80 pour honorer sa mémoire. Entre la vérité historique et l’hagiographie il n’y a souvent qu’un pas et, ne connaissant pas le russe, il nous est difficile de dire ici sur quel mode, la vie d’Utochkin y est retracée.
Sur internet, sa vie de cycliste professionnel, qui pourtant n’est pas négligeable, est en général passée sous silence ou expédiée en quelques lignes dans une profonde approximation. Quatorze ans d’une carrière qui l’a vu se frotter à tous les grands champions de l’époque mérite il nous semble un peu plus de considération. On ne s’intéresse plus qu’à ses exploits aéronautiques qui firent rêver tant de jeunes russes de l’époque. Il nous est difficile d'imaginer et de comprendre l'excitation et l'enthousiasme ressentis au début du XXème siècle par ceux qui sont allés dans les airs la toute première fois mais aussi par ceux qui ont assisté aux premiers vols d’un avion. Les conquérants du ciel étaient alors de nouveaux héros qui réalisaient le rêve millénaire des êtres humains : voler.
Avec son mal de vivre et sa sensibilité à fleur de peau, Sergei Utochkin, éternel rêveur romantique, avait tout pour s’attirer la sympathie de ses contemporains. Sorte de Don Quichotte de l’aviation, autodidacte, généreux, indépendant et parfois un peu bravache, il n’est jamais rentré dans aucun moule et c’est peut être aussi cela qui l’a rendu attachant. En 1910, Sergei Utochkin a, selon son ami Kurpin relaté pour un magasine russe spécialisé dans l’aviation et l’automobile, ses premières expériences en tant que pilote. Il y fait preuve, toujours selon son ami Kuprin, d’un véritable talent d’écrivain exprimant avec force sa sensibilité et sa poésie. On peut regretter que la vie ne lui ait pas laissé le temps de nous raconter plus en détail, sa vision du monde et ses impressions vues du ciel.
Affiche réalisée en 2016, pour la commémoration du 140ème anniversaire de la naissance de Sergei Utochkin, http://www.ivak.spb.ru/
Au premier rang le dernier personnage sur la droite, comme d’habitude le regard ailleurs
http://rys-strategia.ru/
NOTES
1) http://funeral-spb.narod.ru/necropols/nikolskoe/tombs/utochkin/utochkin.html
2) https://msk.kprf.ru/
3) https://msk.kprf.ru/ et http://kot-or-osl.livejournal.com/
4) http://kot-or-osl.livejournal.com/269061.html
5) http://odessareview.com/odessa-football-tsarist/
6) http://www.cycling4fans.de/ évoque le titre de champion de Russie amateur. Le journal "Le Véloce-sport : organe de la vélocipédie française » du 25 octobre 1894 parle de la victoire d’Utochkin lors du championnat du sud de la Russie.
« Le Véloce Sport », 25 octobre 1894
7) Cf liste des coureurs professionnels sur www.memoire-du-cyclisme.eu et www.siteducyclisme.eu
8) "Lyon Sport" 25 août 1900, "L'avenir de Roubaix-Tourcoing", 28 juin 1900
9) Le site www.memoire-du-cyclisme.eu identifie un coureur du nom de Pogojeff professionnel en 1902 alors que le site www.siteducyclisme.eu évoque Andrew Pogoshev pro en 1901. On peut penser qu’il s’agit d’un seul coureur.
10) www.lepetitbraquet.fr coup de chapeau à Paul Bourillon
11) www.lepetitbraquet.fr coup de chapeau à Marius Thé
12) "La Vie au Grand Air", 1er février 1913 interview de Bourrillon Paul sur sa campagne de Russie en compagnie de Marius Thé en 1896
13) "La Vie au Grand Air", 4 avril 1903
14) Le Figaro, 19 juillet 1900
15) "Le Constitutionnel", 8 novembre 1898
16) "La justice", 2 novembre 1897
17) Le 9 janvier 1905, selon le calendrier julien
18 ) Voir à ce propos le site http://www.jewishvirtuallibrary.org/ et plus particulièrement la rubrique consacré aux nombreux pogroms qui eurent lieu dans l’Empire Russe en 1905.
Voir également : http://kehilalinks.jewishgen.org/odessa/LIF_violence.asp ainsi que http://faculty.history.umd.edu/BCooperman/NewCity/Pogrom1905.html
19) Ouest Eclair, 12 novembre 1905
The Bicycling world and motorcycle review 1905.
L’Aurore, 12 novembre 1905
On trouve également d’autres articles sur l’agression dont a été victime Sergei Utochkin dans « Le Matin », « La Presse », « L’intransigeant » et « Le Petit Journal » du 11/11/1905,
20) Voir à ce propos :
www.msk.kprf.ru/2016/07/12/12238/
ainsi que https://www.sportfakt.ru/
et http://histodessa.ru/utochkin-sergej-isaevich/
21) Voir à ce propos :
http://rys-strategia.ru/,
https://msk.kprf.ru/2016/07/12/12238/,
www.odessa-memory.info/
http://encyclopedia2.thefreedictionary.com/
22) http://kraevedenie.net/2010/03/29/utochkin-extrem/
23) www.lepetitbraquet.fr
Coup de chapeau à Charles Van den Bron
Coup de chapeau à Henri Farman
24) « Le Journal amusant : journal illustré, journal d'images, journal comique, critique, satirique », du 3 mars 1900
25) www.weaponews.com
26) L’aérophile, 1er janvier 1910
27) Gil Blas du 25 mai 1910,
voir également www.lepetitbraquet.fr Coup de chapeau à Hélène Dutrieu
28) www.lepetitbraquet.fr Coup de chapeau à Alessandro Anzani
29) www.weaponews.com
30) http://kpi.ua/print/9985
31) www.flightglobal.com/pdfarchive/
Voir également la revue « l’aérophile » de l’année 1910
32) « La Revue Contemporaine » deuxième semestre 1910
33) « Le Journal des débats politiques et littéraire », du 7 octobre 1910,
34) http://histodessa.ru/utochkin-sergej-isaevich/
35) « La revue aérienne », 10 avril 1911.
Selon d’autres sources le meeting aérien se serait déroulé en 1910.
Voir à ce propos : www.egy.com/
ainsi que https://fr.wikipedia.org/
36) www.france-estonie.org
37) La liste des premiers pilotes diplômés est disponible sur le site http://www.vieillestiges.com/
38) Voir également :
« La Lanterne », des 26 et 27 juillet 1911
« L’Aurore » du 27 juillet
« le Rappel » du 27 juillet
« le XIXème siècle » du 27 juillet
« Le Journal des débats politiques et littéraires » du 27 juillet 1911.
39) http://kraevedenie.net/2010/03/29/utochkin-extrem/
40) http://fandavion.free.fr/anatra.htm
41) "Le looping de la mort" film russe de 1962
Réalisateurs : Nikolai ILYINSKY, Shulamith TSYBULNIK, Vladimir NEMOLYAEV,
Noir et blanc, durée 1 h 22, Source : http://www.aeromovies.fr/
Plusieurs livres ont également été publiés ces quarantes dernières années pour faire connaître la vie d’Utochkin, au peuple Russe. Aucun n’a été traduit en français.
« Dans le ciel – Utochkin! »
Auteurs : B. M. Lyahovetskiy, Rudnik VA, Éditeur Phare,1985, 147 pages
Victoires face à Overbeck champion de Moscou et Sipiaguine champion de Kiev
Tous les records russes de 3 milles à 5 milles et de 4 verstes à 7 verstes
1er du championnat du mille à Odessa
1er du championnat des 5 milles à Odessa
1er du championnat du sud de la Russie sur 100 verstes
1er du Grand Prix d'Odessa
2ème derrière Bourrillon de l’Internationale d’Odessa sur 2 verstes en août
2ème derrière Bourrillon d’une épreuve de 5 verstes derrière entraîneur à Odessa en août
1er du tour de piste devant Bourrillon Odessa en août
1er d’un scratch sur 5 milles et 1er d’une Internationale à Odessa (Véloce sport 22/10/1896)
1er du championnat du sud de la Russie sur 5 verstes à Charkow (Karkov) en octobre
En France en décembre
2ème de l’Internationale de Moscou sur 3 verstes, le 30 novembre
1er du championnat Russe sur 7 verstes et 1er du Prix Juble à Chadinska (Moscou) le 11 août
Record du 1/3 de kilomètre, en 21 s et 4/5 ancien record par P Bourillon, août
Vainqueur d’un match sur la distance de 3 verstes contre Boutilkine en octobre à Odessa
2ème ex aequo avec Wasskewitch d’un scratch remporté par Frederico Momo (italien) à Moscou en novembre
Éliminé en série du Grand Prix de la Pentecote organisé par l’UVF
Arrivée en France début mai
Inscrit au prix Cassignard en mai
Champion de Russie, à Moscou
Finaliste du Grand Prix de la ville d’Odessa en juin
Battu par l’allemand Mundner lors d’un match à Odessa en juillet
3ème d’un handicap et 2ème d’une Internationale, Odessa, le 23 mai
1er d’une Internationale, Odessa, le 12 juillet
1er du Championnat d’Odessa sur un mile et 2ème d’une Internationale, Odessa, le 14 juillet
2ème d’une Internationale à Moscou en décembre
2ème du Grand Prix d’Odessa et 1er du Prix du Président ex aequo avec Arendt, le 14 octobre
2ème de l’Internationale d’Odessa, le 23 mai
1er du Grand Prix d’Automne, Odessa le 29 septembre
1er d’une Internationale à Odessa en juillet, face à Dei et Maitrot
Membre de l’équipe étrangère avec Carapezzi et Hilz battue par l’équipe française (Bourotte, Trante, Bruni) lors d’une poursuite au vélodrome Buffalo le 29 mars
Inscrit à la course de vitesse de la mi-carême, vélodrome Buffalo en mars
Battu par Eros lors d’une course à Odessa en août
1er du Grand Prix d’Odessa devant Bader et E Jacquelin, le 1er octobre
2ème lors d’un match contre Bader, 1er et Arendt 3ème, Odessa en octobre
Vainqueur d’un handicap et d’un match contre Arendt et 2ème derrière Bader d’une internationale à Odessa en octobre
4ème du Prix Thibaudin au vélodrome d’hiver le 25 février. 1er Friol, 2ème Van Den Born, 3ème Ellegaard
3ème d’une épreuve scratch au vélodrome d’hiver de Paris, le 11 mars
3ème du Championnat de Russie à Saint Petersbourg en mars, Bader 1er
Finaliste du championnat du manège Michel à Saint Petersbourg le 30 avril
1/2 finaliste du Prix Rad Welt au vélodrome d’hiver en décembre
Battu en série lors du Prix Parlby, vélodrome d’hiver, février
Battu en série lors d’un handicap sur 1/4 de mille au vélodrome d’hiver le 28 janvier
Finaliste (7ème) du prix Robertson (handicap 900 mètres), vélodrome d’hiver de Paris, février
2ème d’un scratch sur un mile à Saint Petersbourg en mars
1er d’une course internationale sur 1 mile anglais devant Hedspath, Manège Michel, Saint Petersbourg le 2 avril
3ème du kilomètre, Moscou, Manège Michel, le 2 avril
2ème du Grand Prix de Pâques d'Odessa
3ème du Grand Prix de Saint Petersbourg
3ème d’une Internationale remportée par Doerflinger suivi de Spain à Odessa en octobre
2ème d’un scratch remporté par Major Taylor à Montauban en mai
1er d’une Internationale sur 1000 mètres au vélodrome Buffalo, le 16 mai
2ème d’une Internationale remportée par Major Taylor, à Bordeaux le 20 mai
course de 10 milles au vélodrome Buffalo face à Poulain, Major Taylor...
2ème du Grand Prix d'été d'Odessa
Vainqueur du Grand Prix de Lisbonne (année ? )
Sources :
The Black Sea Encyclopedia, Par Sergei R. Grinevetsky,Igor S. Zonn,Sergei S. Zhiltsov,Aleksey N. Kosarev,Andrey G. Kostianoy
Pioneer Aviators of the World: A Biographical Dictionary of the First Pilots of 100 Countries
Jascha Heifetz : Early Years in Russia Par Galina Kopytova
The Town of N Par Leonid Dobychin
http://www.alexanderpalace.org/aerialrussia/workmen.html
www.cycling4fans.de/
http://encyclopedia2.thefreedictionary.com/
www.funeral-spb.narod.ru/necropols/nikolskoe/tombs/utochkin/utochkin.html
www.gallica.bnf.fr
www.histodessa.ru/utochkin-sergej-isaevich/
www.ivak.spb.ru/aviation/aviators/sergej-isaevich-utochkin
www.joomla25.inmak.net/
www.kot-or-osl.livejournal.com/
www.kpi.ua/print/9985
www.kraevedenie.net/2010/03/29/utochkin-extrem/
www.minsk-old-new.com/minsk-2986.htm
www.msk.kprf.ru/2016/07/12/12238/
www.odessareview.com/odessa-football-tsarist/
www.odessa-memory.info/
www.pomnipro.ru/memorypage29039/biography
www.rys-strategia.ru/
www.sportfakt.ru/
www.tic.in.ua/?page_id=1655&lang=en2
www.ua-travelling.com/de/article/utochkin-monument-in-odessa
www.uk.wikipedia.org
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